Il y a quelques années, la première saison d’une série télévisuelle, En Thérapie, basée sur la série originale israélienne Be Tipul, présentait la crise existentielle d’un psychologue, notamment séduit par l’une de ses patientes, étudiante en médecine. La fiction est ici le reflet d’une réalité qui a été analysée à maintes reprises par les différents conseils de discipline.

Abus de la relation professionnelle

Rappelons que l’article 59.1 du Code des professions est très clair sur la conduite à suivre pour les professionnels. Il y est précisé que «le fait pour un professionnel, pendant la durée de la relation professionnelle qui s’établit avec la personne à qui il fournit des services, d’abuser de cette relation pour avoir avec elle des relations sexuelles, de poser des gestes abusifs à caractère sexuel ou de tenir des propos abusifs à caractère sexuel» constitue un acte dérogatoire à la dignité de sa profession.

De plus, les sanctions minimales désormais prévues pour ce genre d’infraction sont une période de radiation temporaire de cinq ans ainsi qu’une amende de 2 500 $. Le professionnel peut toujours tenter de convaincre son conseil de discipline qu’une radiation d’une durée moindre serait justifiée dans les circonstances mais, jusqu’à maintenant, la clémence du conseil a été invoquée en vain.

Relation amoureuse

En ce mois de la Saint-Valentin, il y a lieu de se poser la question: qu’en est-il si un professionnel, touché par la flèche de Cupidon, entreprend une relation amoureuse avec une personne rencontrée dans un contexte où il agissait à titre de professionnel?

Voici quelques cas de figure tirés de la jurisprudence des conseils de discipline.

Relation avec la mère d’un patient

Un infirmier a été radié un an après avoir reconnu qu’il avait établi, durant la relation professionnelle, des liens d’amitié, amoureux ou sexuels avec la mère d’une jeune patiente. Au moment de rendre sa décision, le Comité de discipline des infirmières et infirmiers du Québec mentionnait que l’infirmier et la mère de la patiente avaient emménagé ensemble et qu’ils cohabitaient toujours avec l’enfant.

Pour le Comité, que l’intimé ait ainsi rencontré la femme de sa vie ne changeait rien au fait que son comportement devait être sanctionné, soulignant que :

[35]            Le comité de discipline ne peut non plus passer sous silence le fait que l’intimé pratiquait au département d’hémato-oncologie, où il avait à traiter une enfant gravement malade dont la mère, récemment séparée de son conjoint, était très certainement vulnérable, dans les circonstances. Le comité ne peut reprocher à cette dernière d’être tombée amoureuse de l’intimé. C’est à lui qu’il revenait d’imposer les limites et de respecter ses obligations déontologiques, qui, rappelons-le, sont édictées dans le but de protéger le public et d’assurer que la nécessaire confiance dans le cadre du lien entre patient et infirmier soit préservée en tout temps et en toutes circonstances.

Relation avec un patient qu’elle connaissait depuis l’adolescence

Le Conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, a radié une infirmière durant une période de six mois après l’avoir déclarée coupable d’avoir établi des liens amoureux ou sexuels pendant la durée de la relation professionnelle avec un client. Elle connaissait ce dernier depuis l’adolescence, bien qu’ils ne se soient jamais fréquentés à cette époque.

Le Conseil note que «[m]algré son bagage, elle choisit d’ignorer les règles élémentaires qui doivent gouverner sa relation avec le client» (paragr. 48) et que c’est «en toute connaissance de cause qu’elle franchit la barrière qui devait protéger le client» (paragr. 50). En ce qui a trait à la gravité de l’infraction, le Conseil rappelle que : 

[65]    Même une relation sincère et stable ne peut ennoblir un comportement contraire aux règles fondamentales.

Relation avec une patiente traitée par un autre médecin

Dans une autre décision, cette fois du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec, il a été reproché à un médecin psychiatre d’avoir permis que se développe une relation intime avec une patiente alors qu’elle était hospitalisée et d’avoir poursuivi cette relation après l’hospitalisation. Ce qui était particulier, dans cette affaire, c’est que le professionnel n’avait pas été le médecin traitant de la patiente en cause.

Le médecin s’est vu imposer une période de radiation temporaire de deux mois pour son inconduite. Le Conseil a mentionné que «c’est à lui qu’incombait l’obligation d’imposer ses limites dès le départ, afin d’éviter de s’exposer à une telle situation et au surplus, de causer davantage de dommages à une patiente déjà vulnérable» (paragr. 35). Le Conseil a également souligné le danger que pouvait représenter ce type de relation pour un professionnel qui, en l’espèce, ne se limitait pas au seul fait d’être sanctionné.

[36]        Finalement, le Conseil ne peut également passer sous silence le danger que représente ce genre de relation avec une patiente, comme ce fut le cas dans la présente affaire et ce à la lumière de la preuve qui a révélé que la patiente a suivi et menacé l’intimé et même tenté de lui faire du chantage en le menaçant de le dénoncer auprès des responsables de son Centre hospitalier lorsqu’en désespoir de cause, elle a appris que ce dernier voulait mettre fin de manière définitive à leur relation.

Relation avec une patiente, dont le conjoint était également son patient

Pour sa part, le Conseil de discipline de l’Ordre des acupuncteurs du Québec a imposé une amende de 1 500 $ et une période de radiation temporaire de quatre mois à un acupuncteur déclaré coupable d’avoir commis un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession en développant une relation amoureuse et sexuelle avec sa patiente. Le Conseil mentionne :

[38]    Ainsi, que M. Larivière ait eu de réels sentiments envers la patiente ou non, il n’en demeure pas moins que ce type de comportement est totalement inadmissible. Établir une relation de cette nature est clairement prohibé et aucune exception ne peut être invoquée.

À titre de circonstances atténuantes, le Conseil indique:

[77]    En outre, M. Larivière et la patiente sont toujours unis par l’amour et font vie commune en date de ce jour. L’attachement affectif de M. Larivière démontre qu’il n’est pas « un être vil cherchant à assouvir ses seuls besoins ».

Par ailleurs, il y a lieu de noter que, dans cette affaire, le conjoint de la patiente en cause était également le patient de l’acupuncteur. Le Conseil a ajouté une période de radiation temporaire concurrente de trois mois au professionnel pour avoir ainsi trahi la confiance de son patient.

Relation avec un patient avant le début des traitements

Une acupunctrice a pour sa part été acquittée sous le seul chef de la plainte disciplinaire, qui lui reprochait d’avoir eu des relations sexuelles avec son client, dans une affaire où le conseil de discipline a indiqué :

[26]        Une relation amoureuse entre un professionnel et un client devrait être évitée, même après plusieurs années sans contact. Toutefois, le Conseil considère que la relation amoureuse entre Monsieur X. Y. et l’intimée est ici éthiquement acceptable notamment par la durée du temps écoulé depuis le traitement et la nature des traitements

[30]        Le Conseil constate que l’article 59.1 du Code des professions n’a pas pour effet de prohiber l’administration de traitements d’acupuncture à une personne avec laquelle le professionnel a déjà une relation amoureuse.

[31]        Le Conseil conclut que la relation professionnelle débutée avec le patient en 2005 avait pris fin lorsque ce dernier a repris contact avec l’intimée à l’automne 2010 et qu’ils ont une relation amoureuse par la suite.

[32]        Le Conseil estime que le plaignant n’a pas démontré que l’intimée a abusé de la relation professionnelle pour avoir des relations sexuelles avec son patient. L’intimée doit être acquittée.

Relation épistolaire avec une patiente

Dans une autre affaire, un psychologue s’est vu reprocher d’avoir entretenu une relation personnelle et amoureuse avec une cliente durant et après un suivi thérapeutique et d’avoir eu, à la fin de ce suivi, des rapports physiques de nature sexuelle avec elle. Il lui était également reproché d’avoir entretenu avec cette dernière une correspondance par l’entremise de courriels. Le professionnel en cause a reconnu sa culpabilité et il s’est vu imposer une radiation temporaire de neuf mois ainsi que des amendes totalisant 2 000 $. Dans cette affaire, le suivi thérapeutique s’était déroulé entre novembre 2014 et février 2015 et les consultations avaient eu lieu par téléphone. La cliente a fait parvenir un cadeau de remerciement ayant amené l’intimé à lui répondre par un courriel, auquel il a annexé un poème. Il ressort des courriels qu’ils ont échangés que leur relation a, par la suite, pris une tournure amoureuse. Selon son témoignage, le psychologue a cru que la relation thérapeutique était terminée et qu’il n’agissait pas en tant que psychologue lorsque la relation est devenue amoureuse. En ce qui a trait à la gravité de l’infraction, le Conseil de discipline de l’Ordre des psychologues du Québec mentionne que le client qui consulte un psychologue est vulnérable et susceptible de développer un lien d’attachement:

 [45]        Les modalités de ce lien d’attachement dans un contexte thérapeutique sont complexes. Le psychologue, et non le client, possède la formation pour reconnaitre les signes de manifestations transférentielles qu’on y retrouve.

[46]        C’est au professionnel de veiller au respect de ces frontières dans la relation psychologue-client.

[47]        Tel que l’indique la Cour suprême dans l’affaire Norberg c. Wynrib, c’est une obligation de fiduciaire qui est imposée aux psychothérapeutes et une obligation stricte de s’abstenir de sexualiser la relation.

[48]        Il s’agit forcément d’une situation de déséquilibre entre le client et l’intimé. Le risque d’un contre-transfert est toujours présent. C’est au professionnel de bien gérer ce genre de situation dans l’intérêt du client et non pas de l’alimenter pour répondre à ses propres besoins affectifs.

[49]        L’infraction n’est pas moins grave si l’initiative vient du client. Le Conseil rappelle que c’est au professionnel de maintenir les frontières de cette relation et ce, pour le bénéfice de son client, dont le bien-être psychologique et émotionnel doit demeurer sa priorité en tout temps.

Relation avec une doctorante

Un psychologue s’est, quant à lui, vu imposer une période de radiation temporaire d’une durée de deux mois ainsi qu’une amende de 2 000 $ après avoir été déclaré coupable en vertu de l’article 26 du Code de déontologie des psychologues . Il lui était reproché de s’être placé en situation de conflit d’intérêts et d’avoir manqué à son obligation d’indépendance professionnelle pendant la durée de la relation professionnelle à titre de superviseur professionnel d’une doctorante. Il aurait établi des liens amoureux, lui aurait offert des cadeaux et aurait fait des sorties avec elle. Le conseil de discipline a retenu que la supervision que devait faire le psychologue intimé était floue et ne faisait pas l’objet de limites clairement énoncées, et que ce dernier avait traité la doctorante comme une collègue à part entière en ne comprenant pas le lien d’autorité qu’il exerçait à l’égard de cette dernière. Le Conseil s’est questionné à savoir si la doctorante était une «cliente» au sens du code de déontologie. À ce sujet, il a précisé que l’article 1 du code de déontologie était assez large pour englober toute situation où le psychologue établit une relation professionnelle et rend des services professionnels, pour conclure :

[42]      C’est bien comme psychologue que l’intimé s’engage tant envers la doctorante qu’envers son ordre professionnel.

[43]      Il rend donc à la doctorante des services professionnels, ce qui fait de cette dernière une cliente au sens de la cause Maynard.

Relation avec le père de clients mineurs

Dans ce dernier cas de figure, une psychologue a été accusée d’avoir entrepris avec le père de deux jeunes clients une relation amicale, puis amoureuse. Le Conseil de discipline a conclu que la professionnelle intimée avait manqué à son devoir de maintenir une conduite irréprochable envers les deux enfants qu’elle avait suivis en thérapie ainsi qu’envers la mère des enfants en entreprenant une relation amicale puis amoureuse avec le père, peu de temps après la fin de la thérapie, et qu’elle avait également manqué à son devoir de maintenir une conduite irréprochable envers eux en gardant les enfants à coucher chez elle en présence du père.

Le Conseil s’est penché sur la nature de la relation professionnelle entre le père des enfants et la psychologue intimée :

[120]        Un délai de retenue de deux ans après la fin de la thérapie a été énoncé dans certaines décisions. C’est à ce délai que réfère l’expert Ravart.

[121]        Le Conseil est cependant d’avis que ces principes sont difficilement transposables au cas à l’étude puisque c’est du père dont il s’agit.

[122]        La relation professionnelle entre l’intimée et le père n’est pas de même nature que celle qui existe entre un psychologue et la personne qui reçoit des services thérapeutiques.

[123]        Le père ne peut pas être considéré comme une personne vulnérable face à l’intimée. Ce n’est pas lui qui avait besoin des services thérapeutiques de l’intimée, mais ses enfants. Les problématiques soumises concernaient l’affirmation de soi pour le garçon et le stress de performance pour la jeune fille. Au risque de se répéter, il ne s’agissait pas d’une thérapie familiale.

[124]        Le consentement du père à une relation personnelle ou intime avec l’intimée ne risquait donc pas d’être vicié.

Acquittée sous deux des quatre chefs d’accusation, la professionnelle s’est vu imposer des périodes de radiation temporaire concurrentes de une et de trois semaines.

Notons que, dans cette dernière affaire, le père en question se trouvait aussi à être le dentiste de la psychologue intimée, à laquelle il fournissait, ainsi qu’à sa famille, des soins dentaires depuis plusieurs années.

Conclusion

Certains professionnels sont plus à risque que d’autres, notamment les professionnels de la santé, mais les autres professionnels doivent également faire preuve de retenue et de prudence puisque les conseils de discipline du Barreau du Québec , de l’Ordre des agronomes , de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec  et celui des conseillers et conseillères d’orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec ont également eu à se pencher sur des infractions similaires. Rappelons que la relation qu’un professionnel a avec son client ou son patient peut être qualifiée de relation d’autorité puisqu’il a un ascendant sur ce dernier du simple fait de son titre ou des raisons pour lesquelles ses services sont requis et qui le rendent vulnérable.

Les flèches de Cupidon visent peut-être le cœur du professionnel, mais elles atteignent, du même coup, ses obligations déontologiques. En dehors de la fiction, entre un professionnel et son client ou patient, il semble que l’amour ne puisse se conjuguer, ni au présent ni au futur proche, mais plutôt au «futur lointain», à moins que le professionnel ne se soucie d’en répondre à son ordre professionnel et de subir les conséquences de cette transgression des limites de la relation professionnelle.

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