Quand on parle de préembauche, on pense au processus de sélection effectué par l’employeur, notamment au moyen des questions posées durant l’entrevue de sélection. Voici 9 questions pour pouvoir éviter les pièges en entrevue.

Question 1 : Quel est l’encadrement légal au Québec de la discrimination à l’embauche ?

Au Québec, pour les entreprises de compétence provinciale, ce sont les articles 10, 18.1, 16 et 20 de la Charte des droits et libertés de la personne qui encadrent le processus d’embauche et la décision de refuser d’embaucher un candidat.

Question 2 : Quels types de questions l’employeur peut-il poser durant l’entrevue de sélection ?

Pour faire image, on peut se rappeler les affaires Kerdougli c. GE Renewable Energy Canada Inc. (Alstom réseau Canada inc.)  et Kerdougli c. La Vie en Rose inc., où l’employeur a demandé de quelle origine ethnique provenait le nom de famille d’un candidat.

L’employeur doit poser des questions reliées aux exigences du poste qui sont raisonnables et non discriminatoires. Il doit diriger toute son attention vers les compétences, la nature et la durée de l’expérience acquise, la scolarité et la disponibilité requises.

En matière de discrimination, l’article 18.1 de la charte québécoise est une disposition qui vise précisément les demandes de renseignements à l’embauche.

Les dispositions qui suivent permettent d’enrayer à la source toute discrimination qui pourrait teinter la décision finale du refus d’embauche.

L’article 18.1 de la charte prévoit que :

«18.1. Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande.»

L’article 10 de la charte, qui veille à ce que toute personne puisse exercer ses droits et libertés en toute égalité, contient les motifs de discrimination interdits suivants :

«10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.»

Quelques exemples de questions à éviter :

Le site web de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) contient un tableau listant des questions à éviter par les employeurs et des exceptions qui se présentent :

  • Quel est votre lieu de naissance ? (race)
  • Avez-vous des restrictions religieuses ? (religion)
  • Êtes-vous marié, divorcé ou célibataire ? (état civil)
  • Êtes-vous propriétaire ou locataire d’une résidence ou d’une automobile ? (condition sociale)
  • Questions médicales non reliées avec les exigences physiques ou psychologiques requises par les tâches à exécuter. Questionnaire médical trop intrusif ressemblant à des déclarations d’assurabilité. (handicap)
  • Prévoyez-vous avoir des enfants dans les prochaines années ? (grossesse)

À retenir : aucun renseignement portant sur l’un des motifs interdits ne devrait être demandé, à moins que l’employeur n’établisse une exception.

Question 3 : Quelles exceptions l’employeur peut-il invoquer afin de pouvoir poser des questions potentiellement discriminatoires ?

L’employeur doit établir l’une ou l’autre des exceptions suivantes :

  1. Les renseignements sont utiles en raison de l’application d’un programme d’accès à l’égalité en vigueur au moment de la demande (art. 18.1 de la charte)

ou             

  1. Les renseignements sont utiles en raison du caractère religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique (art. 18.1 et 20 de la charte)

ou

  1. Les renseignements sont demandés afin d’évaluer si le candidat a les aptitudes ou les qualités requises par l’emploi. Il s’agit pour l’employeur de prouver une exigence professionnelle justifiée. (art. 18.1 et 20 de la charte)

Exemple :

Dans les affaires Kerdougli, où l’employeur a demandé l’origine ethnique du nom de famille d’un candidat, il prétendait qu’il avait des partenaires d’affaires dans le pays d’origine du candidat. Or, il n’a pas réussi à établir la raison pour laquelle l’origine ethnique ou nationale du candidat était reliée aux aptitudes ou aux qualités requises par l’emploi postulé. La question de l’employeur a donc été considérée comme discriminatoire.

Question 4 : Est-ce que cette interdiction de poser des questions discriminatoires en entrevue vise uniquement l’employeur ?

Non, selon la CDPDJ, l’interdiction vise aussi tous ceux qui interviennent dans le processus de sélection, par exemple :

  • les agences de recrutement de personnel (chasseurs de tête),
  • le service de santé mandaté par l’employeur (médecin, infirmière), ou encore
  • le service de psychologie organisationnelle.

Question 5 : Et si les questions étaient posées dans un contexte moins formel, avant l’entrevue, par exemple, par un seul des membres d’un comité de sélection ?

Des échanges informels, avant ou après l’entrevue, font partie de l’entrevue, ainsi que l’a souligné l’affaire Kerdougli c. GE Renewable Energy Canada Inc. (Alstom réseau Canada inc.).

L’entrevue inclut les questions posées de façon non officielle avant, pendant et après l’entrevue.

Il faut ajouter que les expressions «entrevue» ou «formulaire de demande d’entrevue» incluent aussi tout autre outil d’évaluation, comme un test écrit d’évaluation des connaissances, un test pratique, un questionnaire médical, un examen médical ou encore un test psychologique (Centre hospitalier régional de Trois-Rivières;  Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville); Institut Demers inc. et Bathium Canada inc.).

Question 6 : Est-ce que l’employeur peut se défendre en disant qu’il n’avait pas l’intention, en posant une question, de faire preuve de discrimination à l’égard de cette personne ?

Non. L’intention de l’employeur en posant la question n’a pas d’importance.

Par exemple, il a été établi par le Tribunal des droits de la personne que : «Le fait que des questions portant sur la religion ou sur un des motifs illicites prévus à l’article 10 de la Charte, soient posées lors d’une entrevue d’embauche, par curiosité, […] pour détendre l’atmosphère, [ou pour tout autre motif] ne suffit pas pour atténuer ni pour justifier l’atteinte au droit protégé à l’article 18.1 […]» (Systématix Technologies de l’information inc., paragr. 114) 

Cela constitue une atteinte à la dignité (art. 4) et à la vie privée (art. 5) 

Question 7 : Est-ce que l’employeur pourrait encore essayer de se défendre en disant : «De toute façon, je n’ai pas utilisé les renseignements que j’ai obtenus» ?

Non. Le seul fait d’avoir posé une question sur l’un des motifs de discrimination constitue une atteinte au droit prévu à l’article 18.1 et justifie une réparation, à moins d’établir l’une ou l’autre des exceptions.

Question 8 : Si jamais le candidat prenait l’initiative de parler d’un aspect de sa vie qui touche un motif de discrimination, est-ce que l’employeur pourrait faire rejeter son recours ?

Oui, à la condition que le candidat ait dévoilé ces renseignements de façon libre et volontaire, sans s’être senti obligé de le faire. À ce sujet, le Tribunal des droits de la personne va se demander ce qu’aurait fait une personne raisonnable placée dans la même situation que le candidat (Systématix Technologies de l’information inc.)

Question 9 : Si le Tribunal conclut qu’effectivement des questions discriminatoires sans justification ont été posées, à quel type de mesures de réparation ou d’ordonnances peut-on s’attendre ?

Une indemnité pour dommages moraux découlant de la perte d‘estime de soi, de l’angoisse et de l’inquiétude vécues qui dépassent le stade de l’inconfort ou du malaise; l’affaire Kerdougli fait état d’une fourchette située entre 2 000 $ et 7 500 $ retrouvée dans la jurisprudence; 

Une indemnité ‑ plus rare, cependant ‑ pour des dommages punitifs : seulement en cas d’atteinte illicite et intentionnelle de la part de l’employeur ;

Dans certains cas, une ordonnance de se munir d’une politique contrant la discrimination peut être adressée à l’employeur ou celle de réintégrer l’employé dans un processus exempt de discrimination. 

  • Ainsi, si l’entrevue d’embauche peut représenter un défi pour un candidat… ça peut l’être tout autant pour l’employeur.

En terminant, vous l’aurez compris : une entrevue d’embauche, c’est un exercice qui se prépare… autant par l’employeur que par le candidat.

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