Depuis L’Écuyer c. Charlesbourg (Ville de), il y a plus de 30 ans, les infractions de stationnement étaient considérées comme de responsabilité absolue. En termes simples, cela signifiait qu’il était impossible de présenter une défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait (par exemple, avoir payé le mauvais parcomètre) afin d’être acquitté de l’infraction reprochée. En effet, dès que la poursuite prouvait hors de tout doute raisonnable que la place de stationnement n’avait pas été payée, un verdict de culpabilité était automatiquement prononcé.
Un vent nouveau
Or, la Cour d’appel, dans un jugement datant du 14 février 2018, vient de confirmer la décision de l’honorable juge Guy Cournoyer d’annuler la condamnation d’une citoyenne relativement à l’article 41 du règlement 0280-000 concernant la circulation et le stationnement de la Ville de Saint-Jérôme. Cette dernière avait indiqué en première instance qu’elle avait inséré des pièces de monnaie dans le mauvais parcomètre. La présence d’une entrée de véhicule et de la neige avait fait en sorte qu’elle n’avait pas bien vu les cases de stationnement qui étaient peintes sur la chaussée. Quelle ne fut pas sa surprise, à la fin de la soirée, lorsqu’elle a trouvé un constat d’infraction sous son essuie-glace, et ce, même s’il lui restait encore huit minutes à écouler.
Ce que dit la loi
Le texte de la loi doit être le facteur principal et prépondérant afin de décider si l’infraction reprochée est de responsabilité absolue ou non. Ainsi, c’est grâce à la lecture de ce dernier que le tribunal pourra établir l’intention du législateur. Si les termes utilisés pour décrire l’infraction n’y énoncent pas une interdiction absolue de se garer dans les places visées, mais plutôt une réglementation de l’emplacement et de la durée du stationnement, l’infraction ne pourra être considérée comme de responsabilité absolue. Dans le cas présent, le tribunal a considéré que les expressions utilisées, « quiconque contrevient », « doit », « il est défendu » et « nul ne peut », n’étaient pas déterminantes pour conclure à une infraction de responsabilité absolue. Par ailleurs, le règlement mis en cause n’énonçait aucune exclusion de moyen de défense (jugement de la Cour d’appel, paragr. 91).
[…] Ainsi, sauf indication législative claire de créer une infraction de responsabilité absolue, les défenses de diligence raisonnable et d’erreur de fait peuvent être opposées aux infractions réglementaires. Il n’y a là rien de vraiment nouveau et encore moins d’inquiétant, bien au contraire.
Gravité de la peine
La gravité de la peine est un facteur qui doit également être pris en considération dans l’analyse. Il est bien évident que l’amende attribuable à ce genre de constat n’est pas très élevée comparativement à d’autres infractions. Toutefois, l’impossibilité de présenter une défense à l’encontre d’une conduite non blâmable, et ce, peu importe le caractère de l’infraction et le montant en cause, n’est pas favorable pour l’image de la justice (jugement de la Cour d’appel, paragr. 88) :
[…] Exclure les défenses de diligence raisonnable et d’erreur de fait sur le simple fondement que les infractions de stationnement ne conduisent qu’à des amendes minimales serait transformer celles-ci en impôts déguisés (Gisèle Côté-Harper, Pierre Rainville et Jean Turgeon, Traité de droit pénal canadien, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 603 : «Abolir l’infraction de responsabilité absolue et permettre une défense diligente raisonnable ne serait pas une révolution en droit pénal»).
Un dossier à suivre
Seules les années pourront nous dire si cette nouvelle tendance sera appliquée par les tribunaux. Par ailleurs, afin d’éviter une visite à une cour municipale, il restera toujours préférable de doublement vérifier l’endroit où vous garez votre véhicule, quoique le sujet relativement à la confusion des panneaux de stationnement pourrait bien faire l’objet d’un autre débat.
Concernant les lois contenants des « exclusions » de moyens de défense, comme ce que le gouvernement actuel entend introduire pour régler leur problème de radars photographiques, est-ce possible qu’un juge vienne limiter ou déclarer inconstitutionnelles de telles exclusions ou limitations de défense? Je trouve que c’est un terrain très glissant d’introduire une loi qui, en somme, nous interdit de contester un constat d’infraction sous prétexte qu’il est « présumé par défaut » que la preuve a été obtenue dans les normes.
Bonjour,
Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre question. Toutefois, je peux vous mentionner que dans le cas où une infraction est constatée par une photographie, l’article 592.1 du Code de la sécurité routière (RLRQ, c. C-24.2) permet au propriétaire d’un véhicule routier de s’exonérer de sa responsabilité en établissant l’identité du véritable conducteur du véhicule au moment de l’infraction. Il suffit de remplir le formulaire approprié et l’envoyer au Bureau des infractions et des amendes.
Par ailleurs, les tribunaux ont toujours la possibilité de déclarer une disposition législative inconstitutionnelle, lorsqu’ils considèrent que celle-ci portent atteinte à un droit garanti par la Charte canadienne des droits et des libertés et que cette atteinte n’est pas justifiée en vertu de l’article 1.
Merci pour votre réponse. J’ai effectivement fait un ommission en ne mentionnant pas que je me référais au projet de loi 165 modifiant le CSR. Plusieurs dispositions concernent les cinémomètres photographiques, entre autre pour rendre impossible plusieurs contestations, dont celle concernant le fait qu’un agent de la paix n’a pas constaté l’infraction personellement (on va rendre la preuve photographique « équivalente » à la constatation d’un agent). Or, il me semble à la base même de notre système de justice en société de droit, que toute infraction reprochée a dû être constatée par un agent de la paix. Par exemple, dans le cas d’un « ticket » de vitesse, c’est en premier lieu l’agent qui constate l’infraction (visuellement), et qui, ensuite, confirme l’infraction observée à l’aide d’un radar ou cinémomètre. On enlève complètement la notion qu’un agent dûment autorisé a constaté l’infraction, on déclare un appareil électronique aussi compétent qu’un agent formé et capable d’utiliser de son jugement ou discrétion. C’est ce que j’appelle un terrain très glissant pour notre système de justice.