Des actionnaires de sociétés commerciales ayant effectué des transactions afin de procéder à une restructuration sans incidence fiscale et qui se sont vu, par la suite, délivrer des avis de cotisation leur réclamant des impôts imprévus en raison d’erreurs commises par leurs conseillers fiscaux, peuvent-ils, au moyen d’une demande de rectification, obtenir une modification rétroactive des actes défectueux ? 

La Cour suprême a été appelée à trancher cette question dans Québec (Agence du revenu) c. Services environnementaux AES inc., alors qu’elle était saisie de deux pourvois à l’encontre de décisions rendues par la Cour d’appel dans Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Services environnementaux AES inc. et Riopel c. Agence du revenu du Canada.

Services environnementaux AES inc.

Dans cette affaire, la Cour supérieure a été saisie en 2009 d’une requête en jugement déclaratoire et en rectification d’écrits. Malgré les contestations de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, intimée, et du sous-ministre du Revenu du Québec, mis en cause, la juge de première instance a permis aux requérantes de modifier les documents afférents à la transaction en cause de façon que ceux-ci reflètent leur volonté. Elle avait déclaré que cette modification avait un effet rétroactif à la date de la transaction et qu’elle était opposable aux tiers en général ainsi qu’aux autorités fiscales en particulier, et ce, après avoir conclu que le tribunal avait le pouvoir d’accueillir cette requête et que les faits militaient en faveur de la rectification afin de rétablir l’intention réelle des parties.

Rejetant l’appel de cette décision, la Cour d’appel a conclu que la Cour supérieure pouvait permettre la correction du contrat en cas de divergences entre l’intention commune des parties et l’intention déclarée à l’acte, pour autant que la demande soit légitime et que la correction proposée ne compromette en rien les droits des tiers. La Cour d’appel a précisé que, dans ce contexte, «lorsqu’il constate non pas une erreur mais un écart entre l’intention commune des parties (le negotium) et leur intention déclarée au contrat (l’instrumentum), le juge peut tenir compte de cet écart en donnant effet au contrat (article. 1425 C.c.Q.) […]».

Archambault et Riopel

En 2010, la Cour supérieure avait à trancher cette fois une requête pour rectification d’un contrat de vente qui avait été contestée avec succès par les autorités fiscales mises en cause. Le Tribunal a retenu que les rectifications demandées par les requérants ne pouvaient être qualifiées d’erreur matérielle ni de lapsus matériel, car elles touchaient la substance même de la structure de la transaction. La Cour d’appel a toutefois infirmé cette décision. Soulignant qu’il ne pouvait être reproché à la juge de première instance de ne pas avoir suivi ses enseignements dans Services environnementaux AES inc. — cette décision ayant été rendue postérieurement au jugement dont appel –, elle a indiqué que le principe reconnu dans cet arrêt trouvait pleinement application, l’affaire relevant manifestement de la divergence entre le negotium et l’instrumentum.

Décision de la Cour suprême

Se penchant sur l’appel de ces deux décisions, la Cour suprême, sous la plume de l’honorable juge Lebel, a relevé avec justesse que ces deux pourvois soulevaient «des problèmes situés aux frontières du droit des obligations et du droit fiscal». Elle a retenu que, dans ces deux affaires, il était établi que les véritables accords de volontés étaient ceux décrits par les parties en cause, précisant que :

«[51] Les tribunaux pouvaient intervenir pour constater la légitimité et la nécessité des modifications apportées par les parties aux actes en litige. Le droit substantiel justifiait leur intervention. La procédure civile québécoise n’y faisait pas obstacle. Le débat relevait du domaine du contradictoire. Les Agences du Revenu avaient été appelées en cause, comme elles devaient l’être, selon l’art. 5 C.p.c. et les règles fondamentales de la procédure civile. Vu l’existence d’un conflit réel sur la nature de l’intention commune des parties, la Cour supérieure pouvait être saisie du litige. La requête en rectification était la voie normale pour l’en saisir. Elle permettait à la Cour supérieure d’intervenir, à des fins d’abord et avant tout déclaratoires. Ce que l’on a maintes fois qualifié de rectification au cours des débats correspondait essentiellement à la constatation des modifications faites par les parties et à la reconnaissance de leur légitimité et de leur nécessité.»

Conclusion

Cet arrêt était attendu* et apporte un éclairage sur une question de droit civil ayant des incidences en droit fiscal. L’Agence du revenu du Québec n’est pas parvenue à convaincre la Cour suprême du bien-fondé de sa contestation. Celle-ci a notamment indiqué que, en droit civil, le fisc ne possède pas de droit acquis au bénéfice d’une erreur que les parties à un contrat auraient commise puis corrigée de consentement mutuel. La Cour suprême a toutefois incité les contribuables à faire preuve de prudence en ces termes :

«[…] les contribuables ne devraient pas interpréter cette reconnaissance de la primauté de la volonté interne — ou intention commune — des parties comme une invitation à se lancer dans des planifications fiscales audacieuses, en se disant qu’il leur sera toujours possible de refaire leurs contrats rétroactivement en cas d’échec de ces planifications. L’intention d’un contribuable de réduire ses obligations fiscales ne saurait à elle seule constituer l’objet de l’obligation au sens de l’art. 1373 C.c.Q., compte tenu de son caractère insuffisamment déterminé ou déterminable, ni même l’objet du contrat au sens de l’art. 1412 C.c.Q. En l’absence d’un objet plus précis et mieux défini, aucun contrat ne se serait formé. L’article 1425 ne pourrait dans un tel cas être invoqué pour justifier la recherche de l’intention commune des parties afin de lui donner effet, malgré les termes des écrits préparés pour la constater. Comme je l’ai souligné plus haut, dans les deux appels, les ententes entre les parties s’étaient valablement formées, puisqu’elles prévoyaient des obligations aux objets suffisamment déterminables, selon une preuve que l’ARQ n’a jamais contredite. Ces ententes prévoyaient, pour les sociétés concernées, la mise en place de structures déterminées qui, si elles avaient été élaborées correctement, auraient permis de réaliser les objectifs visés par les parties impliquées. Les modifications apportées par la suite ne changeaient pas la nature de la structure envisagée au départ. Elles se bornaient à modifier les écrits qui étaient censés donner effet à l’intention commune —intention clairement établie et portant sur des obligations aux objets déterminés ou déterminables.»

*Deux billets du blogue de SOQUIJ y font d’ailleurs référence : L’intention commune des parties en matière contractuelle et Scénario et écran de fumée : des décisions qui touchent le droit fiscal dont la suite est attendue !

Références

  • Québec (Agence du revenu) c. Services environnementaux AES inc. (C.S. Can., 2013-11-28), 2013 CSC 65, SOQUIJ AZ-51022153, EXP 2013-3777, J.E. 2013-2047.
  • Riopel c. Agence du revenu du Canada (C.A., 2011-05-20), 2011 QCCA 954, SOQUIJ AZ-50755104, EXP 2011-1743, J.E. 2011-957.
  • Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Services environnementaux AES inc. (C.A., 2011-03-04), 2011 QCCA 394, SOQUIJ AZ-50727855, EXP 2011-879, J.E. 2011-470.
  • Services environnementaux AES inc. c. Agence des douanes et du revenu du Canada (C.S., 2009-03-03), 2009 QCCS 790, SOQUIJ AZ-50541289, B.E. 2009BE-376.
  • Archambault c. Agence du revenu du Canada (C.S., 2010-04-12), 2010 QCCS 1576, SOQUIJ AZ-50628627, EXP 2010-1614, J.E. 2010-880.
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