Publié initialement dans Vigie RT.

Dans la foulée du billet «Harcèlement sexuel au travail: « Sois belle et tais-toi! »?1», publié en 2015 sur le Blogue SOQUIJ2, voici maintenant une chronique portant sur la question du code vestimentaire sexualisé imposé par certains employeurs.

Ce genre de code vestimentaire par lequel l’employeur dicte à ses salariées féminines de porter la mini-jupe, le décolleté plongeant, le haut transparent ou la robe moulante, ainsi que les talons hauts dans certaines entreprises – principalement les restaurants et les bars –, peut-il être contesté?

Encadrement légal au Québec

Les articles 3 et 35 du Code civil du Québec (C.C.Q.)3 ainsi que l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne4 prévoient pour toute personne le droit à la sauvegarde de sa dignité. En vertu de l’article 2087 C.C.Q., l’employeur a l’obligation, dans le contexte de l’accomplissement du contrat de travail, de prendre «les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié».

En matière de politiques vestimentaires, l’employeur ne devrait pas sous-estimer non plus les obligations légales qu’il a en matière de prévention et d’intervention relativement au harcèlement psychologique, lequel inclut celui de nature sexuelle (art. 81.19 de la Loi sur les normes du travail5).

L’actualité judiciaire au Québec est assez calme

Présentement, l’actualité judiciaire québécoise est assez silencieuse sur les politiques vestimentaires dites «sexualisées». Pas de décisions récentes des tribunaux du Québec sur le sujet.

En Ontario, cette question d’obligation pour les femmes de porter une tenue vestimentaire qu’elles considèrent comme trop «sexy» fait l’objet de discussions actuellement et est relayée par les médias6. À ce sujet, dans les récentes années, la Commission ontarienne des droits et libertés de la personne a fait enquête auprès des restaurateurs et a publié sa «Position de la CODP sur les codes vestimentaires sexualisés et fondés sur le sexe7». Un aide-mémoire à ce sujet est disponible sur le Web. Parmi ses considérations se trouvaient des préoccupations reliées à la prévention du harcèlement sexuel.

L’absence de décisions récentes au Québec ne signifie pas que ces codes vestimentaires seraient approuvés par les tribunaux en 2018.

En effet, selon la jurisprudence du Tribunal des droits de la personne du Québec datant de la fin des années 1990, l’employeur ne peut pas imposer aux serveuses de son restaurant ou de son bar de porter une mini-jupe ou une robe moulante, un haut transparent, un décolleté plongeant et des talons hauts pour travailler ou être embauchée. Il ne peut pas non plus exiger que les femmes à son emploi aient une poitrine volumineuse. Il ne s’agit pas d’exigences professionnelles justifiées.

L’affaire Beaublanc inc.8

La plaignante avait été embauchée à titre de serveuse dans une brasserie. Chez l’employeur, les serveuses devaient être vêtues d’une mini- jupe et d’un chemisier ou d’un chandail moulant. Le port de pantalon était proscrit. Lorsque la salariée s’est présentée au travail en jupe, chemisier et cravate, la représentante de l’employeur lui a dit de retirer sa cravate et de déboutonner son chemisier pour faire le service. Elle a ensuite été congédiée au motif de sa petite taille et de sa petite poitrine.

Discrimination en emploi : Limiter les conditions d’emploi ou les possibilités d’emploi

Le Tribunal des droits de la personne s’est basé sur la définition de discrimination en emploi fondée sur le sexe établie par la Cour suprême dans l’affaire Janzen9 :

«[…] on peut définir la discrimination fondée sur le sexe

comme des pratiques ou des attitudes qui ont pour effet de limiter les conditions d’emploi ou les possibilités d’emploi de certains employés en raison d’une caractéristique prêtée aux personnes de leur sexe

[Les caractères gras sont les miens.]

Selon le Tribunal des droits de la personne, les raisons de l’employeur ayant motivé le congédiement de la plaignante tenaient à des caractéristiques physiques «prêtées aux personnes de son sexe», à savoir le volume de ses seins. Il dit ceci10 :

«Le fait d’exiger qu’une femme ait de gros seins ou qu’elle soit vêtue de façon à dévoiler son corps pour conserver son emploi correspond à la définition de la discrimination [au sens de la Charte des droits et libertés de la personne].»

Exigence professionnelle justifiée

Le fait que des employées soient pourvues de certaines caractéristiques physiques, comme une poitrine volumineuse, ne saurait constituer une exigence professionnelle justifiée, selon le Tribunal.

Droit à la sauvegarde de la dignité humaine

Ce genre d’exigence porte aussi atteinte à la dignité humaine, un droit fondamental reconnu à l’article 4 de la charte ainsi qu’une valeur qui sous-tend la charte et permet d’interpréter les différents droits et libertés fondamentaux.

De même, dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 2632-1661 Québec inc.11, le Tribunal des droits de la personne a également conclu que ce genre de code vestimentaire était empreint de discrimination fondée sur le sexe et portait atteinte à la dignité de la personne.

Il s’exprime ainsi12 :

«Lorsqu’on impose à une personne, pour conserver son emploi de serveuse dans un restaurant, de se parader devant les clients, vêtue d’un habillement dont l’objectif exclusif est de mettre en évidence ses attributs physiques et ses caractéristiques sexuelles, on brime sa liberté et on porte atteinte à sa dignité.»

[Les caractères gras sont les miens.]

Motifs économiques reliés à la clientèle et normes dans ce type d’entreprise

Le Tribunal des droits de la personne, dans Beaublanc inc.13, a rejeté l’argument de l’employeur fondé sur son souhait de mousser sa clientèle par l’adoption de tenues vestimentaires osées en disant :

«[…] l’embauche ou le maintien de l’emploi de personnel sélectionné en fonction de leurs attributs physiques ne saurait être justifié au terme de la Charte par le désir de satisfaction d’une certaine clientèle ou par certaines contraintes économiques.»

Dans l’affaire Gagnon et 2753-3058 Québec inc.14, rendue par un commissaire du travail, la restructuration du commerce à des fins économiques a été considérée comme un prétexte au congédiement de la quasi-totalité des serveuses à l’emploi. Celles-ci avaient été remplacées par du personnel plus jeune ayant une belle apparence physique et qui pouvait entrer dans le nouvel uniforme, un maillot de bain.

La preuve ne démontrait pas que l’entreprise avait changé de vocation.

L’employeur a l’obligation de prendre des mesures pour protéger la dignité des salariées

Dans l’affaire Kirkham15, le décideur a souligné que l’employeur avait manqué à son obligation légale prévue à l’article 2087 C.C.Q. de prendre des mesures afin de protéger la dignité de ses salariées en les obligeant à porter un chandail transparent. Le décideur a considéré que ce type de vêtement exposait les salariées à des remarques inopportunes et à des gestes déplacés de la part de la clientèle.

Il n’était pas nécessaire d’attendre que cela arrive pour intervenir. Le refus des serveuses de porter ce chandail n’a pas été considéré comme de l’insubordination.

Et les talons hauts, les jupes?

La réflexion sur le sujet peut être guidée par l’aide-mémoire produit par la Commission ontarienne des droits de la personne. Selon la Commission ontarienne, une politique vestimentaire devrait «[f]aire en sorte que tous les membres du personnel puissent faire leur choix parmi plusieurs options vestimentaires (y compris le pantalon) qui soient comparables en termes de style, de confort, de caractère pratique et de couverture, quel que soit leur sexe16».

Notamment, la jupe ne devrait pas être imposée, tel que l’a également décidé l’affaire ontarienne Noseworthy and Canton Restaurant17. Quant à sa longueur, l’employeur devrait aussi offrir de la porter longue. Cette mesure aurait l’avantage de respecter notamment les demandes fondées sur des motifs religieux selon la Commission ontarienne.

La Loi sur la santé et la sécurité du travail de l’Ontario18, qui a fait l’objet d’une réforme récente, prévoit maintenant qu’un employeur ne doit pas exiger qu’une travailleuse porte des chaussures à talons hauts sauf si cela est nécessaire pour que cette dernière exerce son travail en toute sécurité. Une exception est prévue pour les employeurs d’artistes ou d’interprètes dans l’industrie du spectacle et de la publicité.

Conclusion

Les tribunaux qui ont eu à se pencher sur la question des codes vestimentaires sexualisés ont appliqué le concept de discrimination en emploi fondée sur le sexe. Ils ont également souligné l’importance du droit à la sauvegarde de la dignité humaine et mis en lumière les obligations de l’employeur de protéger la dignité des salariées.

De plus, les principes, positions et avis émis, ressortant tant du droit québécois, des autres provinces et même international, demeurent et sont d’actualité. Ils peuvent alimenter la réflexion sur le sujet.

Cela constitue des arguments de taille en faveur de tous ceux et celles qui militent contre la dictature de politiques vestimentaires sexualisées.

«Sois belle et tais-toi» ne fonctionne tout simplement plus!

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