[1] En vertu de l’article 273 (1) du Code criminel[1] (C.Cr.), «[c]ommet une agression sexuelle grave quiconque, en commettant une agression sexuelle, blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger». Quant à la définition de «consentement», l’article 273.1 (1) C.Cr. prévoit que : «Sous réserve du paragraphe (2) et du paragraphe 265 (3), le consentement consiste, pour l’application des articles 271, 272 et 273, en l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle.» Enfin, l’article 265 (3) c), relatif à la commission de voies de fait et d’agression, prévoit que ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison de la fraude. Ces dernières années, la Cour suprême a rendu plusieurs arrêts phares qui nous permettent de mieux cerner les enjeux entourant la question du consentement en ce qui concerne l’activité sexuelle à la lumière de ces dispositions du code.

[2]  Avoir des relations sexuelles non protégées sans avoir informé son partenaire de sa séropositivité peut mener à des accusations d’agression sexuelle grave en vertu de l’article 273 C.Cr. En 1998, dans R. c. Cuerrier[2] - il est à noter que dans cette affaire ce sont des accusations de voies de fait graves qui avaient été portées contre l’accusé -, la Cour suprême avait conclu que l’omission de révéler sa séropositivité pouvait constituer une fraude viciant le consentement au sens de l’article 265 (3) c) C.Cr. s’il était démontré que le plaignant n'aurait pas donné son consentement s'il avait su que l'accusé était séropositif et lorsqu'un contact sexuel présente un «risque important de lésions corporelles graves» ou inflige effectivement de telles lésions.

[3]  Plus récemment, dans R. c. Mabior[3], répondant aux critiques exposées à propos du caractère incertain de ce que l’on entendait par un «risque important de lésions corporelles graves», la Cour suprême est venue préciser qu’un tel risque devait être conçu s’il existait une «possibilité réaliste de transmission du VIH». Et que doit-on entendre par une «possibilité réaliste de transmission du VIH»? Cette question fort pertinente n’est pas restée sans réponse, heureusement. La Cour suprême a précisé qu’une telle possibilité réaliste de transmission du VIH ne sera pas démontrée si, 1) au moment considéré, la charge virale de l'accusé était faible et 2) un condom a été utilisé. Ce faisant, la plus haute cour a mis fin à l’incertitude qui existait quant au critère élaboré dans Cuerrier.

[4]  Dans R. c. D.C.[4], pourvoi entendu à l’encontre d’un jugement de la Cour d’appel du Québec[5], la Cour suprême a eu l’occasion d’appliquer cette nouvelle approche élaborée dans Mabior. Dans cette affaire, la Cour d’appel avait annulé les déclarations de culpabilité de l’accusée sous des accusations d’agression sexuelle et de voies de fait graves au motif que, même si un condom n’avait pas été utilisé, l'exigence jurisprudentielle d'un risque important de lésions corporelles graves n'était pas remplie en l'absence de copie détectable du VIH dans le sang de l’accusée. Or, la Cour suprême a remis les pendules à l’heure et rappelé que ce raisonnement allait désormais à l’encontre de la norme définie dans Mabior et que, par conséquent, il y avait obligation d'utiliser le condom pour exclure la possibilité réaliste de transmission du VIH. Cela dit, dans cette affaire, l’accusée a été acquittée, car non seulement sa charge virale était indétectable au moment des actes reprochés mais, en outre, l’inutilisation du condom n’avait pas été démontrée. Tout récemment, dans Wilcox c. R.[6], la Cour d’appel du Québec a rejeté l’appel de l’accusé, reconnu coupable d’agression sexuelle grave. Ce dernier était séropositif et avait sciemment tu ce fait au plaignant, avec lequel il avait eu une relation sexuelle non protégée, contaminant ce dernier, qui, depuis, est devenu séropositif également. La Cour a conclu que le consentement du plaignant avait été vicié par la fraude, la poursuite ayant démontré, d’une part, que l’accusé n’avait pas révélé sa séropositivité et, d’autre part, que le plaignant aurait refusé d’avoir une relation sexuelle non protégée si l’accusé l’avait correctement renseigné sur sa séropositivité.

[5]  Enfin, il y a quelques semaines, la Cour suprême[7] a répondu par l’affirmative à la question de savoir si, en perçant délibérément le condom utilisé lors d’une relation sexuelle avec la plaignante, l’accusé avait commis une agression sexuelle grave. Dans cette affaire, la plaignante avait consenti à une activité sexuelle avec son partenaire, mais elle avait insisté pour qu’il utilise un condom afin de prévenir une grossesse. Or, à son insu, ce dernier a percé des trous dans le condom et elle est tombée enceinte. Le juge du procès a conclu que la plaignante n’avait pas consenti à des rapports sexuels non protégés. Les juges majoritaires de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse[8] ont maintenu le verdict. Ils ont jugé que l’utilisation du condom constituait une «caractéristique essentielle» de l’activité sexuelle et ont conclu que la plaignante n’y avait donc pas consenti. La Cour suprême a rejeté le pourvoi. Le banc de sept juges est arrivé au même résultat, mais quatre d’entre eux ont tenu un raisonnement différent quant au consentement à l'activité sexuelle.

[6]  Sous la plume de la juge en chef Mclachlin et du juge Cromwell, la majorité de quatre juges est arrivée à la conclusion que le sabotage du condom par l’accusé constituait une fraude visée à l’article 265 (3) c) - dont l’analyse requise pour son application requiert à la fois un acte malhonnête et une privation - et que, par conséquent, il y avait eu absence de consentement de la plaignante. D’entrée de jeu, le plus haut tribunal nous rappelle que «[l]e pouvoir dont dispose une personne à l’égard des activités sexuelles auxquelles elle participe constitue un aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain» (R. c. Ewanchuk[9]). Ce principe est à la base des infractions de voies de faits et d’agression sexuelle. Une activité sexuelle se déroulant sans le consentement d’un participant est un crime prévu par le Code criminel. Quant au consentement à une activité sexuelle, le tribunal explique que la première étape consiste à déterminer si la preuve démontre l’absence d’«accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle» aux termes de l’article 273.1 (1). Si le plaignant a consenti, ou encore si son comportement fait naître un doute raisonnable quant à l’absence de consentement, il faut passer à la seconde étape et se demander s’il existe des circonstances ayant pu vicier le consentement au sens de l’article 265 (3). Quant à la première étape, le tribunal explique que celle-ci exige la preuve que le plaignant n’a pas donné son accord volontaire aux contacts, à la nature sexuelle des contacts ou à l’identité du partenaire, précisant que les erreurs relatives à d’autres questions, par exemple celles de savoir si le partenaire utilise un moyen de contraception efficace ou est atteint d’une maladie transmissible sexuellement, ne sont pas pertinentes à cette étape. Par ailleurs, le tribunal reconnaît que les erreurs résultant de tromperies relativement à d’autres questions peuvent annuler le consentement à la deuxième étape de l’analyse, en application de la disposition relative à la fraude énoncée à 265 (3) c) C.Cr. Appliquant cette grille d’analyse aux faits de l’espèce, le tribunal conclut que, à la première étape, la plaignante avait volontairement donné son accord à l’activité sexuelle au moment où celle-ci s’est déroulée.

[7]  La principale question à trancher était de décider si le sabotage du condom avait eu pour effet d’entraîner une absence d’accord volontaire de la plaignante à l’activité sexuelle aux termes de l’article 273.2 (1) C.Cr. Pour répondre à cette question, le tribunal s’est attardé au sens à donner à l’expression «activité sexuelle». Après avoir rappelé qu’il existait deux approches quant à savoir ce qui constitue un «accord volontaire [...] à l’activité sexuelle» et du rôle que joue l’erreur ou la tromperie lorsqu’il s’agit de déterminer si un tel accord a été donné, le tribunal retient celle qui définit plus étroitement «l’activité sexuelle» comme étant essentiellement «l’acte physique dont il a été convenu au moment pertinent, la nature sexuelle de cet acte et l’identité du partenaire[10]», après avoir pris en considération le libellé, l’économie et l’objet des dispositions du Code criminel, la jurisprudence relative à ces dispositions et aux règles de common law que celles-ci ont remplacées, ainsi que les objectifs sous-jacents du droit criminel. Selon les juges majoritaires, les principales méthodes d’interprétation législatives mènent toutes au rejet de l’interprétation large de l’expression «activité sexuelle» qui est préconisée dans l’approche fondée sur les «caractéristiques essentielles» ou celle basée sur la «façon dont l’acte s’est déroulé» proposée par les juges Abella et Moldaver. C’est ainsi que le tribunal retient que l’expression «activité sexuelle» utilisée à l’article 273.1 (1) C.Cr. s’entend tout simplement de l’acte sexuel physique lui-même, tels les baisers, les caresses, le sexe oral, les rapports sexuels ou encore l’utilisation d’accessoires sexuels. Toutefois, elle ne vise pas les conditions ou les caractéristiques de l’acte physique, telles les mesures contraceptives qui sont prises ou la présence de maladies transmissibles sexuellement. Pour le tribunal, cette approche cadre avec le sens ordinaire de l’article 273.1 (1) et l’économie du code; de plus, elle ne soulève aucun problème d’incertitude, de surcriminalisation ou d’incompatibilité avec les arrêts Cuerrier et Mabior. Ainsi, suivant l’approche retenue, appliquée en l’espèce, «l’activité sexuelle» avait donc consisté en les rapports sexuels déroulés entre la plaignante et l’accusé, et l’utilisation d’un condom efficace, étant une méthode de contraception ainsi qu’une mesure de protection contre les maladies transmissibles sexuellement, ne constituait pas un acte sexuel.

[8]  Ayant conclu ainsi, il restait à déterminer si l’accord donné par la plaignante à l’activité sexuelle pouvait dès lors avoir été vicié par la fraude selon l’article 265 (3) c) C.Cr. À cette question la Cour répond que, «dans les cas où une plaignante a choisi de ne pas devenir enceinte, les tromperies qui la privent du bénéfice de ce choix — soit en la rendant enceinte, soit en l’exposant à un risque accru de grossesse par l’élimination de mesures contraceptives efficaces — peuvent constituer une privation suffisamment grave pour représenter une fraude viciant le consentement suivant l’al. 265 (3) c)[11]». Pour le tribunal, cette interprétation de la «fraude » visée à l’article 265 (3) c) reconnaît qu’il n’y a pas lieu de criminaliser toute tromperie qui incite une personne à donner son consentement. Aussi, pour établir l’existence d’une fraude, il faut prouver que l’acte malhonnête a entraîné une privation tout aussi grave que celle reconnue dans l’arrêt Cuerrier, ce qui a été jugé le cas en l’espèce.

[9]  C’est sur la question du consentement à l’activité sexuelle que les trois autres juges, sous la plume des juges Abella et Moldaver, ont exprimé leur désaccord. Ceux-ci exposent ainsi l’affaire : «Le nœud de notre désaccord avec la juge en chef McLachlin et le juge Cromwell porte sur la question de savoir si l’utilisation d’un condom fait partie de la façon dont se déroule l’activité sexuelle. De l’avis de nos collègues, l’utilisation d’un condom au cours de rapports sexuels ne change pas l’"acte sexuel physique spécifique" qui se déroule, mais constitue plutôt simplement une "conditio[n] accessoir[e]" de l’activité sexuelle. Selon eux, pour autant qu’il y ait consentement à des "rapports sexuels", ce consentement général n’est pas vicié par une tromperie au sujet de l’utilisation d’un condom, à moins que cette tromperie n’expose la personne à une privation visée par l’al. 265 (3) c), privation qui, concluent-ils, consiste en l’espèce dans le fait d’avoir privé une femme de la faculté de choisir de tomber enceinte ou non, "soit en la rendant enceinte, soit en l’exposant à un risque accru de grossesse[12]".» Or, pour ces juges, le fait qu’un condom constitue un moyen de contraception ne signifie pas nécessairement qu’il ne fait pas également partie de l’activité sexuelle. Ces derniers expriment leur désaccord sur la question ainsi[13] : «Nous ne voyons pas comment le condom peut être considéré comme autre chose qu’un aspect de la façon dont se déroulent les contacts sexuels. La personne qui consent à une activité sexuelle avec condom ne donne pas seulement son accord à une activité sexuelle, elle convient également de la façon dont celle-ci doit se dérouler. C’est ce que le par. 273.1 (1) visait à protéger.» Selon eux, la question à trancher n’était pas celle de savoir si le consentement avait été vicié par la fraude, mais celle de savoir si, au départ, il y avait eu consentement à l’activité sexuelle. Pour ces juges, il y a eu rapport sexuel avec un condom saboté, soit une activité sexuelle à laquelle la plaignante n’avait pas consenti. Le fait qu’elle n’ait appris le sabotage délibéré du condom qu’après l’activité sexuelle n’avait aucune pertinence. Ce qui était pertinent, c’était l’activité sexuelle à laquelle elle avait accepté de se livrer avec l’accusé et si celui-ci avait respecté l’accord à cet égard. Or, comme la plaignante n’avait à aucun moment donné son accord à la façon dont elle a été touchée, il n’y avait pas eu consentement au sens de l’article273.1 (1) C.Cr.

[10]       Enfin, ces juges ne retiennent pas l’idée d’une «surcriminalisation» évoquée par leurs collègues majoritaires. Pour eux, le fait d’imposer, à l’égard de la question du consentement en matière d’agression sexuelle, l’approche formulée dans Ewanchuk ne peut être considéré comme ayant pour effet d’entraîner une «surcriminalisation». Cela dit, il y a lieu de rappeler que, malgré leur différend quant à la notion d’activité sexuelle et, par conséquent, quant au consentement, le jugement est unanime quant au sort. 

[11]       Cette dernière décision du plus haut tribunal du pays reflète la complexité de la question du consentement à l’activité sexuelle tout en nous fournissant par ailleurs des précisions quant aux éléments composant l’infraction d’agression sexuelle grave, infraction qui, dans notre société émancipée, se doit d’être définie avec la plus grande justesse.