[1] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] prévoit à son article 28 une présomption de lésion professionnelle. Afin d’en bénéficier, le travailleur doit démontrer trois conditions : qu’il a subi une blessure qui est arrivée sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail. Toutefois, cette présomption n’est pas absolue et elle peut être renversée par l’employeur. Dans Boies et CSSS Québec-Nord[2], une formation de trois juges administratifs s’est notamment prononcée à cet égard. Elle a retenu que les motifs invoqués pour renverser la présomption devaient être interprétés de manière à respecter son caractère réfragable. La formation a décidé que deux motifs permettaient de le faire. Le premier est l’absence de relation causale entre la blessure et les circonstances d’apparition de celle-ci. À cette étape, la preuve relative à l’apparition d’une lésion reliée à l’évolution naturelle d’une condition personnelle préexistante pourra être appréciée. Le deuxième motif est la preuve prépondérante que la blessure n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion du travail ou encore qu’elle provient d’une cause non reliée au travail. Selon Boies, les motifs suivants ne permettent pas de renverser la présomption de lésion professionnelle : l’absence d’événement imprévu et soudain, l’existence d’une condition personnelle en raison de la théorie du «crâne fragile» et le seul fait que les gestes accomplis au travail étaient habituels, normaux et réguliers.

[2] Depuis cette décision phare, la majorité des juges administratifs de la CLP ont suivi cet enseignement, tout en précisant, parfois, le fardeau de la preuve.

[3] Ainsi, dans Therrien et Transport Yvon Chabot inc.[3], le tribunal a rappelé que, lors de l’analyse du lien de causalité entre l’événement ou le geste décrit et le diagnostic retenu, le tribunal devait tenir compte de la nature de la lésion diagnostiquée, de la description de l’événement ou du geste qui en serait à l’origine et de la compatibilité entre cette lésion et l’événement.

[4] Dans Instech Télécommunication inc. et Beauchamp[4], le tribunal a précisé qu’il ne lui appartenait pas de se servir de sa connaissance d’office aux fins de repousser la présomption de lésion professionnelle. C’est plutôt à l’employeur qui invoque l’absence de relation causale entre une lésion et un fait accidentel qu’incombe le fardeau de le démontrer au moyen d’une preuve prépondérante. Le tribunal a ajouté que la preuve requise de ce dernier devait aller au-delà de la simple preuve théorique et devait s’appuyer sur les éléments factuels, médicaux, techniques ou autres propres au dossier de l’espèce[5].

La présomption de lésion professionnelle a été repoussée : cas d’application

[5] Dans CHSLD Villa Soleil et Lauzon[6], la travailleuse avait chuté au travail à la suite d’une perte de conscience. Le tribunal a conclu que la présomption avait été renversée puisque la chute de la travailleuse était due à une cause non reliée au travail, soit la manifestation d’une condition personnelle de syncope. Le tribunal a précisé qu’une condition personnelle comme une perte de conscience ou une syncope dont la cause peut ou non être établie, même si elle se manifeste au travail, ne peut être indemnisable en vertu du régime géré par la CSST et qu’il en allait de même des conséquences qu’elle entraîne.

[6] Dans Coopérative de soutien à domicile de Laval et Lapointe[7], la travailleuse, qui avait évité une chute dans un escalier en battant des bras, bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour les diagnostics d’entorse cervico-dorso-lombaire et d’entorse de la cheville. Le tribunal a conclu que l’employeur avait repoussé la présomption. Alors que la preuve était contradictoire quant au mouvement réellement effectué par la travailleuse, il a retenu qu’il n’y avait aucun mécanisme de production d’une entorse. Tout comme l’expert de l’employeur, il a considéré que, si l’événement avait causé les pathologies, la travailleuse n’aurait pas été en mesure de poursuivre ses tâches pendant des heures après le traumatisme.

[7] Dans Champagne et Ville de Laval[8], le travailleur, qui s’était fait plaquer contre un mur par un collègue qu’il avait frappé au bras pour le taquiner, bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour le diagnostic de fracture des sixième et septième côtes. Le tribunal a conclu que l’employeur avait repoussé la présomption en démontrant que la lésion professionnelle était le résultat d’un événement qui n’était pas survenu par le fait ou à l’occasion du travail. En faisant référence à la jurisprudence qui considère comme critère déterminant le lien entre le travail et la raison de l’agression, le tribunal a retenu que l’origine de l’altercation du travailleur était une taquinerie qui n’avait aucun lien avec le travail ni aucune utilité en ce qui concerne l’accomplissement de celui-ci.

[8] Dans Simard et CSST Régional du Suroît[9], la travailleuse bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour le diagnostic de hernie discale L5-S1. Le tribunal a conclu que la présomption avait été repoussée, car ce diagnostic ne pouvait être relié au travail. Il a retenu que la symptomatologie présentée par la travailleuse, soit une douleur lombaire qui avait irradié par la suite dans la jambe droite, ne pouvait s’expliquer par les résultats des examens radiologiques. De plus, il a tenu compte du fait que cette dernière était porteuse de conditions personnelles de discopathie dégénérative L5-S1, de modifications discogéniques de type Modic I, puis Modic II, ainsi que d’arthrose facettaire bilatérale. En outre, le tribunal a relevé que la majorité des médecins qu’avait rencontrés la travailleuse avaient noté des signes de non-organicité.

[9] Dans Équipements Fabmec inc. et Bilodeau[10], le travailleur, un soudeur-mécanicien, bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour le diagnostic d’atteintes nerveuses post-traumatiques aux mains. Il avait ressenti un choc alors que sa main gauche se trouvait sur une machine et que sa main droite tenait la garde d’une plateforme élévatrice qui venait d’être branchée. Le tribunal a conclu que la présomption avait été repoussée par l’employeur, qui avait démontré l’absence de lien de causalité. En effet, il a retenu des vérifications faites par le chef électricien à la suite de l’événement que la plateforme élévatrice était normale, les mesures prises ne révélant pas de voltage ni d’ampérage inhabituels. De plus, la machine sur laquelle se trouvait la main gauche du travailleur n’était pas reliée à une source électrique. Le tribunal a donc conclu qu’il ne pouvait y avoir eu une différence de potentiel entre les mains du travailleur et, de ce fait, qu’il ne pouvait y avoir eu électrisation. Quant à la possibilité que les blessures aient été causées par un choc statique, le tribunal a retenu qu’une décharge électrostatique n’était pas dangereuse en soi.

[10] Dans Entreprises D. Émond inc. et Massé[11], la travailleuse avait ressenti une douleur en donnant un coup vers l’arrière avec le bras pour décrocher un sac de médicaments accroché tel un cintre sur une tablette située en hauteur. Le tribunal a conclu que la présomption de lésion professionnelle avait été repoussée en l’absence de lien de causalité entre l’événement et le diagnostic de synovite acromioclaviculaire et sternoclaviculaire avec tendinopathie associée à l’épaule. Il a retenu que les gestes traumatiques ciblés par la travailleuse, sans pour autant être qualifiés d’insignifiants, étaient quand même usuels et anodins. De plus, il a précisé que la perspective que ces mêmes gestes soient à l’origine de la très longue liste de traitements de physiothérapie, d’ergothérapie et d’acupuncture le surprenait.

[11] Dans Gestion Hunt Groupe Synergie inc. et Darsigny-Moquin[12], le tribunal a conclu que la présomption de lésion professionnelle avait été renversée alors qu’il avait pu visualiser une bande vidéo de la totalité de la prestation de travail de la travailleuse le jour de l’événement. De cette preuve il a retenu qu’à aucun moment cette dernière n’avait fait de geste de nature à lui causer une entorse cervicale.

Cas où la présomption de lésion professionnelle n’a pas été repoussée

[12] Dans Williamson et CA Marcelle Ferron inc.[13], la travailleuse, qui avait ressenti un claquement et une douleur en lançant un sac de vidanges dans un conteneur, bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour un diagnostic de syndrome douloureux régional complexe secondaire à une ténosynovite de De Quervain. Afin de repousser la présomption, l’employeur avait fait entendre son expert, qui avait principalement fait reposer son opinion sur le fait que la relation entre le diagnostic de ténosynovite de De Quervain et l’événement était peu probable en raison du délai de deux mois qui s’était écoulé avant que la travailleuse n’informe l’employeur et qu’elle ne consulte un médecin. Le tribunal a retenu qu’il s’agissait d’une conclusion de la nature d’une opinion juridique plutôt que d’une inférence médicale. Par ailleurs, l’expert de l’employeur basait son argumentation sur la thèse selon laquelle la travailleuse avait présenté une tendinite de De Quervain au sens propre du terme, sans aborder véritablement la possibilité qu’une telle lésion soit de nature traumatique. Le tribunal a plutôt retenu l’avis du médecin consulté par la travailleuse en vue de l’audience, qui a relié la pathologie en fonction du site des douleurs décrites, donnant ainsi un sens plus «général» à la notion de «tendinite de De Quervain». Il a donc conclu que l’employeur n’avait pas repoussé l’application de la présomption.

[13] Dans Fenêtres Panorama inc. et Kruhliy (Succession de)[14], le travailleur bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour les diagnostics de gril costal gauche et de fracture de la 11e côte. Le médecin désigné par l’employeur était convaincu, en se fondant sur son expérience, que la côte fracturée était le fait de la condition personnelle de cancer qui rongeait la colonne et le thorax du travailleur. Il avait conclu du dossier que les métastases étaient déjà présentes lors de l’événement initial, étant donné l’évolution atypique de la contusion, devenue de plus en plus douloureuse avec le temps au lieu de disparaître, et compte tenu de la découverte d’une côte fracturée près de six semaines après l’événement alors que, si ce dernier en était responsable, elle aurait dû être découverte immédiatement. Le tribunal a retenu que cette théorie ne s’appuyait sur aucune preuve et que, sans autre appui médical, elle constituait une hypothèse. Il a précisé que, pour démontrer que la fracture de la 11e côte constituait une lésion pathologique et non une lésion traumatique, il aurait fallu démontrer que des métastases se trouvaient à cet endroit. Le tribunal a donc été d’avis que l’effet de la présomption de lésion professionnelle, conjugué à l’absence de contestation médicale, faisait en sorte que les diagnostics de contusion et de fracture de côte constituaient des lésions professionnelles.

[14] Dans Supermarché J.& S. Quenneville inc. et Rioux[15], le travailleur, un commis d’épicerie, avait été retrouvé inconscient au sol alors qu’il s’affairait à replacer des marchandises sur les étagères. Le tribunal a conclu qu’il bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour le diagnostic de traumatisme crânien modéré avec hématome temporal. Afin de repousser la présomption, l’employeur prétendait que la chute du travailleur n’était pas survenue par le fait ou à l’occasion du travail. Il soutenait que la cause probable de celle-ci était une crise d’épilepsie. Or, la preuve démontrait que le travailleur n’avait jamais fait de crise d’épilepsie auparavant. Le tribunal a retenu que dans une telle situation la preuve devait démontrer la présence d’un facteur causal permettant d’expliquer la survenance d’une première crise à ce moment, ce qu’elle ne démontrait pas. Il a donc conclu que la preuve ne révélait pas la présence d’une condition personnelle pouvant expliquer la perte de conscience du travailleur et la chute qui avait suivi celle-ci. La présomption de lésion professionnelle n’a donc pas été repoussée.

[15] Dans Société de transport de Laval et Clerk[16], la travailleuse, une chauffeuse d’autobus ayant ressenti une douleur en roulant avec son autobus dans un nid-de-poule, bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour le diagnostic d’entorse lombaire. L’employeur a tenté de la repousser en faisant notamment entendre un orthopédiste expert qui a fait une démonstration mathématique voulant que le choc subi par la travailleuse soit l’équivalent d’une collision n’excédant pas 15 kilomètres/heure qu’il faut, selon la littérature médicale, une collision à plus de 18 kilomètres/heure pour causer une entorse cervicale. De plus, ce dernier était d’avis que, pour causer une lésion au rachis lombaire, la collision devait être d’une vitesse beaucoup plus élevée, étant donné que la colonne cervicale est davantage exposée que la colonne lombaire au moment de l’impact. Le tribunal a précisé qu’il était particulier que cette preuve soit apportée par un orthopédiste alors que deux ingénieurs en mécanique avaient témoigné et n’avaient pas repris à leur compte la thèse de l’expert de l’employeur. Il a retenu que l’opinion de l’orthopédiste débordait de son champ d’expertise puisqu’elle relevait plus du génie mécanique que de la médecine. Par ailleurs, le tribunal a précisé qu’il ne partageait pas l’avis de la CLP, dans certaines affaires, qui imposent au travailleur l’obligation de démontrer une défectuosité de la suspension ou d’une composante de l’autobus. Il est plutôt d’avis qu’un véhicule en bonne condition peut causer une blessure lorsqu’il percute un nid-de-poule ou un obstacle sur la route. Le tribunal a donc conclu que la présomption n’avait pas été repoussée.

[16] Dans Côté et Excellence Dodge Chrysler Vaudreuil[17], la travailleuse bénéficiait de la présomption de lésion pour le diagnostic d’entorse cervicodorsale. Afin de la repousser, l’employeur prétendait notamment que le geste effectué par la travailleuse n’impliquait pas le mécanisme décrit dans le dictionnaire médical Larousse, soit un mouvement brutal de l’articulation lui faisant dépasser les amplitudes normales. Le tribunal a retenu que cette définition classique de l’entorse, si elle cadrait bien avec un traumatisme visant une articulation, devait être prise avec un certain discernement lorsqu’il s’agissait du rachis. D’ailleurs, il a précisé que les exemples cités dans la définition faisaient référence au genou et à la cheville plutôt qu’à la colonne cervico-dorso-lombaire. Le tribunal a conclu que le simple fait pour l’employeur d’alléguer, sans opinion médicale à l’appui, que le mouvement en cause ne correspondait pas au mécanisme classique d’une entorse cervico-dorsale n’était pas suffisant pour renverser la présomption.

[17] Dans Distributions Mondoux inc. et Decelles[18], la travailleuse bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour le diagnostic d’entorse dorso-lombaire. Contrairement aux prétentions de l’employeur, le tribunal a été d’avis que le geste décrit par la travailleuse, soit celui de faire une rotation avec une charge de 15 à 20 livres, présentait le caractère de «faux mouvement» susceptible de causer une entorse. Il a précisé que d’exiger de la travailleuse qu’elle prouve un mouvement de distorsion à la suite d’un déséquilibre ou d’un manque de contrôle sur une charge équivaudrait à lui demander de faire la preuve d’un événement imprévu et soudain, ce qui rendrait illusoire l’application de l’article 28 LATMP.

[18] Enfin, dans J.P. Gendron inc. et Harrisson[19], la travailleuse, une chauffeuse dont le véhicule avait été percuté par l’arrière lors du transfert d’un patient, bénéficiait de la présomption de lésion professionnelle pour le diagnostic d’entorse cervicale et d’entorse lombaire. Le tribunal a été d’avis que la photographie produite par l’employeur, qui montrait une personne de même taille que la travailleuse, assise au volant d’un véhicule de même type que celui de cette dernière, dans une position idéale de conduite, ne pouvait permettre de renverser la présomption. Il a retenu que la position de conduite d’une personne faisait difficilement foi de celle d’une autre personne, d’autant plus que la photographie n’avait pas été prise lors de la conduite du véhicule, mais plutôt au moment où celui-ci était immobilisé. Le tribunal a également conclu que le témoignage de la conductrice mise en cause dans l’accident n’était pas de nature à renverser la présomption. En effet, bien que cette dernière ait témoigné que l’impact avait été minime et que sa voiture n’avait pas subi de dommages, le tribunal a plutôt retenu de la photographie du pare-chocs arrière du véhicule conduit par la travailleuse qu’il y avait eu un impact suffisamment important pour le décrocher en partie. De plus, il a tenu compte du fait que la travailleuse et la personne qui l’accompagnait avaient dû consulter immédiatement après avoir terminé le transfert qu’elles effectuaient.

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