[1] L’article 326 alinéa 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] prévoit que : «La Commission [de la santé et de la sécurité du travail] impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.»

[2] Selon l’article 2, une «prestation» est une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la loi.

[3] Il peut arriver qu’un travailleur, pour diverses raisons, refuse une intervention chirurgicale ou un traitement prescrit par son médecin ou par un membre du Bureau d’évaluation médicale (BEM) durant le processus de consolidation de sa lésion professionnelle. Dans certains cas, des employeurs ont demandé un transfert d’imputation, alléguant être obérés injustement par, notamment, la prolongation de la période de consolidation ou la prolongation de la période de versement de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR).

[4] Voici une brève revue de jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles sur la question. Dans tous les cas, les travailleurs ont été indemnisés. La question est de savoir si l’employeur supporte les coûts selon la règle générale édictée à l’alinéa 1 de l’article 326 ou si ces coûts ou une partie de ceux-ci sont transférés à l’ensemble des employeurs en vertu de l’alinéa 2 de cet article.

L’employeur n’obtient pas un transfert d’imputation

Refus de recevoir des infiltrations et des blocs facettaires[2]

[5] La travailleuse a subi une entorse lombaire le 29 juillet 2010 et, le 26 octobre suivant, son médecin a prescrit une épidurale sous fluoroscopie dans une clinique de physiatrie. Elle ne s’est pas présentée à la clinique parce qu’elle souffrait d’anxiété et qu’elle craignait de subir ce traitement. Le 1er avril 2011, elle a accepté de recevoir des blocs facettaires puis, en mai et en juin, elle a reçu des infiltrations épidurales. L’employeur a demandé un transfert des coûts pour la période comprise entre le 28 octobre 2010 et le 1er avril 2011, alléguant être obéré injustement par le refus initial de la travailleuse de recevoir les traitements prescrits. La juge administrative a rejeté sa demande. Elle a d’abord rappelé que l’article 142 LATMP prévoit un mécanisme de suspension de l’IRR lorsqu’un travailleur omet ou refuse de se soumettre, sans raison valable, à un traitement médical, autre qu’une intervention chirurgicale, que le médecin qui a charge ou le membre du BEM juge nécessaire dans son intérêt. La juge a considéré que, si l’employeur estimait que la travailleuse n’avait aucune raison de refuser l’infiltration prescrite par son médecin, il lui appartenait de faire valoir son point de vue auprès de la CSST dans le contexte d’une demande en vertu de l’article 142. La juge a estimé que ce n’est pas parce que la travailleuse a finalement accepté de recevoir l’infiltration et les blocs facettaires que sa peur n’était pas réelle, tel que l’employeur le laissait entendre. Enfin, elle a ajouté que l’employeur n’avait pas démontré que, si la travailleuse avait reçu les traitements à la première occasion, sa lésion aurait été consolidée plus tôt.

Refus de recevoir des blocs facettaires[3]

[6] L’employeur a demandé un transfert d’imputation, alléguant le refus du travailleur de recevoir les blocs facettaires recommandés par le BEM. La juge administrative a rejeté sa demande. Elle a considéré que le BEM s’en était remis au médecin traitant pour les soins requis, tout en suggérant qu’une médication plus forte et des blocs facettaires pouvaient être indiqués. Étant donné que le médecin traitant n’avait pas prescrit de blocs facettaires par la suite, la juge a estimé qu’il ne les considérait pas comme un traitement indiqué pour le travailleur. D’autre part, la juge a rappelé que, si l’employeur considérait que l’avis du BEM concernant les blocs facettaires avait un caractère liant et ne laissait aucune discrétion au médecin qui a charge, il lui appartenait de faire valoir cette prétention auprès de la CSST dans le contexte d’une demande visant l’application des dispositions de l’article 142 LATMP.

Refus initial de subir une intervention chirurgicale invasive[4]

[7] Le travailleur a subi une lésion professionnelle pour laquelle une intervention chirurgicale très invasive a été proposée. Il a d’abord refusé l’opération mais y a finalement consenti plus de 11 mois après la première date prévue pour celle-ci. L’employeur a demandé un transfert des coûts de l’IRR versée pendant la période de suspension de l’opération, alléguant qu’il était obéré injustement en raison de la prolongation de la période de consolidation. Dans cette affaire, l’employeur reconnaissait que le travailleur avait le droit de prendre le temps de réfléchir avant d’acquiescer à l’intervention chirurgicale, mais il estimait ne pas avoir à faire les frais de ce choix. Le juge administratif a rejeté sa demande, soulignant d’abord que le travailleur avait de sérieuses raisons d’hésiter et de craindre que l’intervention ne produise pas les résultats escomptés. Il a considéré que le premier effet du sursis opératoire avait été d’amener le médecin traitant à consolider la lésion professionnelle prématurément, puisqu’il croyait ne plus avoir de traitement à offrir, outre l’opération. Le travailleur a ensuite été inscrit à une clinique de réadaptation et plusieurs examens ont été réalisés. Le juge a conclu que le report de l’intervention n’avait probablement eu pour véritable effet que d’intervertir les étapes à travers lesquelles le travailleur devait de toute façon passer avant que sa lésion ne soit consolidée. Il s’est dit d’avis que l’on ne pouvait présumer que le retard du travailleur à consentir à l’opération avait eu pour conséquence de prolonger la période de consolidation de sa lésion professionnelle.

Refus de recevoir des injections de cortisone[5]

[8] Le 10 mai 2010, la travailleuse a subi une lésion professionnelle, soit une contusion et une tendinite de la coiffe des rotateurs, et son médecin lui a prescrit des traitements de physiothérapie à compter du 5 juin. La lésion a été consolidée le 22 décembre 2010 avec une atteinte permanente de 2 % ainsi que des limitations fonctionnelles. L’employeur a demandé un transfert du coût des prestations à compter du 7 juillet 2010, alléguant que la travailleuse avait refusé de recevoir des injections de cortisone, ce qui avait eu pour effet de retarder la consolidation de la lésion. La juge administrative s’est rangée à l’approche établie dans Supervac 2000[6], selon laquelle une demande de transfert partiel, comme celle à l’étude, devait être analysée sous l’angle du premier alinéa de l’article 326. Selon cette interprétation, il faut déterminer si les coûts visés par la demande sont dus «en raison» de la lésion professionnelle. La juge a considéré que l’employeur n’avait pas démontré que les coûts dont il demandait le retrait n’étaient pas dus «en raison» de la lésion professionnelle. Elle a souligné que la travailleuse avait accepté de recevoir des traitements de physiothérapie et que, face à la suggestion de son médecin de recevoir des infiltrations, elle avait d’abord demandé une investigation plus poussée. Après que son médecin eut procédé à une échographie, la travailleuse a demandé et obtenu une deuxième opinion médicale. La juge a estimé que l’attitude de la travailleuse n’était pas injustifiée et qu’elle était appuyée par ses médecins. Elle a également considéré que rien n’indiquait que, si la travailleuse avait reçu des injections de cortisone, les prestations auraient cessé de lui être versées avant la date de consolidation de sa lésion.

 

L’employeur obtient un transfert d’imputation

Refus de subir une intervention chirurgicale en raison de la naissance d’un enfant[7]

[9] Le 15 mars 2010, le travailleur a subi une lésion professionnelle aux jambes ayant nécessité une intervention chirurgicale. Le 7 juin 2011, il a reçu un appel pour subir une deuxième intervention, mais il a refusé étant donné la naissance de sa fille trois jours plus tôt. La juge administrative a considéré qu’il s’agissait d’un motif d’ordre personnel sans lien avec la lésion professionnelle. Elle a souligné l’existence d’un autre délai, attribuable cette fois à une erreur administrative, car le travailleur croyait qu’il recevrait un appel et que son nom figurait toujours sur la liste d’attente d’après les informations qu’il avait obtenues de l’hôpital. Ayant appris le 9 janvier 2012 que ce n’était pas le cas, il a dû revoir son médecin afin qu’une requête soit de nouveau présentée et l’opération a finalement eu lieu le 12 mai 2012. La juge a donc accordé à l’employeur un transfert d’imputation pour les coûts engagés entre le 7 juin 2011 et le 12 mai 2012. Par contre, elle a refusé de transférer les coûts reliés à l’atteinte permanente et à la démarche de réadaptation, estimant que rien ne permettait de conclure que la lésion aurait été consolidée sans séquelles permanentes si le travailleur avait subi l’intervention plus tôt.

Refus de prendre un médicament en raison d’une réaction allergique[8]

[10] La travailleuse a subi une lésion professionnelle, soit une entorse lombaire. Elle a fait une réaction allergique à un médicament et on lui a recommandé la prednisone et le Benadryl, qu’elle n’a toutefois pas pris. La juge administrative a noté plusieurs facteurs extrinsèques qui avaient influé défavorablement sur l’évolution de la lésion professionnelle, notamment la réaction allergique de la travailleuse à la médication, mais surtout la crainte éprouvée par cette dernière relativement à la prise de médicaments. Cette crainte a fait en sorte que la travailleuse n’a pas respecté la médication prescrite, laquelle aurait pu avoir un effet bénéfique non seulement sur l’entorse lombaire, mais également sur ses allergies et sa condition asthmatique. L’entorse lombaire a nécessité une période de consolidation de 19 semaines plutôt que la période normale de 6 semaines. La juge a donc transféré le coût de l’IRR après une période de consolidation de six semaines.

Refus de suivre une thérapie de désensibilisation[9]

[11] Le travailleur a subi une lésion professionnelle en novembre 2006 lorsqu’il est tombé d’une échelle. Le 4 août 2008, l’employeur l’a fait examiner par un psychiatre, lequel a diagnostiqué une phobie reliée à l’événement initial et a suggéré une thérapie de désensibilisation et la prise d’anti-dépresseurs. Le psychiatre du travailleur s’est dit d’accord avec ce plan de traitement, mais le travailleur a refusé de s’y soumettre. Le juge administratif a considéré que le refus de ce dernier avait contribué à gonfler les coûts de la réclamation et qu’il était injuste que l’employeur en supporte le coût.

Refus de subir l’exérèse du matériel chirurgical installé lors d’une première chirurgie[10]

[12] Le 20 février 2009, le travailleur a subi une lésion professionnelle, soit une fracture de la cheville, qui a nécessité une première intervention chirurgicale. Le 23 novembre 2010, le travailleur a consulté son médecin, lequel a considéré que l’exérèse du matériel chirurgical devait être pratiquée en mars 2011. Le travailleur a toutefois refusé de subir cette opération. Le juge administratif a d’abord établi que le choix, pour un travailleur, de se prêter ou non à une intervention chirurgicale était une décision personnelle qui ne pouvait faire l’objet de contrainte. Il a précisé que cette conclusion résultait du principe d’inviolabilité de la personne humaine consacré à l’article 3 du Code civil du Québec et garanti par la Charte canadienne des droits et libertés[11] ainsi que par la Charte des droits et libertés de la personne[12].Ainsi, ni l’employeur ni la CSST ne peuvent contraindre un travailleur accidenté à subir une intervention chirurgicale, même lorsqu’une seconde intervention est nécessaire puisqu’elle constitue la suite logique de la première. Le juge a considéré que cette situation était totalement indépendante de la volonté de l’employeur et qu’il était équitable de lui accorder un transfert d’imputation des coûts à compter du 23 novembre 2010.

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