Certains métiers s’exercent davantage à l’extérieur que d’autres, ce qui expose les travailleurs à des risques de chutes sur la glace. D’autre part, certains accidents du travail se produisent en arrivant au lieu de travail ou en le quittant. Voici le premier article du mois sur le thème des intempéries.

Les principes

L’employeur est responsable du coût des lésions professionnelles subies par ses travailleurs (art. 326 al. 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP)). Il existe certaines exceptions à ce principe, notamment lorsque cela aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident attribuable à un tiers (art. 326 al. 2 LATMP).

Un tiers est une personne qui n’a aucun rapport juridique ni aucun lien de droit avec l’employeur (Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier).

Généralement, le Tribunal administratif du travail (TAT) confirme l’imputation du coût à l’employeur lorsqu’il s’agit d’un risque relié à ses activités et que l’accident ne découle pas de circonstances exceptionnelles. Le TAT peut aussi transférer le coût à l’unité de classification à laquelle appartient un tiers, par exemple un entrepreneur chargé du déneigement d’un stationnement qui aurait fait preuve de négligence, ou à l’ensemble des employeurs.

Voici quelques exemples tirés de la jurisprudence récente afin d’illustrer ces principes.

L’employeur demeure imputé des coûts

Un chauffeur d’autobus glisse sur une plaque de glace en sortant de son autobus dans le stationnement d’un hôtel (Autobus La Québécoise inc. et Hôtel Sheraton Montréal Aéroport).

Le juge Clément :

«[19] […] la simple présence de glace ou de neige en hiver au Québec sur un terrain quelconque n’entraîne pas nécessairement une conclusion automatique que l’accident est attribuable à une négligence d’entretien de la part du propriétaire du terrain en cause.

[…]

[22] […] La participation du tiers dans la survenance de la lésion doit donc s’évaluer au niveau des mesures prises pour entretenir les lieux selon les circonstances factuelles propres au dossier. Cette preuve est absente en l’espèce.

[…]

[26] L’employeur exploite une entreprise de transport par autobus, de sorte que ses véhicules sont appelés à circuler partout où la clientèle le désire. Il est donc évident qu’il fait partie des activités normales de cette entreprise que ses véhicules et ses chauffeurs se trouvent sur la voie publique, sur des terrains de stationnement, etc.

[27] Il est donc normal qu’un chauffeur d’autobus descende de son véhicule et qu’il se retrouve sur des terrains glacés ou enneigés. Cela fait partie des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur.»

[Les caractères gras sont ajoutés.]

Une infirmière chute sur la chaussée glacée en sortant de l’Hôpital Royal-Victoria à la fin de son quart de travail (CUSM-Pavillon Hôpital Royal-Victoria).

La juge Charbonneau :

«[64] Or, le contrat [entre l’hôpital et l’entrepreneur chargé du déglaçage des voies d’accès] prévoit un horaire de travail (article 10.07) selon lequel les heures normales de travail sont de 8 h à 16 h les jours ouvrables, soit du lundi au vendredi excluant les jours fériés. Tous les services doivent, sauf indication contraire, être rendus pendant les heures normales de travail. L’accident est survenu à 16 h 15 au-delà des heures normales de travail.

[…]

[69] L’employeur n’a pu démontrer que l’accident de travail subi le 14 janvier 2015 par la travailleuse est majoritairement attribuable à un tiers ou que celui-ci est en défaut d’entretenir convenablement les lieux.

[…]

[73] L’employeur est un pavillon hospitalier affilié à un centre de santé universitaire. Dans l’accomplissement de ses activités, l’employeur embauche une infirmière clinicienne. Celle-ci doit emprunter les voies d’accès ou se déplacer dans un stationnement, selon le cas, pour se rendre sur les lieux du travail, en repartir ou pour récupérer son véhicule. La tâche accomplie par la travailleuse se situe à l’intérieur des activités de l’employeur et des risques qu’il doit normalement supporter. Si tel n’est pas le cas, il appartient à l’employeur de le démontrer.»

[Les caractères gras sont ajoutés.]

Un technicien en informatique pour un établissement d’enseignement supérieur glisse sur un trottoir glacé de la Ville de Montréal alors qu’il se rend à l’un des pavillons de l’établissement pour faire l’inventaire du réseau informatique. La Ville a omis d’étendre des abrasifs ou du sel déglaçant sur les trottoirs (École de technologie supérieure).

Le juge Larouche :

«[34] Dans le présent dossier, l’employeur exploite une maison d’enseignement. Les activités liées à la gestion du réseau informatique et des technologies de l’information sont un élément essentiel et intrinsèque à la dispense d’activités d’enseignement et c’est la raison pour laquelle l’employeur engage à temps plein plusieurs techniciens en informatique pour assurer l’entretien de son parc informatique. Le soussigné est d’avis que le recours à l’informatique est nécessaire aux activités de l’employeur.

[35] Le fait que les techniciens se déplacent pour effectuer l’entretien du parc informatique est également intrinsèque à leurs activités. Il s’agit là donc d’un risque inhérent aux activités économiques de l’employeur.

[…]

[39] Selon le travailleur, personne ou presque n’emprunte la rue William. On ne saurait s’étonner qu’elle ne soit pas priorisée lorsqu’il y a des précipitations. Le sens commun veut qu’un arrondissement ne soit pas en mesure de procéder à l’épandage d’abrasif partout, en même temps. Il y a eu de la pluie verglaçante en soirée le 9 janvier. Le travailleur a fait une chute sur une plaque de glace le 10 janvier, à 9 h, sur un trottoir peu fréquenté qui, de façon manifeste, n’avait pas fait l’objet d’entretien.

[40] Dans de telles circonstances, on ne saurait prétendre qu’il s’agit d’un piège ou d’un guet-apens. Le soussigné ne retrouve pas de situation qu’il puisse qualifier d’exceptionnelle donnant droit au transfert de l’imputation. […]»

[Les caractères gras sont ajoutés.]

Les coûts sont transférés à l’unité du tiers ou à l’ensemble des employeurs

Une charcutière dans un magasin d’alimentation chute sur le trottoir glacé en quittant l’établissement. Les coûts sont transférés à l’ensemble des employeurs (Provigo).

La juge Goyette :

«[36] En l’espèce, l’ensemble de la preuve démontre que l’accident du travail subi par la travailleuse résulte d’une chute sur le trottoir glacé longeant l’établissement de l’employeur dont l’entretien relève de la Ville de Montréal; déglaçage du trottoir logeant l’établissement de l’employeur qui s’est avéré inadéquat le 5 janvier 2015 [le jour de l’accident].

[37] Le déneigement et le déglaçage des trottoirs relèvent de la responsabilité de la Ville de Montréal qui a reconnu, selon la preuve documentaire déposée par l’employeur, que l’épandage d’abrasif lors de la tempête du 3 janvier 2015 :

  • a causé plusieurs difficultés logistiques et opérationnelles d’épandage d’abrasif en raison des variations de température;
  • n’était pas terminé le 5 janvier 2015 à 20 h, moment où le Service de concertation « […] un avis à tous les arrondissements, afin qu’ils procèdent à l’épandage d’abrasif sur les trottoirs le plus tôt possible, soit avant le lendemain […] »;
  • a donné lieu à près de 3 000 plaintes à la Ville de Montréal, dont 39 des 311 plaintes reçues par l’arrondissement Ville-Marie concernaient les chaussées glissantes.

[…]

[40] Le Tribunal estime que le déneigement de tout le trottoir adjacent au magasin sur plusieurs dizaines de pieds ne fait pas partie des activités de l’employeur ni des risques inhérents de ses activités qui consistent à l’exploitation d’un magasin d’alimentation.»

[Les caractères gras sont ajoutés.]

Un mécanicien de chantier travaillant en région éloignée et résidant sur un campement appartenant au client de l’employeur glisse sur le sol glacé en descendant de l’autobus qui s’était garé dans le terrain de stationnement du campement (Industries Fournier inc. et Cliffs NR (Sec. Mine de fer du Lac Bloom).

Le juge Martin :

«[19] Or, la preuve prépondérante démontre que la chute du travailleur est survenue en raison d’un défaut d’entretien de la chaussée du campement où il circulait. Cet événement est survenu en fin de journée et alors que les conditions météorologiques justifiaient l’épandage d’abrasif au sol, ce qui n’a pas été fait. Cette situation s’était d’ailleurs produite dans les jours et les semaines précédant l’événement et des plaintes avaient été formulées par les travailleurs auprès de leur syndicat.

[…]

[23] Dans le présent dossier, il s’avère que l’employeur fournissait du personnel à l’entreprise Cliffs NR, laquelle était également propriétaire des lieux où circulaient les travailleurs. Elle était donc responsable de la santé et sécurité de ses travailleurs ainsi que du travail effectué par ses sous-traitants tel que Rénald Côté 2007 inc.

[…]

[25] Dans ces circonstances, le tribunal conclut que cette entreprise tout comme Rénald Côté 2007 inc. sont majoritairement responsables de l’accident du travail du 14 novembre 2012.

[26]  Il serait alors injuste pour l’employeur de supporter les coûts reliés à cet événement.  Il a donc établi son droit à un transfert du coût des prestations, tel que le prévoit l’article 326 de la loi.

[27] En raison des faits établis au dossier, le tribunal peut difficilement déterminer le pourcentage d’imputation qui doit être transféré aux tiers qui sont responsables de l’accident du travail. Il convient alors de transférer le coût de ces prestations à l’ensemble des employeurs

[Les caractères gras sont ajoutés.]

Un responsable de l’entretien et des rénovations dans un hôtel épand des abrasifs dans le stationnement de l’établissement, car il y avait eu un peu de verglas le matin et il avait ensuite neigé. Au milieu de l’après-midi, il va chez un commerçant pour en acheter d’autres afin de procéder à un second épandage. En sortant de son véhicule, à une vingtaine de pieds de la porte du commerce, et en posant le pied sur le sol, il glisse et se blesse. Les coûts sont transférés à l’ensemble des employeurs (Hôtel Baker ltée et Bois & Matériaux Kéga Cie ltée)

La juge Desbois :

«[46] Le Tribunal conclut d’abord que la chute du travailleur est majoritairement attribuable au tiers [le commerçant] : le travailleur était chaussé de façon sécuritaire, il ne transportait rien, il n’était pas particulièrement pressé et aucune fausse manœuvre ou imprudence de sa part ne sont en preuve. La preuve ne révèle ainsi aucune contribution de sa part dans la survenance de sa chute. Il n’est pas plus question d’une quelconque contribution de l’employeur dans la survenance de sa chute.

[…]

[48] Or, selon la preuve non contredite, dès qu’il sort de son véhicule chez le tiers, son pied glisse sur de la glace et il lui apparaît évident qu’aucun abrasif n’a été appliqué. En outre, un employé du tiers qui déplace son véhicule à sa demande vient lui aussi près de tomber du fait de la présence de glace plus loin également, ce qui témoigne du fait que le travailleur n’a pas simplement eu la malchance de glisser sur une plaque de glace isolée, ce que n’aurait pu nécessairement empêcher le tiers, mais atteste plutôt d’une lacune dans l’entretien.

[…]

[50] Le Tribunal conclut ensuite que, du fait notamment des circonstances précitées, l’état du stationnement du tiers s’est en l’occurrence apparenté à un piège pour le travailleur, d’autant qu’il déclare avoir constaté à son arrivée que le stationnement avait été déblayé, ce qui lui a laissé croire qu’il était adéquatement entretenu et qu’il pourrait y circuler de façon sécuritaire […]

[51] Considérant les circonstances particulières en preuve dans ce dossier, le Tribunal conclut donc que l’imputation faite en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi aurait pour effet de faire supporter injustement à l’employeur le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail attribuable au tiers.»

[Les caractères gras sont ajoutés.]

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