La présente chronique expose les droits de l’employeur de formuler des exigences en matière d’apparence personnelle – plus particulièrement sur le port de bijoux ainsi que sur l’exhibition de perçages et de tatouages.

Je rappelle dans cette chronique les principes que j’ai mentionnés dans une chronique précédente intitulée «L’apparence personnelle – 1 de 3 : S’habiller conformément aux politiques de l’employeur…».

Les droits de l’employeur peuvent, à l’occasion, entrer en conflit avec les droits fondamentaux de l’employé que sont le droit à leur intégrité physique (art. 1 de la Charte des droits et libertés de la personne), le droit au respect de leur privée (art. 5 de la charte), le droit à la sauvegarde de leur dignité (art. 4 de la charte) et le droit à leur liberté d’expression (art. 3 de la charte).

Pour justifier une atteinte à un droit fondamental des employés, l’employeur devra prouver qu’elle est justifiée au sens de l’article 9.1 de la charte. À cette fin, il devra établir que :

  • il a un objectif légitime et sérieux d’imposer l’exigence contestée,
  • il utilise des moyens raisonnables,
  • ces moyens sont proportionnels à l’atteinte aux droits des salariés, et
  • cette atteinte est minimale.

Il ressort de la jurisprudence qu’afin de justifier ses politiques l’employeur invoque les éléments suivants :

  • la sécurité,
  • l’hygiène,
  • la salubrité,
  • l’image et les relations avec sa clientèle,
  • sa mission et la nécessité de donner l’exemple, et
  • son obligation de fournir un milieu de travail sain, exempt de violence, de harcèlement ou de discrimination.

Bijoux et perçages

Dans l’affaire Siemens Canada ltée, la directive de l’employeur, une entreprise de fabrication de panneaux électriques résidentiels et commerciaux, qui interdit le port de tout bijou a été jugée invalide. Il s’agit d’une interdiction générale et qui s’appliquait à l’ensemble des employés de l’usine. Elle était sans lien rationnel avec la protection de la santé et de la sécurité du travail. En effet, elle visait également des bijoux qui ne risquaient pas d’être en contact avec des pièces en mouvement sur des machines.

L’avis disciplinaire reçu par un cuisinier en raison de son refus de retirer un perçage porté à l’arcade sourcilière a été annulé dans l’affaire Aliments Olympus (Canada) inc., ce dernier n’étant pas susceptible de tomber et de poser un risque pour la salubrité des aliments. Ce bijou ne pouvait être enlevé que par un spécialiste à l’aide de pinces spéciales.

Dans un marché d’alimentation, l’interdiction d’avoir un perçage au sourcil a été jugée comme constituant une atteinte à la vie privée qui n’était pas justifiée par l’image traditionnelle que souhaitait projeter l’employeur. Il s’agit de l’affaire Maxi & Cie.

Les restrictions relatives aux bijoux corporels, anneaux et pendentifs, qui doivent être sobres, solidement fixés et couverts, imposées à des enseignants qui donnent des cours pratiques en soins de la santé sont trop larges, générales et imprécises.

Elles dépassent les exigences des ordres professionnels et du milieu de travail. L’employeur ne pouvait justifier sa politique.

Pour sa part, l’exigence d’avoir des ongles courts, naturels et sans vernis est conforme également aux recommandations des ordres professionnels et elle est justifiable dans le contexte particulier des enseignants dans l’affaire Syndicat de l’enseignement de Lanaudière.

Dans le secteur de l’hôtellerie de luxe, le règlement interdisant au personnel masculin de porter des boucles d’oreilles a été déclaré valide, s’agissant d’une règle normale et usuelle dans ce secteur.

L’interdiction du perçage sur la langue et de l’intérieur du lobe a été jugée raisonnable à l’égard du personnel d’un centre jeunesse en raison de l’exemple qu’il doit donner et de la mission de l’employeur.

Tatouages

Dans l’affaire récente Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu, la politique d’une municipalité qui limite ses policiers à n’avoir qu’un seul tatouage visible et de petite dimension, qui interdit également un tatouage sur la nuque, derrière les oreilles, et qui exige l’approbation préalable de la direction avant de se faire tatouer a été déclarée invalide, car cette partie de la politique viole les droits à la vie privée de ces derniers, de même que leur liberté d’expression.

L’interdiction d’«avoir un tatouage de mauvais goût ou inacceptable» est également invalide puisqu’elle n’est pas claire et laisse place à l’arbitraire.

Les limitations prescrites ne sont pas proportionnelles à l’objectif de maintenir le lien de confiance entre la population et les policiers de même que le maintien de l’image du service.

Toutefois, la directive peut interdire un tatouage ayant une connotation sexiste, raciste, incitant à la violence ou faisant la promotion de la drogue ou de l’alcool, ou encore contenant un message offensant.

De plus, l’obligation de couvrir un tatouage non toléré ou celui qui serait fait sur les mains, la tête et le devant du cou paraît justifiée et constitue une atteinte minimale. De même, l’obligation de porter des manches longues afin de couvrir des tatouages qui seraient interdits est minimale et proportionnelle.

Enfin, malgré l’opinion de l’expert de l’employeur, le tatouage au Québec ne constitue pas un marqueur social anticonformiste et il est devenu commun. La preuve sur la signification des tatouages dans le milieu criminel semble peu pertinente. En outre, il n’y a aucune uniformité dans les mesures prises par les différents corps de police du Québec à l’égard des tatouages.

Enfin, la politique obligeant les éducatrices d’un centre de la petite enfance du Saguenay à couvrir tout tatouage, peu importe ce qu’il représente, a été considérée comme violant les droits à la vie privée et à la liberté d’expression de celles-ci puisqu’elle constituait une politique trop large. En outre, on a estimé qu’il s’agissait d’un phénomène répandu au Québec et que l’employeur avait fait preuve de préjugés.

Conclusion

Les exigences de l’employeur en matière d’apparence personnelle de ses employés doivent être raisonnables, justifiées et reliées au poste occupé ainsi qu’à la nature et à la mission de l’entreprise. Elles doivent respecter le droit à la protection de l’intégrité physique de l’employé, son droit à la vie privée et sa liberté d’expression.

Tout message qui véhicule la violence ou le racisme ou encourage notamment la consommation de drogues ou d’alcool doit être réprimé.

Lorsqu’il élabore une politique sur l’apparence personnelle, l’employeur doit être précis dans les interdictions qu’il pose : pas de formulation ambiguë, pas d’interdictions générales qui ouvrent la porte à l’arbitraire.

Autre principe : la validité des exigences en matière d’apparence personnelle varie en fonction de l’époque et du lieu de travail.

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