La Loi réglementant certaines drogues et autres substances interdit la possession, la production et la distribution de cannabis. Toutefois, le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales crée une exemption à l’égard des personnes en mesure de démontrer qu’elles ont besoin de cannabis à des fins médicales. Mais, attention, ces personnes doivent fournir une déclaration de leur médecin attestant que les traitements médicaux conventionnels sont inefficaces ou encore qu’ils ne conviennent pas. Ce n’est que si ces exigences sont respectées que la personne est alors autorisée à posséder de la «marijuana séchée». Or, la Cour suprême vient de déclarer inopérantes les dispositions des articles 4 et 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances dans la mesure où elles interdisent à une personne détentrice d’une autorisation médicale de posséder des «dérivés de cannabis» à des fins médicales.
À l’origine de l’affaire, il y a M. Smith, qui travaillait pour le Cannabis Buyers Club of Canada, où l’on vendait des produits comestibles et topiques, tels des biscuits, des gélules, de l’huile à friction, des timbres transdermiques et du baume à lèvres à partir de composés actifs du cannabis. Accusé de possession de THC en vue d’en faire le trafic, ce dernier a soutenu que l’exemption accordée par le règlement combinée à l’interdiction de posséder de la marijuana prévue par la loi contrevenait à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, en vertu duquel chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, parce qu’elle limitait la possession légitime à la «marijuana séchée». Le juge lui a donné raison. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont confirmé cette décision. La Cour suprême a rejeté le pourvoi : «Le fait que le régime législatif restreigne l’accès à la marijuana à des fins médicales uniquement sous sa forme séchée limite de deux façons les droits garantis à l’art. 7.» (R. c. Smith.)
Le plus haut tribunal a retenu, d’une part, que l’interdiction prive les consommateurs de marijuana à des fins médicales de leur liberté en les exposant au risque d’être incarcérés s’ils sont reconnus coupables en vertu des articles 4 (1) ou 5 (2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et, d’autre part, parce qu’elle les prive de faire des choix médicaux raisonnables en raison de la menace de poursuites pénales. À cet égard, le tribunal s’exprime ainsi : «En l’espèce, l’État refuse aux gens qui ont déjà démontré leur besoin légitime de marijuana — un besoin auquel le régime législatif est censé répondre — la possibilité de choisir le mode d’administration de la drogue. Suivant la preuve acceptée par le juge de première instance, ce refus n’est pas banal; il expose les personnes visées aux risques de contracter un cancer ou des infections des bronches qui sont associés au fait de fumer de la marijuana sèche et les empêche de choisir un traitement plus efficace. En outre, en contraignant ces personnes à choisir entre, d’une part, un traitement légal, mais inadéquat et, d’autre part, une solution illégale, mais plus efficace, la loi porte également atteinte à la sécurité de la personne […]» (paragr. 18).
Le tribunal a considéré que la preuve appuyait amplement les conclusions tirées par le juge de première instance au sujet des avantages que comportent les autres formes de traitement à la marijuana. L’utilisation de formes non séchées de marijuana pour le traitement de pathologies graves a été jugée raisonnable sur le plan médical, ce qui fait dire à la Cour suprême que, en pareilles circonstances, la criminalisation de l’accès au traitement porte atteinte non seulement à la liberté, mais aussi à la sécurité de la personne.
Les dispositions pénales de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances n’ont pas été invalidées en entier. Les articles 4 et 5 ont été déclarés inopérants «dans la mesure où ils interdisent à une personne munie d’une autorisation médicale de posséder des dérivés du cannabis à des fins médicales» (paragr. 31). Il est à noter que la demande du ministère public de suspendre la déclaration d’invalidité pour que l’interdiction reste en vigueur en attendant une éventuelle réponse du législateur a été rejetée par le tribunal, qui l’explique ainsi: «Suspendre la déclaration d’invalidité ferait en sorte que les patients se retrouveraient sans traitement médical légal et que la loi et son application seraient laissées dans le flou» (paragr. 32).
Cette décision fait sûrement le bonheur des producteurs autorisés qui ne voient plus leur profit partir exclusivement en fumée…
Référence
R. c. Smith (C.S. Can., 2015-06-11), 2015 CSC 34, SOQUIJ AZ-51184110, 2015EXP-1813, J.E. 2015-1001, paragr. 16.
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