Introduction

[1] Les 53 professions dont l’exercice est réglementé au Québec[1] sont regroupées sous 45 ordres professionnels, dont la mission principale consiste à protéger le public[2]. En plus de contrôler la compétence et l’intégrité de ses membres, auxquels il impose un code de déontologie, de surveiller l’exercice de la profession et de favoriser le développement de la profession, notamment en obligeant ses membres à une formation continue, chaque ordre professionnel est appelé à gérer le processus disciplinaire. Le présent article, qui se consacrera à détailler le cheminement de la plainte disciplinaire déposée contre un professionnel, à la lumière des récents développements jurisprudentiels, se penchera sur la plainte en elle-même ainsi que sur le rôle du syndic et des différentes instances appelées à se prononcer sur son bien-fondé.

Dispositions législatives pertinentes

Le Code des professions

[2] La loi cadre du système professionnel est le Code des professions. La section VI (art. 109 à 115) prévoit la formation d’un comité d’inspection professionnel au sein de chaque ordre et la section VII (art. 115.1 à 182) se penche sur la constitution du conseil de discipline, qui est composé d’un président, un avocat ayant au moins 10 ans de pratique, et de 2 autres membres désignés par le conseil d’administration de l’ordre parmi les membres de celui-ci. L’article 116 C.prof. énonce quant à lui que le Conseil de discipline «est saisi de toute plainte formulée contre un professionnel pour une infraction aux dispositions du présent code, de la loi constituant l’ordre dont il est membre ou des règlements adoptés conformément au présent code ou à ladite loi». Par ailleurs, les articles 121 et ss. prévoient la nomination du syndic et des syndics adjoints, correspondants et ad hoc, le cas échéant, ainsi que les pouvoirs d’enquête du syndic. L’article 123.3 énonce quant à lui la constitution d’un comité de révision ayant pour fonction de donner à toute personne qui le lui demande et qui a demandé au syndic la tenue d’une enquête un avis relativement à la décision d’un syndic de ne pas porter une plainte. Les articles 126 et ss. portent quant à eux sur l’instruction de la plainte et les articles 150 et ss., sur les décisions du conseil et les sanctions pouvant être imposées au professionnel déclaré coupable. Enfin, le Code des professions prévoit notamment que l’appel des décisions rendues par un conseil de discipline est entendu par le Tribunal des professions, qui est institué en vertu de l’article 162 et qui est formé de juges de la Cour du Québec.

Lois, règlements et codes de déontologie

[3] Au Code des professions s’ajoutent les 25 lois professionnelles particulières[3] qui confèrent aux membres des professions visées le droit exclusif d’exercer leurs activités. De plus, différents règlements viennent compléter la législation professionnelle. Enfin, on ne peut passer sous silence les codes de déontologie découlant des différentes lois régissant les professionnels, le cas échéant, afin de déterminer, en application de l’article 87 C.prof., les devoirs et obligations dont doit s’acquitter de tout membre de l’ordre visé. Plus précisément, l’article 117.3 C.prof. prévoit que :

Le code de déontologie énonce les règles de conduite et les devoirs des membres des conseils de discipline envers le public, les parties, leurs témoins et les personnes qui les représentent; il indique, notamment, les comportements dérogatoires à l’honneur, à la dignité ou à l’intégrité des membres des conseils de discipline. Il peut en outre déterminer les activités ou situations incompatibles avec la charge qu’ils occupent, leurs obligations concernant la révélation de leurs intérêts ainsi que les fonctions qu’ils peuvent exercer à titre gratuit.

La demande d’enquête

[4] Dans le cas où une personne croit qu’un professionnel a contrevenu à son code de déontologie ou qu’il a enfreint une autre disposition encadrant l’exercice de sa profession, elle peut demander, par écrit, au syndic de l’ordre dont le professionnel est membre de faire enquête[4].

[5] À la suite de son enquête, c’est le syndic qui portera plainte devant le conseil de discipline. Il peut toutefois décider de transmettre la demande au comité d’inspection professionnelle ou encore de ne pas porter plainte. Dans l’un ou l’autre cas, il devra aviser par écrit la personne qui a requis la tenue de l’enquête de sa décision (art. 123 C.prof.). Dans le cas où le syndic a refusé de porter plainte, la personne qui a requis la tenue d’une enquête peut demander l’avis du comité de révision. Elle peut aussi choisir de porter plainte elle-même.

Qui peut déposer une plainte?

Engel c. Lack

[6] Au cours des dernières années, des décisions intéressantes ont été rendues concernant l’intérêt à porter plainte[5]. L’une d’elles, Engel c. Lack[6], rendue par le Tribunal de professions, est venue préciser l’interprétation à donner à l’alinéa 2 de l’article 128 C.prof. À cet égard, le Tribunal a indiqué que cette disposition législative n’oblige pas une personne qui désire porter plainte contre un professionnel à déférer préalablement le dossier au syndic de l’ordre professionnel. Une plainte peut être portée directement par la personne, bien que généralement elle le soit après que le syndic lui-même a refusé de porter plainte. Le Tribunal a également mentionné que :

[37] Il n’est de surcroît pas requis que «toute autre personne» dont il est question à l’article 128 du C. prof., soit la victime de l’infraction disciplinaire reprochée au professionnel. Il peut arriver qu’une personne soit témoin d’un acte dérogatoire à la déontologie professionnelle posé à l’égard d’une personne qui n’a pas conscience de cet acte et qu’elle veuille, pour la protection du public, porter plainte contre le professionnel concerné, de manière à ce que de telles situations ne se reproduisent plus.

[38] Par ailleurs, depuis 2007, l’article 143.1 du C. prof. prévoit que le président du conseil ou le président suppléant peut, sur requête, rejeter une plainte qu’il juge abusive, frivole ou manifestement mal fondée ou l’assujettir à certaines conditions. Au surplus, le troisième alinéa de l’article 151 prévoit quant à lui que le président ou le président suppléant qui rejette une plainte en vertu de l’article 143.1 peut condamner le plaignant au paiement des déboursés.

[39] De plus, dans la seconde partie du 2e alinéa de l’article 128 du C. prof., le législateur précise implicitement que la personne qui portera plainte de mauvaise foi pourra être poursuivie en justice. Finalement, aux articles 151 et 175 du Code des professions, il est spécifié que la personne qui a porté plainte conformément au second alinéa de l’article 128 ne peut être condamnée aux déboursés, par le Conseil de discipline ou le Tribunal selon le cas, que si le professionnel est acquitté sur tous les chefs de la plainte et que celle-ci est abusive, frivole ou manifestement mal fondée.

[40] Il semble donc que le législateur ait voulu sanctionner après coup une personne qui porte plainte de façon inconsidérée, plutôt que de lui imposer des conditions préalables au dépôt de la plainte.

[7] Cette décision a été citée à maintes reprises depuis, notamment dans Lalonde c. Chassé[7], où le syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec tentait de porter plainte contre des optométristes.

Lalonde c. Chassé

[8] Dans cette affaire, le Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec avait initialement été saisi, en février 2012, d’une requête visant à déterminer si le plaignant privé avait un intérêt suffisant. Cette requête avait été présentée par une optométriste qui faisait, avec d’autres, l’objet d’une plainte lui reprochant d’avoir contrevenu à l’article 14 du Code de déontologie des optométristes[8], aux articles 16 et 25 de la Loi sur l’optométrie[9] ainsi qu’à l’article 59.2 C.prof., et ce, en omettant de s’assurer du respect de la Loi sur l’optométrie et du Code des professions par une personne non membre de l’Ordre des optométristes du Québec ou de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec qui travaillait dans un de ses lieux d’exercice de la profession, celle-ci ayant procédé à l’ajustement de lentilles ophtalmiques par la prise de mesures lors de l’achat et lors de la livraison. Le Conseil a retenu que le plaignant privé n’avait aucun intérêt direct, personnel et particulier et qu’il n’était pas plus opportun de lui reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public. Concluant que de permettre à un syndic d’agir en qualité de plaignant privé sans motif pour des gestes commis par des membres de divers ordres reviendrait à dénaturer complètement la fonction de syndic, le Conseil a déclaré que le plaignant privé Lalonde n’avait pas l’intérêt requis pour porter une plainte contre l’intimée et, par conséquent, il a rejeté la plainte.

[9] Le Tribunal des professions[10] a infirmé cette décision. Il a, pour sa part, conclu non seulement que le plaignant Lalonde avait un intérêt personnel, mais qu’il pouvait également revendiquer un intérêt public pour porter la plainte contre l’intimée. Quant à l’intérêt personnel, il a notamment indiqué que :

[47] Le membre d’un ordre professionnel a certes intérêt à ce que les exigences posées dans le code de déontologie d’un autre ordre professionnel soient respectées, si le non-respect de l’une ou l’autre des dispositions qui y sont contenues se répercute sur sa profession.

[48] Que les autres membres de la profession aient le même intérêt n’enlève pas à l’appelant son intérêt direct, personnel et particulier.

[10] En ce qui a trait à l’intérêt public, il a précisé que :

[52] L’intérêt en droit disciplinaire s’évalue en prenant en compte que la finalité de ce droit est la protection du public.

[53] L’article 23 du Code des professions  précise qu’il s’agit de la principale fonction d’un ordre professionnel; il est aussi prévu, au deuxième alinéa de cette disposition législative, que chaque ordre «doit notamment contrôler l’exercice de la profession par ses membres».

[54] Une plainte disciplinaire vise à faire évaluer par un conseil de discipline la conduite d’un professionnel dans l’exercice de sa profession.

[55] Les lois professionnelles et les codes de déontologie existent principalement pour la protection du public. Le public a droit de recevoir des services dispensés par des personnes compétentes et habilitées à le faire. Si tel n’est pas le cas, sa protection risque d’être compromise.

[56] Ne pas reconnaître à l’appelant l’intérêt pour porter plainte aurait pour effet de faire en sorte que des infractions à ce stade-ci tenues pour avérées, demeurent non sanctionnées d’un point de vue déontologique.

[11] Enfin, le Tribunal a souligné que l’emploi de l’expression «plainte privée» pour désigner la plainte portée en vertu du second alinéa de l’article 128 C.prof. était une création de la jurisprudence ne se retrouvant pas dans le libellé de cette disposition, qui visait à distinguer une telle plainte de celle portée par le syndic, et il a indiqué que, dans un cas comme dans l’autre, il s’agissait essentiellement de plaintes.

Le rôle du syndic

[12] Il importe maintenant de se pencher sur le rôle du syndic. À cet égard, il est intéressant de rappeler les propos tenus par la Cour d’appel à ce sujet dans Landry c. Richard[11]. La Cour était alors saisie d’un appel interjeté contre un jugement rendu par la Cour supérieure[12] ayant accueilli trois requêtes en révision judiciaire et déclaré que les plaintes disciplinaires déposées contre les syndics intimés par les appelants, soient ceux-là mêmes qui faisaient l’objet d’une enquête dirigée par les intimés, étaient irrecevables :

[71] Il ressort de toutes ces décisions le principe cardinal qui reconnaît l’étanchéité entre les syndics, d’une part, et l’ordre professionnel, d’autre part, pour permettre aux premiers d’accomplir leur mission en toute indépendance, réelle et apparente.

[72] Cet objectif se comprend aisément lorsque vient le temps de décrire les fonctions de syndic. Ce dernier a le pouvoir de faire enquête concernant une infraction commise par un professionnel soumis au Code des professions, proposer la conciliation, prêter serment pour assurer la confidentialité, déposer une plainte devant le comité de discipline, requérir la radiation provisoire du professionnel, dévoiler sa preuve à la partie adverse, administrer et présenter la preuve et, le cas échéant, plaider sur lapeine.

[73] Son rôle de dénonciateur et d’enquêteur explique en partie l’indépendance dont il doit bénéficier. L’importance de ses fonctions doit également le mettre à l’abri des menaces, de l’intimidation et des actes qui découlent de motifs obliques.

[13] Le syndic a donc la responsabilité de faire enquête sur toute information indiquant qu’un professionnel aurait commis une infraction au Code des professions, à la loi constituant l’ordre ou aux règlements adoptés conformément au code ou à la loi et, dans le contexte de cette enquête, il peut exiger qu’on lui fournisse tout document et tout renseignement relatif à cette enquête (art. 122 C.prof.). Puis, il lui appartient de décider s’il portera plainte ou non, auquel cas sa décision est susceptible de révision.

[14] Il peut également, comme le rappelait la Cour d’appel, proposer la conciliation suivant les prescriptions de l’article 123.6 C.prof.

[15] Dans le cas où il décide de porter plainte, il appartient alors au syndic de rédiger celle-ci. De plus, par sa plainte, le syndic peut requérir, avant même que ne soit prononcée la déclaration sur culpabilité, la radiation ou la limitation provisoire du professionnel en cause (art. 130 C.prof.). Il est à noter que l’importance du rôle du syndic est telle qu’il peut déposer une plainte disciplinaire ou demander une radiation provisoire dans le cas où un professionnel entrave son enquête (art. 114 et 122 C.prof.).

[16] Enfin, il y a lieu de mentionner que l’article 193 paragraphe 2 C.prof. prévoit que le syndic ne peut être poursuivi en justice en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de ses fonctions. Dans ce cas, il s’agit d’une immunité relative. De plus, il bénéficie d’une immunité contre les recours disciplinaires, en application de l’article 116 alinéa 4 C.prof. Le Conseil de discipline du Barreau du Québec a récemment rappelé que celle-ci est totale et complète[13].

Le libellé de la plainte

[17] Le Code des professions exige que la plainte soit faite par écrit, qu’elle soit appuyée du serment du plaignant et qu’elle indique sommairement la nature et les circonstances de temps et de lieu de l’infraction reprochée au professionnel (art. 127 et 129).

[18] Par ailleurs, le libellé de la plainte a également son importance, tout comme le choix de la ou des dispositions de rattachement. À titre d’exemple, le Tribunal des professions[14] a accueilli l’appel d’une décision sur culpabilité du Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec[15] après avoir analysé la formulation des chefs de la plainte choisie par la syndic adjointe intimée :

[45] En précisant comme elle l’a fait dans chacun des chefs de la plainte l’acte reproché à l’appelante qu’elle considère dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de la profession, l’intimée limite la portée plus générale de l’article 59.2 C. prof.

[…]

[47] Pour satisfaire à son fardeau de preuve, au regard des chefs de la plainte tels qu’ils sont formulés, l’intimée devait prouver que l’appelante avait utilisé les sommes perçues à des fins autres que les remises de TPS et de TVQ. À défaut d’une preuve prépondérante à cet égard, l’appelante n’avait pas à faire la preuve qu’elle n’a pas utilisé les sommes d’argent à des fins autres. Elle devait conséquemment être acquittée.

[19] Dans Prévost c. Tribunal des professions[16], où la rédaction de la plainte était au cœur du litige, le syndic ad hoc reprochait au Tribunal des professions d’avoir erré en considérant déraisonnablement que le droit à une défense pleine et entière du professionnel en cause, un avocat, avait été mis en péril en raison de la rédaction de la plainte disciplinaire, tandis que le professionnel faisait valoir que la relation avocat-client était au coeur de celle-ci et que les exigences de la rédaction en vertu de l’article 59.2 C.prof. «en faisaient un élément essentiel à prouver et non un détail superfétatoire[17]». Selon lui, le syndic ad hoc «avait l’obligation de décrire le comportement reproché avec précision en référant à la disposition omnibus qu’est l’article 59.2 du Code des professions et d’en faire la preuve, tel que libellé dans la plainte[18]».

[20] La Cour supérieure a rejeté la requête en révision judiciaire du syndic ad hoc de la décision du Tribunal des professions[19] ayant acquitté le professionnel après avoir rappelé que :

[65] Le Tribunal des professions conclut donc que le Syndic ad hoc était lié par la rédaction de la plainte et qu’il aurait dû formuler deux chefs d’infraction distincts s’il avait voulu obtenir une condamnation en vertu de 59.2 du Code des professions sur la base de faits différents de ceux reprochés.

[66] Le Tribunal des professions a donc raison de conclure au rejet de la plainte parce que l’un de ses éléments essentiels, soit la relation avocat/client, n’a pas été prouvé; en effet, le Conseil avait considéré que Bélanger n’était plus l’avocat de Tellier et de Sibeca lors de l’infraction reprochée.

Tout en précisant que :

[70] Le Syndic ad hoc n’est pas blâmé pour la rédaction de la plainte; le Tribunal des professions conclut plutôt que le Syndic ad hoc doit vivre avec le libellé précis de la plainte, surtout quand l’infraction résulte de la disposition omnibus qu’est l’article 59.2 du Code des professions.

Un professionnel déclaré coupable d’accusations criminelles

[21] Dans le cas où un professionnel a fait l’objet d’accusations criminelles et qu’il a été déclaré coupable d’une infraction en lien avec l’exercice de la profession, le syndic peut saisir le conseil de discipline, par voie de plainte, afin que celui-ci rende une décision sur sanction, comme le prévoit l’article 149.1 C.prof.

[22] À titre d’exemple, une infirmière auxiliaire reconnue coupable de deux chefs d’accusation[20] relatifs au vol d’une somme d’argent d’une valeur ne dépassant pas 5 000 $ et de l’utilisation d’une carte de crédit en sachant qu’elle avait été obtenue, fabriquée ou falsifiée par suite de la commission d’une infraction au Canada s’est vu imposer une période de radiation temporaire de deux semaines, et ce, bien qu’une absolution conditionnelle lui eût été accordée.

[23] Dans un autre dossier[21], le Conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, après avoir constaté la condamnation de l’infirmière intimée au regard d’accusations criminelles pour avoir omis d’obtempérer à un ordre que lui avait donné un agent de la paix, avoir eu la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue et avoir volontairement entravé deux agents de la paix agissant dans l’exécution de leurs fonctions, a déterminé qu’il y avait un lien avec l’exercice de la profession et il lui a, en conséquence, imposé des périodes de radiations temporaires concurrentes de six mois.

[24] Un ingénieur junior s’est quant à lui vu imposer des périodes de radiations temporaires concurrentes de 12 mois[22] après que le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec eut constaté la condamnation de l’intimé à l’égard des infractions criminelles décrites dans la plainte déposée par le syndic adjoint pour avoir notamment frustré le ministère du Revenu du Québec d’une somme d’argent et avoir fait un faux document.

[25] Par ailleurs, il y a lieu de noter que des limitations ou des radiations temporaires ou même permanentes ont été imposées à des professionnels relativement à des condamnations criminelles pour des infractions de nature sexuelle[23].

Les instances disciplinaires

Le conseil de discipline

[26] Les plaintes doivent être reçues par le secrétaire du conseil de discipline ou par l’un de ses adjoints. Après avoir reçu la plainte et ouvert le dossier du greffe, le secrétaire du conseil de discipline doit faire signifier la plainte au professionnel intimé de la façon prévue au Code de procédure civile[24]. Une fois déposée, la plainte est entendue par le conseil de discipline (art. 116 et 117 C.prof.). Comme le prévoit l’article 144, le conseil doit permettre à l’intimé de présenter une défense pleine et entière.

[27] Par ailleurs, le président du conseil peut, sur requête, rejeter une plainte qu’il juge abusive, frivole ou manifestement mal fondée ou encore l’assujettir à certaines conditions comme l’énonce l’article 143.1 C.prof.

La décision sur culpabilité

[28] Le fardeau de la preuve appartient au plaignant. Il doit établir la culpabilité de l’intimé selon la prépondérance de preuve, ce qui s’apparente au droit civil. Si la preuve présentée devant le conseil de discipline est contradictoire, ce dernier est libre de retenir une version plutôt qu’une autre. La preuve devra cependant être de grande qualité, convaincante et dépourvue de toute ambiguïté. En application de la règle prohibant les condamnations multiples, une suspension conditionnelle des procédures peut être prononcée par le conseil[25].

La décision sur sanction

[29] Une fois que le bien-fondé de la plainte a été établi ou encore que le professionnel visé a plaidé coupable, le conseil devra se pencher sur la sanction qui devra lui être imposée. La fourchette des sanctions possibles va de la simple réprimande à la radiation permanente. Ainsi, un professionnel peut perdre le privilège d’exercer sa profession à la suite d’une déclaration de culpabilité. Il peut également faire l’objet d’amendes ou se voir imposer des périodes de limitation de son droit d’exercice ou de radiation temporaires.

[30] En outre, le conseil devra se prononcer sur la publication d’un avis de cette décision dans un journal du lieu où le membre a son domicile professionnel (art. 133 et 156 C.prof.).

[31] Afin de déterminer la sanction, le conseil est appelé à soupeser la gravité de l’infraction, le fait que le professionnel ait ou non un dossier disciplinaire, la nature de ces antécédents le cas échéant, les facteurs objectifs et subjectifs, les circonstances atténuantes et les circonstances aggravantes. Par ailleurs, il est fréquent que les parties soumettent une recommandation commune de sanction. Le Tribunal des professions en a récemment rappelé l’importance dans Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des)[26] et Chan c. Médecins (Ordre professionnel des)[27] en infirmant des décisions du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec qui avaient écarté les recommandations soumises par les parties pour en imposer de plus sévères[28] sans respecter les règles établies en pareille situation.

Appel et révision judiciaire

[32] L’appel d’une décision du conseil de discipline «ordonnant une radiation provisoire ou une limitation provisoire du droit d’exercer des activités professionnelles, accueillant ou rejetant une plainte, ou imposant une sanction» est entendu par le Tribunal des professions, comme l’énonce l’article 164 C.prof.[29]. En vertu de l’article 175, le Tribunal peut alors «confirmer, modifier ou infirmer toute décision qui lui est soumise et rendre la décision qui, à son jugement, aurait dû être rendue en premier lieu». Le syndic ou le professionnel visé par la plainte peut, par la suite, produire une requête en révision judiciaire de cette décision devant la Cour supérieure, dont le jugement pourra lui-même faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel. Enfin, la Cour suprême peut également accepter de se pencher sur certaines questions relevant du droit disciplinaire.

Conclusion

[33] Le recours disciplinaire fait partie des trois recours pouvant être exercés par une personne qui croit qu’un professionnel a fait preuve d’incompétence, de négligence ou d’un manque d’intégrité à son égard ou dans le traitement de son dossier ou encore a manqué à ses obligations professionnelles[30]. Quant aux deux autres recours possibles, il s’agit de celui relatif aux honoraires et du recours judiciaire. Il est à noter que ces trois types de recours peuvent être intentés en même temps lorsque les circonstances s’y prêtent. Par ailleurs, un professionnel, pour les mêmes agissements, pourrait aussi faire l’objet d’accusations criminelles. Enfin, dans un autre ordre d’idées, il y a également lieu de mentionner que le Code des professions prévoit que des procédures pénales peuvent être intentées contre ceux qui usurpent le titre de professionnels et exercent illégalement une profession (art. 188 et ss.). Enfin, il faut rappeler que la plainte disciplinaire, qu’elle soit déposée par un syndic ou par un tiers, ne vise pas simplement à réguler le comportement des professionnels visés mais a pour but ultime de protéger le public, d’où son importance.

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