Devant un employé qui vient au travail sous l’effet de la drogue ou de l’alcool, quelles sont vos obligations?
D’abord, l’employeur a des obligations légales de protéger la santé et la sécurité du salarié au travail en vertu de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, de l’article 2087 du Code civil du Québec et de l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Afin de satisfaire à de telles obligations, l’employeur doit exercer ses droits de direction en faisant une gestion administrative et disciplinaire de la présence de l’alcool ou de la drogue dans l’entreprise.
Le volet administratif
L’employeur devrait adopter des politiques en matière d’alcool et de drogue dans le milieu de travail. Il est indiqué d’interdire la possession, la consommation ainsi que le trafic de telles substances sur les lieux du travail, de même que le fait d’être intoxiqué au travail et d’exécuter tout travail sous leur effet. Ce sont des politiques dites de «tolérance zéro» qui prévoient, notamment, que l’employé est passible de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement en cas de contravention.
Des tests de dépistage peuvent être faits à certaines occasions et conditions. La Cour suprême, dans Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, résume bien l’état de la jurisprudence arbitrale selon laquelle, dans un lieu de travail dangereux, l'employeur peut faire subir un test à un employé s'il a un motif raisonnable de croire que ce dernier a eu les facultés affaiblies dans l'exercice de ses fonctions, a été impliqué dans un accident ou un incident de travail ou encore effectue un retour au travail après avoir suivi un traitement pour combattre l'alcoolisme ou la toxicomanie.
Par contre, un employeur ne peut choisir au hasard des employés afin de leur faire subir de tests sans préavis en invoquant l’occupation de postes considérés comme à risque et l’importance de protéger la santé et la sécurité du travail, car il s’agit d’une atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés, sauf s'il existe des indices d'un risque accru pour la sécurité, comme un problème généralisé d'alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail. Dans l’affaire Irving précitée, l'employeur n'a pas fait cette preuve.
Le volet disciplinaire
Un employé qui contrevient à la politique en matière de drogue ou d’alcool doit se voir imposer des sanctions disciplinaires. D’ailleurs, le pouvoir disciplinaire de l’employeur est l’un des moyens à sa disposition afin d’établir qu’il a rempli son obligation légale prévue à l’article 51 LSST de protéger la santé et la sécurité de ses employés.
Obligation d’accommodement raisonnable : portée et étendue
L’employé qui veut bénéficier d’une mesure d’accommodement doit être en mesure d’établir qu’il souffre d’un handicap, un motif de discrimination interdit par la Charte des droits et libertés de la personne. Dans la très grande majorité des cas, un diagnostic d’alcoolisme ou de toxicomanie (dépendance à l’alcool ou aux drogues) aura été posé à l’égard de cet employé.
L’employeur doit fournir à l’employé présentant un tel handicap des mesures d’accommodement lui permettant d’accomplir sa prestation de travail qui peuvent se traduire par :
- le fait de bénéficier du programme d’aide aux employés et la consultation d’un professionnel de la santé;
- la possibilité d'entreprendre une cure de désintoxication ou une aide financière accordée pour entreprendre une telle cure; dans certains cas, plus d’une cure sera nécessaire; et
- l’avantage de profiter d’un congé sans solde et le maintien du lien d’emploi pendant la période de la thérapie.
Plutôt que de procéder à un congédiement, l’employeur peut offrir à l’employé de signer une entente dite «de dernière chance». Par cette entente, l’employé s’engage à respecter certaines conditions qui y sont prévues, telles que son obligation de consulter un professionnel de la santé, de suivre une cure, de se soumettre à un test de dépistage ainsi que de demeurer abstinent. Cette entente prévoit le congédiement en cas de contravention à l’entente. Toutefois, malgré les engagements pris, l’obligation d’accommodement demeure.
Par ailleurs, dans Hydro-Québec, la juge Deschamps a établi que l’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation du travail ne peuvent plus être respectées par l’employé dans un avenir prévisible.
Ainsi, avant de congédier un employé souffrant d’une dépendance et ayant un absentéisme excessif, l’employeur doit établir l’incapacité de l’employé à fournir une prestation de travail normale dans un avenir prévisible. À ce sujet, il devrait donner un mandat clair à un expert médical en toxicomanie pouvant émettre une opinion médicale quant à un pronostic de retour au travail.
Par ailleurs, le manque de collaboration de l’employé, notamment à l’occasion du suivi de conditions fixées par un médecin expert ou de son refus d’entreprendre une thérapie, justifie un congédiement.
Absence de diagnostic
Il a été décidé que l'employeur n'avait pas d'obligation d'accommodement à l'égard d’employés qui n'avaient jamais fait part à un médecin de leur consommation de drogue ou d'alcool et à l’égard desquels l’employeur ne pouvait connaître leur état de santé avant le congédiement. Cette mesure disciplinaire a été confirmée.
Par contre, la jurisprudence arbitrale a déjà reconnu que l’employeur avait une obligation d’accommodement même si l'alcoolisme n'avait pas été diagnostiqué, car il avait été informé par le syndicat que l’employé avait fait appel au programme d’aide aux employés et qu'il devait suivre une cure fermée de désintoxication.
Trafic et intoxication
La consommation d’alcool ou de drogues ne signifie pas nécessairement que la personne est porteuse d’un handicap, pas plus que le fait d’être sous l’effet d’une substance interdite ou d’en faire le trafic au travail. L'intoxication qui peut altérer le jugement n'est pas un élément devant être pris en considération à l'égard de l'obligation d'accommodement de l'employeur.
Conclusion
Il n’en a pas été question dans cette chronique, mais le non-respect de l’employeur des règles de santé et de sécurité du travail entraîne pour lui un fardeau financier important découlant du financement du régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles, et la contravention à ses obligations légales peut même entraîner des poursuites criminelles et pénales.
Le laxisme de l’employeur dans ce domaine n’a donc carrément pas sa place…
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Références
- RLRQ, c. S-2.1, ci-après nommée «LSST».
- RLRQ, c. C-12, ci-après nommée «charte».
- (C.S. Can., 2013-06-14), 2013 CSC 34, SOQUIJ AZ-50976195, 2013EXP-2076, 2013EXPT-1167, J.E. 2013-1102, D.T.E. 2013T-418, [2013] 2 R.C.S. 458.
- Hydro-Québec et Syndicat des employées et employés de métiers, section locale 1500 (SCFP), (T.A., 2012-07-05), SOQUIJ AZ-50873368, 2012EXP-2988, 2012EXPT-1609, D.T.E. 2012T-561, [2012] R.J.D.T. 729.
- Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), (C.S. Can., 2008-07-17), 2008 CSC 43, SOQUIJ AZ-50502617, J.E. 2008-1438, D.T.E. 2008T-607, [2008] 2 R.C.S. 561.
- Syndicat des salariées et salariés d'entretien du RTC inc., CSN c. Provençal (C.S., 2012-07-03), 2012 QCCS 3454, SOQUIJ AZ-50875658, 2012EXP-2902, 2012EXPT-1556, J.E. 2012-1543, D.T.E. 2012T-538. Requête pour permission d'appeler rejetée, (C.A., 2012-09-12), 2012 QCCA 1608, SOQUIJ AZ-50893578.
- Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et Montréal (Ville de), (T.A., 2014-11-07), 2014 QCTA 910, SOQUIJ AZ-51122214, 2014EXPT-2266, D.T.E. 2014T-879.
- Syndicat national des salariés de Vicwest de Victoriaville (CSN) et Vicwest inc. (T.A., 2015-06-29), 2015 QCTA 660, SOQUIJ AZ-51202610, 2015EXPT-1615, D.T.E. 2015T-630; voir aussi : Infasco, division d'Ifastgroupe et Syndicat des métallos, section locale 6839 (T.A., 2013-05-06), SOQUIJ AZ-50963210, 2013EXPT-1075, D.T.E. 2013T-389.
J’ai bien lu la chronique. Toutefois, je me pose la question suivante. Lorsque je travaillais au gouvernement du Canada, aucune boisson alcoolisée n’était tolérée sur les lieux du travail, incluant les espaces extérieures. Quelle est la règle pour le gouvernement du Québec? Je suis assez surprise de voir que les boissons alcoolisées sont tolérées sur les lieux du travail.