Une autre année scolaire tire à sa fin. Certains d’entre vous profiteront des vacances estivales pour voyager à l’étranger avec vos enfants. Vous envisagez peut-être un retour aux sources, ce qui leur permettra de côtoyer leur famille élargie et d’en savoir plus sur leurs origines. De belles vacances en perspective! Mais attention, avant de trop vous avancer dans vos préparatifs, vous aurez peut-être à faire une escale à la Cour.
En effet, après une séparation, il peut arriver que des parents ne s’entendent pas sur la possibilité pour chacun de voyager seul avec leur enfant. Cette mésentente pourra notamment résulter de la crainte d’un non-retour de l’enfant au terme du voyage prévu ou de la situation dans le pays choisi. Dans de telles circonstances, les tribunaux pourront être appelés à décider si le voyage projeté doit être autorisé ou non. Le présent billet vous propose quelques-unes de ces décisions.
La crainte d’un non-retour de l’enfant
En 1980, la communauté internationale a adopté la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. La convention établit des procédures en vue de garantir le retour immédiat au lieu de sa résidence habituelle d’un enfant déplacé ou retenu illégalement, mais elle ne s’applique qu’entre la cinquantaine de pays qui l’ont signée.
Que faire donc lorsqu’un parent prévoit voyager dans un pays non signataire de la convention? Dans Droit de la famille — 132050, un père avait l’intention de voyager en Tunisie afin d’y épouser une Tunisienne. Il voulait que ses enfants l’accompagnent pour l’occasion. Le juge Yves Tardif a indiqué que, dans une telle situation, il ne faut pas interdire aux ressortissants d’un pays non signataire le droit de retourner dans leur pays d’origine avec leurs enfants, mais plutôt prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir un retour.
Dans le passé, 2 conditions avaient été imposées au père pour qu’il puisse faire un tel voyage. Premièrement, il avait dû verser une somme de 25 000 $ dans le compte de son avocat. Deuxièmement, il avait dû remettre à la mère une liste détaillée de son régime enregistré d'épargne-retraite, de ses fonds de pension et de ses fonds de retraite, lesquels biens reviendraient à celle-ci en cas de non-retour. Or, considérant qu’un parent mal intentionné pourrait envisager de tout perdre pour garder ses enfants avec lui dans son pays d’origine, le juge Tardif, aux fins d’autoriser le voyage, a aussi exigé que le père obtienne une déclaration dactylographiée et signée personnellement par l'ambassadeur de la Tunisie garantissant que les enfants du couple seraient autorisés à revenir au Canada à une date fixe et qu'aucun obstacle ne serait rencontré en Tunisie pour nuire, de quelque façon que ce soit, à ce retour.
Dans une autre affaire, un père désirait faire un voyage au Nicaragua, un pays signataire de la convention dont l’adhésion n’était toutefois pas reconnue au Canada. Comme la mère ne pourrait recourir au processus de règlement prévu à la convention pour obtenir le retour des enfants, le juge Julien Lanctôt, considérant qu’un doute subsistait quant aux intentions réelles du père, a proposé d’autoriser un voyage au Nicaragua avec un seul des enfants à la fois, ce que le père a accepté.
L'Algérie et l’Iran, 2 pays non signataires de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, étaient les destinations respectivement envisagées dans les 2 prochaines décisions, où le lien d’attachement entre un parent et le Québec était au cœur de l’analyse. Dans la première, le juge André Wery a accordé l'autorisation de voyager en Algérie à un père, ayant conclu qu'il ne présentait pas un risque de quitter le Canada, où il vivait depuis 26 ans et où il avait refait sa vie. Dans l'autre, la juge Catherine Mandeville a refusé d'autoriser le voyage projeté en Iran par une mère qui n'avait ni emploi, ni famille, ni réseau social au Québec, étant d'avis qu'il y avait un risque sérieux qu'elle reste en Algérie avec son enfant.
Enfin, une situation inusitée, alors qu’une mère n’a pas été autorisée à se rendre en Chine, un pays qui n'est pas partie à un traité d'extradition avec le Canada ni à la convention, avec sa fille, en vue de la présentation d’un film qu’elle avait produit. En l’espèce, le juge Pierre Béliveau a noté que la nouvelle renommée que la mère était en voie d’obtenir la rendrait beaucoup plus facile à trouver à l'occasion de ses séjours en Chine. Or, comme le père était capable de tout et comme il gagnait vraisemblablement bien sa vie en Chine, il fallait considérer la possibilité qu’il tente d’enlever leur fille si elle accompagnait la mère ou si elle visitait sa famille élargie.
Les craintes reliées à la sécurité ou à la condition médicale de l’enfant
Dans Droit de la famille — 18652, la juge Suzanne Ouellet a refusé d’autoriser le voyage d’une mère et de sa fille au Brésil. Elle a notamment retenu que le gouvernement du Canada avait donné pour consigne de faire preuve d’une grande prudence en raison d’un taux de criminalité élevé et d’incidents violents attribuables, notamment, aux bandes organisées dans les zones urbaines. De plus, même si le Brésil était un pays signataire de la convention, les statistiques étaient inquiétantes quant au non-respect de celle-ci et quant au nombre de dossiers non résolus en matière d’enlèvement d’enfants.
Dans un autre dossier, la juge Johanne Mainville a autorisé un père à voyager en Colombie afin de voir sa famille avec son fils malgré un avis sur le site des Affaires étrangères du gouvernement canadien qui recommandait de faire preuve d’une grande prudence en raison du caractère imprévisible des conditions de sécurité. Elle a noté que cet avertissement devait être lu en tenant compte du contexte propre au dossier, soit que le père n’était pas un touriste dans un pays inconnu, qu’il serait bien entouré pendant son séjour et qu’aucun incident impliquant des membres de sa famille n’était survenu dans le passé.
Passons maintenant à une affaire où un père demandait l’autorisation de voyager en Égypte avec sa fille. Pour la juge Suzanne Tessier, même si les personnes voyageant dans ce pays étaient appelées à faire preuve d'une grande prudence, il demeurait que l’enfant serait avec son père et dans la famille de ce dernier. De plus, celui-ci travaillait dans le domaine de la sécurité internationale et il aurait été contraire à sa formation de compromettre la sécurité de sa fille ainsi que la sienne. L’autorisation de voyager a donc été accordée.
Enfin, dans une décision récente, une mère a été autorisée à voyager avec son fils en Colombie, malgré l’opposition du père pour des raisons médicales et de sécurité. Le juge Daniel Dumais a noté que la Colombie n’était pas un pays démuni de services et soins de santé. Il a conclu, que la condition médicale de l’enfant – qui n’a qu’un seul rein – ne constituait pas un empêchement au voyage, d’autant moins que la mère s’étant engagée à souscrire à une assurance-santé pendant la durée du voyage. Quant à la sécurité de l’enfant, il a retenu que la mère avait récemment voyagé en Colombie, que la ville où elle entendait séjourner était exclue des zones non recommandées par le gouvernement canadien et que les risques existant en Colombie étaient surtout associés à la drogue et au vol, non pas à la guerre et à l'enlèvement d'enfant.
Lorsque j’ai commencé à lire ce texte, je me suis rendu compte que ce n’est pas exactement ce que je m’attendais. Je pensais que l’auteur parlerait des procurations signées par l’un des parents séparés, pour autoriser l’autre à quitter le pays avec un ou des enfants. Comme notaire, c’est ce que nous sommes amenés à préparer, de temps en temps. Si le parent acquiesce, il n’y a rien de compliqué, hormis d’obtenir les détails du voyage. Lorsque je lis ce texte, je trouve que la situation est tellement compliquée, parfois… Je suppose que ces dossiers sont devenus compliqués parce que l’un des deux a refusé d’accepter, et que l’autre a décidé qu’il n’allait pas se laisser faire… Vraiment, pas facile parfois la vie de parents. Pas facile pour les enfants pris là-dedans.