L’espérance de vie des Québécoises et des Québécois serait, selon de récentes statistiques (p. 54), parmi les plus élevées au monde. Selon des données provisoires, elle s’établirait à la naissance à 80,8 ans chez les hommes et à 84,5 ans chez les femmes. En 2016, on aurait même dénoté plus de 750 décès au-delà de 100 ans (p. 59 du même document).

Malheureusement, tous n’ont pas la chance de se rendre à un âge aussi avancé et, encore aujourd’hui, plusieurs personnes décèdent en raison de leur travail. Il y aurait eu près de 200 de ces décès au Québec en 2016 (selon les Statistiques nationales des accidents, maladies et décès professionnels, de l’Association des commissions des accidents du travail du Canada, tableau 25).

Derrière cette statistique, on devine :

  • des travailleuses et des travailleurs en pleine possession de leurs moyens, emportés dans la force de l’âge, en plein travail, dans des circonstances tragiques;
  • d’autres qui ont perdu la vie dans des accidents routiers alors qu’ils exerçaient leurs fonctions;
  • mais aussi des décès qui surviennent à la suite d’une maladie professionnelle; et
  • certains suicides qui sont également reliés de près ou de loin au travail ou aux conséquences d’une lésion professionnelle subie des années auparavant.

Indemnité de décès

Lorsqu’un travailleur perd ainsi la vie, on peut se questionner à savoir comment sont protégés ceux qui restent : conjoints, enfants mineurs ou majeurs et autres personnes à charge.

L’article 97 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit que le décès d’un travailleur en raison d’une lésion professionnelle, y compris une maladie professionnelle, donne droit à certaines indemnités, dont on trouve le détail sur le site de la CNESST.

Quelques illustrations jurisprudentielles

Protection du conjoint

Pour être reconnue comme conjoint au sens de l’article 2 LATMP, une personne doit démontrer que, à la date du décès du travailleur :

  • elle lui était liée par un mariage ou une union civile et cohabitait avec ce dernier; ou
  • elle vivait maritalement avec le travailleur, résidait avec lui depuis au moins 3 ans ou depuis 1 an si un enfant est né ou à naître de leur union et était publiquement représentée comme étant son conjoint.

Dans une récente affaire (S.M.), la CSST avait refusé de reconnaître à la requérante le statut de conjointe du travailleur parce qu’elle vivait 1 semaine sur 2 chez ses parents en raison de la garde de son enfant issu d’une union antérieure. La requérante, qui n’était pas liée par un mariage ou une union civile avec le travailleur au jour du décès de celui-ci, a fait valoir que, sur sa page Facebook, elle avait annoncé qu’elle était fiancée au travailleur. Par ailleurs, ce dernier l’avait désignée à titre de bénéficiaire d’une assurance-vie. La requérante a réussi à convaincre le TAT de la présence d’un lien marital entre elle et le travailleur décédé, mais cette décision a par la suite été révoquée (S.M.), car elle a été rendue avant que ne soit connu un fait nouveau essentiel. À l’audience, la requérante avait indiqué que « le fils du travailleur n’habitait pas avec eux » (paragr. 14). En fait, le travailleur avait la garde partagée de son fils jusqu’au moment de son décès et il a été admis que celui-ci avait une connaissance personnelle du début de la vie commune de la requérante et du travailleur. Au jour du décès de ce dernier, elle ne résidait pas avec lui depuis 3 ans.

Dans une autre affaire (Duguay), la requérante, qui s’était initialement vu refuser toute indemnité, a obtenu gain de cause. Bien que chacun des conjoints ait été propriétaire de sa résidence, le Tribunal a conclu en ces termes que cela ne devrait pas empêcher de reconnaître qu’ils vivaient maritalement :

[16] Le fait, surtout à notre époque, et d’autant plus pour des gens de l’âge de madame Duguay et du travailleur, de conserver deux maisons, surtout seulement pendant un temps, ne devrait pas empêcher de considérer qu’ils vivent maritalement et résident ensemble si l’ensemble des circonstances milite en ce sens.

Protection de l’enfant mineur jusqu’à sa majorité

Dans une décision rendue en 2017 (Giroux), le TAT a rappelé que le législateur a voulu encourager la poursuite des études à temps plein et, surtout, le maintien de la fréquentation scolaire aux niveaux les plus élevés en adoptant l’article 102 LATMP, qui prévoit que l’enfant mineur du travailleur décédé a droit à une indemnité mensuelle jusqu’à sa majorité et à une indemnité forfaitaire si, à la date de sa majorité, il fréquente à plein temps un établissement d’enseignement. Le Tribunal a indiqué qu’il ne croyait pas que le législateur ait voulu faire de cette dernière obligation une exigence absolue. Il peut surgir certaines situations de force majeure ou indépendantes de la volonté d’un bénéficiaire qui peuvent l’empêcher de fréquenter à temps plein un établissement d’enseignement à la date de sa majorité. Dans cette affaire, le fils du travailleur décédé s’interrogeait sur l’orientation qu’il allait donner à son parcours scolaire à la date de l’atteinte de sa majorité. Malgré le délai accordé par le juge, il n’a pas déposé une preuve pouvant expliquer un empêchement d’ordre médical qui aurait pu justifier l’absence de fréquentation d’un établissement d’enseignement à plein temps à l’âge de sa majorité. Il faut retenir que la jurisprudence exige une fréquentation assidue d’un établissement d’enseignement pour avoir le droit de toucher la somme forfaitaire prévue par la loi.

Dans une autre affaire (D.G. (Succession de)), la CLP a accueilli la contestation d’une requérante dont le père était décédé. Bien qu’elle ait atteint la majorité et qu’elle ait fréquenté un établissement d’enseignement à temps plein, la CSST avait refusé de lui accorder l’indemnité forfaitaire prévue à l’alinéa 2 de l’article 102 au motif que ses absences étaient trop fréquentes pour que l’on puisse conclure à une fréquentation scolaire assidue. Dans ce dossier, la CLP a conclu que, pour déterminer le niveau d’assiduité de la requérante, il fallait tenir compte de l’ensemble des circonstances. Ses absences justifiées par des raisons valables ne pouvaient servir à la priver des bénéfices de la loi. La fille du travailleur avait quand même assisté à la grande majorité de ses cours. En outre, elle souffrait d’un trouble de l’anxiété généralisée pour lequel elle prenait un médicament et qui était probablement en lien avec la grave maladie et le décès de son père alors qu’elle était adolescente.

La fréquentation d’un établissement non traditionnel, ici une école alternative, a également fait l’objet d’une décision qui a été rendue par la CLP que je vous invite à lire si le sujet vous intéresse (Bergeron (Succession de)).

Protection de l’enfant devenu majeur invalide

La CLP s’est également penchée sur le cas d’un enfant ayant perdu son père, le travailleur, à l’âge de 4 ans et a conclu qu’il était improbable qu’il puisse détenir une occupation véritablement rémunératrice et qu’il avait le droit de bénéficier de l’article 103 (Gestion A) :

[62] La grande fatigabilité et l’anxiété du requérant nécessitaient, jusqu’à l’an dernier, des ajustements académiques et des périodes de repos alors qu’il œuvrait dans une classe adaptée à sa condition. Malgré tout, il lui était impossible d’avoir une intégration à temps complet. Le tribunal voit mal comment cette réalité peut réellement se conjuguer dans le monde du travail. D’ailleurs, le requérant n’a jamais occupé d’emploi, de quelque nature que ce soit,malgré qu’il soit âgé maintenant de près de 19 ans.

Protection de l’enfant majeur

Dans une autre décision (General Motors du Canada ltée), la CLP s’est penchée sur les arguments présentés par le fils majeur du travailleur, qui considérait injuste qu’une indemnité ne lui soit pas versée, et a rappelé que le législateur n’a pas prévu d’indemnités pour les enfants majeurs âgés de plus de 25 ans au moment du décès, à moins qu’il ne soit établi que le travailleur n’avait pas de conjoint à cette date et qu’il pourvoyait à plus de la moitié des besoins de cet enfant. Le Tribunal a alors indiqué que les dispositions de l’article 101.1 LATMP ne s’appliquaient manifestement pas au fils puisque, au moment de son décès, le travailleur avait une conjointe. Enfin, il a constaté que le fils du travailleur ne prétendait pas qu’il était à la charge de son père au moment de son décès, autrement dit, que son père pourvoyait à plus de la moitié de ses besoins à cette date. Il a conclu que les articles 106 à 108 ne s’appliquaient donc pas en sa faveur.

Protection des parents du travailleur

Dans une autre affaire (P.D. (Succession de)), la CSST avait déclaré que le père et la mère du travailleur décédé avaient droit à une indemnité, mais cette décision a été infirmée par la CLP à la suite de la contestation de la succession du travailleur. Le Tribunal a conclu que les 2 filles majeures du travailleur, des jumelles, étaient à sa charge et avaient droit au bénéfice de la loi dans le contexte où, avant son décès, le travailleur pourvoyait dans une proportion de 25 à 50 % aux besoins de l’une et à plus de la moitié des besoins de la seconde.

Droits de la succession

Enfin, le TAT a récemment rappelé (Cournoyer (Succession)), en ces termes, que la succession ne possède pas plus de droits que le travailleur lui-même :

[41] Pour le Tribunal, la Succession ne peut pas, à la suite du décès du travailleur, présenter une nouvelle réclamation dans le but de faire reconnaître le caractère professionnel de la maladie pulmonaire du travailleur et ainsi avoir droit aux indemnités de décès prévues par la Loi, dans la mesure où la Commission a rendu une décision finale déclarant que ce dernier n’était pas porteur d’une maladie pulmonaire d’origine professionnelle.

[42] Pour avoir droit aux indemnités payables à la suite du décès d’un travailleur victime d’une maladie professionnelle pulmonaire, il faut au préalable que le caractère professionnel de la maladie soit reconnu.

[43] Or, le travailleur, alors qu’il connaissait la relation entre sa maladie pulmonaire et le travail, n’a pas jugé pertinent d’en faire reconnaître le caractère professionnel par la Commission en se soumettant à une évaluation par le CMPP ou même encore, en contestant la décision de la Commission du 20 avril 2007.

Conclusion

Les statistiques qui, année après année, continuent de relever le nombre de décès de travailleurs démontrent qu’il s’agit d’une réalité qui demeure et avec laquelle doivent encore composer trop de familles. La loi, qui ne peut certes pas pallier cette perte irremplaçable, peut néanmoins apporter un soutien matériel aux personnes endeuillées.

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