[1] Le 25 janvier 2013, dans le dénouement ultime de l’affaire Québec (Procureur général) c. A[1] (Éric c. Lola), la Cour suprême du Canada a déclaré que des dispositions du Code civil du Québec accordant des protections aux conjoints unis officiellement mais non aux conjoints de fait étaient constitutionnelles. Cet arrêt, un incontournable en matière d’union de fait pour l’année 2013, a déjà suscité nombre de commentaires, avec raison, mais il ne s’agit pas du seul dossier en matière familiale qui ait retenu notre attention. Les lignes qui suivent se veulent un retour sur deux dossiers qui ont été examinés par la Cour d’appel au cours des derniers mois et qui examinaient des réclamations faites par des conjoints. Dans le premier cas, il est question d’une conjointe de fait qui, au terme d’une union de longue durée, a notamment cherché à obtenir une condamnation de son conjoint pour enrichissement injustifié. Dans le second dossier, un ex-époux, à peine quelques semaines après avoir essuyé une défaite devant la Cour suprême du Canada, a présenté de nouvelles procédures visant à obtenir l’annulation de la pension alimentaire qu’il payait au bénéfice de son ex-épouse, se heurtant notamment à une contestation fondée sur la chose jugée.
Droit de la famille — 123039[2]
[2] Les parties se sont rencontrées en 1977. À compter de 1979, le demandeur a commencé à supporter certaines dépenses pour la défenderesse. En 1986, ils ont commencé à faire vie commune, ayant pour but de bâtir une vie de couple et de fonder une famille. Dans les années qui ont suivi, la défenderesse a notamment travaillé pour l’entreprise de la famille du demandeur, elle s’est occupée des quatre enfants du couple et elle a participé à l’élaboration et à la réalisation d’un projet de résidence familiale. En 2007, le demandeur a quitté la défenderesse et, deux ans plus tard, il a engagé des procédures en vue de la faire expulser de la résidence familiale. Celle-ci a répliqué en demandant le partage du patrimoine familial, une pension alimentaire entre conjoints, une somme globale, la garde des enfants et une pension alimentaire pour eux, l’usage de la résidence familiale, une provision pour frais ainsi qu’une condamnation pour enrichissement injustifié. Puisque les tribunaux étaient déjà saisis, à l’époque, du dossier Québec (Procureur général) c. A, les parties ont convenu de suspendre certaines des revendications de la défenderesse et de procéder uniquement sur le volet de l’enrichissement injustifié.
[3] La Cour supérieure, après avoir confirmé qu’il était question d’une union de longue durée et que la situation financière du demandeur s’était grandement améliorée au fil des années, a examiné la nature de la participation de la défenderesse à l’actif du demandeur pendant la vie commune. Au terme de son analyse, elle a retenu que la défenderesse s’était investie à plusieurs niveaux : familial, social et dans l’entreprise. Néanmoins, elle a conclu qu'elle ne s’était pas appauvrie. En effet, même si la rupture laissait la défenderesse dans une situation déplorable par rapport à celle particulièrement enviable qui avait été la sienne tout au long de la vie commune, il fallait considérer qu’elle avait reçu une compensation matérielle, sous la forme d'une rémunération et de divers avantages, qu’elle n’avait pas démontré qu’elle aurait pu accumuler un actif plus important n’eût été son investissement au sein de la famille et de l’entreprise et qu’elle n’avait pas contribué à l’enrichissement. Pour conclure sur cette question, le tribunal a indiqué qu’en décidant autrement il «risque de se substituer à la plus haute instance de ce pays en cherchant à donner à la défenderesse une somme d’argent à laquelle sa situation de conjoint de fait ne lui permet pas d’accéder[3]».
[4] La Cour d’appel[4] a toutefois conclu que deux erreurs importantes avaient été commises en première instance. D’une part, il n’appartenait pas à la défenderesse de prouver que, n’eût été son investissement personnel, elle se serait retrouvée dans une situation plus avantageuse. À l’appui de cette conclusion, la Cour rappelait la tendance à considérer que le conjoint qui s’acquitte des tâches domestiques peut s’attendre au partage des biens du couple au moment de la séparation, ainsi que le devoir du demandeur, en l’espèce, de démontrer que l’appauvrissement de la défenderesse serait sans rapport avec son enrichissement et qu’il existerait un motif juridique à celui-ci. D’autre part, la Cour a indiqué que la Cour supérieure n’aurait pas dû considérer, à la première étape de son analyse, le salaire que versait l’entreprise du demandeur à la défenderesse et conclure, par conséquent, à une absence d’appauvrissement. En effet, les avantages réciproques ne peuvent être considérés que lorsqu’ils fournissent une preuve pertinente quant aux attentes raisonnables des parties à l’étape de la recherche de l’existence d’un motif juridique. Or, dans ce cas, la Cour a rappelé que la défenderesse avait cherché à s’entendre avec le demandeur à deux occasions pendant leur vie commune, craignant la situation dans laquelle elle se trouverait en cas de séparation, et, bien que les parties aient négocié, elles n’étaient pas parvenues à s’entendre. En considérant aussi l’enrichissement du demandeur, la Cour a conclu qu’il y avait lieu de passer à la seconde étape de l’analyse, et donc de déterminer la somme à accorder à la défenderesse pour corriger l’enrichissement injustifié du demandeur. Appliquant la méthode dite de la valeur accumulée, qui s’applique en présence d’une coentreprise familiale et qui consiste à évaluer la réparation pécuniaire en déterminant la contribution proportionnelle du conjoint demandeur à l’accumulation de la richesse, la Cour a examiné l’apport de chacune des parties pour conclure qu’une réparation de 398 000 $ devait être accordée à la défenderesse afin de corriger l’enrichissement injustifié du demandeur. En partant de la réclamation dite raisonnable de un million de dollars de la défenderesse, la Cour a notamment tenu compte des nombreux avantages accordés à celle-ci par le demandeur, dont un salaire, l’usage d’une automobile et de la résidence familiale, des contributions dans un régime enregistré d’épargne-retraite et une contribution aux tâches domestiques pendant la vie commune, ainsi que de la contribution, par la défenderesse, aux dépenses familiales à même ses propres revenus.
Droit de la famille — 09668[5]
[5] En 1983, au terme d’un mariage traditionnel de longue durée, le divorce des parties a été prononcé et le mari a notamment été tenu au paiement d’une pension alimentaire au bénéfice de l’épouse. En 1991, après que la Cour d’appel[6] eut infirmé un jugement ayant réduit la pension alimentaire et qu’elle eut augmenté sa valeur, les parties ont fait entériner une entente prévoyant notamment, à sa clause 1c), que :
[…] de plus, le requérant renonce par les présentes à son droit de demander la diminution et/ou l'annulation de la pension alimentaire payable à l'intimée au motif d'un changement de situation de l'intimée dont notamment, et non limitativement, dans le cas où l'intimée vendrait sa maison, dans le cas de concubinage, lorsque l'intimée recevra sa pension de vieillesse ou encore si elle tire un revenu de quelque source que ce soit;
[6] Au mois de mars 2009, la Cour supérieure, saisie d’une requête en modification de la pension alimentaire signifiée par le mari en 2008, a réduit celle-ci de 2 911 $ à 1 500 $ par mois. Après avoir conclu qu’elle ne pouvait s’appuyer sur un changement survenu dans les revenus ou l’actif de l’épouse pour déterminer si un changement était survenu depuis le prononcé de la dernière ordonnance alimentaire rendue en raison de la clause 1c) de l’entente intervenue entre les parties, la Cour a noté qu’un changement important était toutefois survenu dans la situation du mari, du fait de sa retraite, prise alors qu’il avait plus de 65 ans, et d’un contexte économique difficile découlant du krach boursier de 2008-2009, lequel avait causé une diminution importante de ses revenus.
[7] En mars 2010, la Cour d’appel[7], après avoir reconnu que la retraite du mari, conjuguée à la chute de la valeur de ses éléments d’actif, constituait bel et bien un changement donnant ouverture à l’analyse de la situation actualisée des parties, a toutefois reproché à la juge de première instance d’avoir commis une erreur de droit en évaluant uniquement les ressources dont disposait le mari, alors que, selon elle, l’entente signée en 1991 ne pouvait faire obstacle à un examen de l’ensemble de la situation des parties. Après avoir effectué elle-même cette analyse, la Cour a ordonné l’annulation de la pension alimentaire à compter du mois de septembre 2010, vu l’âge des parties et la valeur à peu près égale de leurs éléments d’actif respectifs.
[8] Le 21 décembre 2011, la Cour suprême du Canada[8] a accueilli le pourvoi de l’épouse et a rétabli l’ordonnance de 1991, ayant noté que la preuve présentée par le mari présentait deux lacunes cruciales. Notamment, le dossier était muet quant à la situation financière du mari en 1991, soit lorsque l’ordonnance initiale avait été rendue. En effet, le mari avait alors admis sa capacité de payer les sommes que l’épouse réclamait. Par conséquent, il était impossible de déterminer si un changement important était survenu dans sa situation depuis et de modifier la pension alimentaire payable au bénéfice de l’épouse.
[9] À peine quelques semaines après que la Cour suprême se fut prononcée, soit le 13 janvier 2012, le mari a signifié une nouvelle requête en annulation de pension alimentaire, invoquant la baisse de ses revenus ainsi que la valeur supérieure des éléments d’actif détenus par l’épouse. Cette dernière a contesté la demande en invoquant la chose jugée et, subsidiairement, le fait qu’aucun changement important n’était survenu dans la situation du mari depuis 2008, s’opposant à ce que ce dernier puisse établir un changement depuis 1991. L’épouse a aussi soutenu que la demande du mari constituait un abus de procédures.
[10] Au mois de janvier 2013, la Cour supérieure[9] a conclu que l’argument de la chose jugée était sans fondement, après avoir rappelé que le principe de la chose jugée ne s’appliquait pas au regard d’une demande de modification relative aux obligations alimentaires, que le mari ne cherchait pas à annuler l’effet de l’arrêt rendu, auquel il s’était d’ailleurs conformé, et qu’il cherchait plutôt à obtenir une décision annulant la pension alimentaire pour l’avenir. Ayant ensuite constaté une baisse importante dans les revenus du mari, la Cour a considéré qu’il y avait ouverture à un examen de la situation des parties. Cet examen a permis de constater que l’état de dépendance économique dans lequel l’épouse se trouvait pendant le mariage demeurait et que le mari, dont la capacité de payer n’était plus la même que celle qui existait en 1991, était néanmoins en mesure de payer une pension alimentaire. La Cour a donc exigé du mari qu’il continue de soutenir financièrement l’épouse, réduisant toutefois la pension alimentaire payable, et ce, rétroactivement à la signification de la requête en annulation. Finalement, puisqu’elle accueillait en partie la demande du mari et que cette demande n’était ni empreinte de mauvaise foi ni abusive, la Cour n’a pas accordé à l’épouse le remboursement des honoraires extrajudiciaires de ses procureurs pour abus de procédure.
[11] Les époux ont tous deux interjeté appel du jugement rendu, mais leurs efforts auront été vains. En effet, après avoir rappelé qu’elle devait faire preuve d’une grande déférence à l’égard d’une décision rendue en matière d’ordonnance alimentaire, la Cour d’appel[10] a conclu que le jugement attaqué ne laissait voir ni erreur de principe, ni erreur significative dans l’interprétation de la preuve, ni éléments qui permettaient de qualifier celui-ci de manifestement erroné. Elle a donc reconnu que l’arrêt de la Cour suprême emportait force de chose jugée quant à la période à l’égard de laquelle il avait été rendu mais qu’il ne pouvait avoir un tel effet pour la suite des choses. De plus, cet arrêt n’était pas une ordonnance modificatrice, de sorte que l’exercice de comparaison devait être fait en fonction de la situation qui existait lors de l’ordonnance de 1991. Ayant établi ces éléments, la Cour a confirmé la survenance d’un changement important justifiant une intervention. Enfin, ayant rappelé certains constats faits en première instance, notamment quant à la capacité du mari de payer une pension alimentaire, aux besoins et aux moyens de l’épouse, dont le train de vie était particulièrement modeste par rapport à celui du mari, et à l’improbabilité que cette dernière puisse se reloger de manière à réduire ses dépenses, elle a conclu que la modification de la pension alimentaire était indiquée mais que son annulation ne l’était pas.
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
Consultez un avocat ou un notaire pour obtenir des réponses appropriées à votre situation : visitez la Boussole juridique pour trouver des ressources gratuites ou à faible coût.