Un employeur qui estime que l’imputation du coût des prestations à son dossier est injuste peut en demander le transfert. L’alinéa 2 de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) énonce en effet quelques exceptions au principe général voulant que la CNESST impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail, ce qu’a fort intelligiblement exposé ma consœur Me Marie-Andrée Miquelon dans un récent billet.

Il sera aussi ici question d’accidents de la route subis par des travailleurs mais impliquant cette fois, plutôt que de l’imprudence ou de la négligence, des animaux sauvages.

Un animal n’est pas un tiers

Dans une affaire, un travailleur, un chauffeur de camion, a subi une lésion professionnelle alors qu’en tentant d’éviter un chevreuil son camion s’est renversé. L’employeur a demandé un transfert des coûts, étant d’avis que le travailleur avait été victime d’un accident de la route occasionné par une tierce partie, soit le chevreuil. La CLP a précisé ce qui suit :

[15] Tout d’abord, en ce qui concerne la notion de «tiers», telle qu’utilisée à l’article 326 de la Loi, la jurisprudence tant de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) que de la Commission des lésions professionnelles nous indique que le « tiers » est nécessairement une personne physique ou morale; un animal sauvage ne peut donc constituer un tiers au sens de la Loi.

L’employeur n’a pas davantage eu de succès en alléguant qu’il était obéré injustement :

[20] Or, il est de commune renommée qu’au Québec, il y a des animaux sauvages qui peuvent surgir sur la route, qu’il s’agisse d’orignaux ou de chevreuils; d’ailleurs, il y a des panneaux indicateurs à cet effet un peu partout avertissant les conducteurs de ce possible danger, qui fait partie de la réalité de tout conducteur. Les risques d’accident de la route sont donc des risques inhérents au travail de camionneur.

Rien d’exceptionnel

Dans une autre affaire, un opérateur de machinerie lourde a subi un accident attribuable à un orignal. Le véhicule lourd qu’il conduisait sur une route publique est entré en collision avec l’animal qui traversait celle-ci, entraînant une perte de la maîtrise du véhicule, qui a terminé sa course dans un fossé. L’employeur a soutenu que l’accident de la route résultait de circonstances inusitées et exceptionnelles, assimilables à un piège. Cependant, le TAT a conclu qu’il n’avait pas droit au transfert :

35 En définitive, le soussigné considère que lorsque les activités d’un employeur nécessitent que ses travailleurs doivent se déplacer sur les routes, les probabilités qu’ils soient impliqués dans des accidents de la route de toutes natures sont bien réelles et n’ont rien d’exceptionnel. Ces situations font partie des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur. C’est ainsi qu’à moins que les circonstances d’un accident du travail soient inusitées, rares, ou exceptionnelles, il n’est pas injuste d’imputer à l’employeur, le coût des prestations qui en découle.

Situation inusitée

Dans une récente décision du TAT, un employeur a toutefois obtenu gain de cause alors qu’il contestait une décision ayant refusé sa demande de transfert des coûts à la suite d’un accident du travail subi par l’un de ses employés, un chauffeur-livreur. Cet accident était survenu alors que ce dernier effectuait une livraison au volant de son camion. Il roulait alors à une vitesse de 90 kilomètres à l’heure et la vitre à sa gauche était abaissée. La suite de l’incident est ainsi décrite par le tribunal :

[16] Soudainement, un oiseau arrive par le côté, à la hauteur de la cabine du camion, et percute violemment le miroir latéral extérieur à la gauche du travailleur. Sur le coup, par réflexe et pour se protéger de l’oiseau, le travailleur lève son membre supérieur gauche. Le camion dévie alors de la route et se dirige vers le fossé situé à droite.

[17] Le travailleur tente de le ramener dans la voie de circulation, mais la remorque du camion ne suit pas et bascule dans le fossé, entraînant le camion avec elle. C’est à ce moment que le travailleur se blesse.

[Le gras est de la soussignée.]

Le Tribunal souligne que l’employeur, qui distribue de la nourriture, ne saurait invoquer le fait que les accidents de la route ne font pas partie des risques inhérents liés aux activités qu’il exerce. Il rappelle de plus, comme il a été mentionné plus haut, que des employeurs se sont déjà vu refuser l’application de l’exception prévue à l’article 326 alinéa 2 LATMP dans des cas de collision avec des animaux sauvages, tels un orignal ou un chevreuil :

 [22] Bien que la soussignée partage l’opinion de ces décideurs, elle considère que les circonstances entourant l’accident du travailleur en l’espèce se distinguent sur certains points de façon suffisante pour permettre l’application de l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi.

[23] En effet, il ne s’agit pas ici d’un orignal ou d’un chevreuil pour lequel le gouvernement considère justifié de placer une signalisation particulière, mais d’un oiseau.

[24] De plus, l’accident a ceci de particulier que l’oiseau n’est pas apparu devant le camion, mais a surgi par le côté avant de percuter le miroir. Force est d’admettre que cette situation est plutôt inusitée en ce que les collisions avec les animaux sauvages surviennent habituellement quand ceux-ci apparaissent dans la voie de circulation, devant le véhicule.

[…]

[26] Qui plus est, le Tribunal ajoute le fait que la vitre du travailleur soit abaissée témoigne d’une distinction supplémentaire puisqu’il y avait alors un risque élevé que l’oiseau pénètre à l’intérieur de l’habitacle après avoir frappé le miroir extérieur latéral. L’ouverture importante créée par la vitre baissée exposait ainsi le visage du travailleur.

Le TAT a conclu qu’il serait injuste d’imputer au dossier de l’employeur le coût des prestations découlant de l’accident, compte tenu du caractère inusité et exceptionnel des circonstances dans lesquelles celui-ci s’est produit, et il a déclaré que les coûts devaient être transférés à l’ensemble des employeurs.

Injustice pour l’employeur

Enfin, dans une autre affaire, où il n’y a pas eu d’accident de la route mais plutôt une malencontreuse rencontre entre un travailleur, un contremaître forestier, qui circulait à pied et un ours noir, l’employeur s’est également vu accorder le transfert des coûts liés à la lésion du travailleur victime de l’attaque de l’animal.

[40] De plus, il ressort du témoignage de monsieur Lagacé que les ours noirs sont des bêtes méfiantes qui fuient l’être humain. Dans ces circonstances, il est donc difficile d’invoquer le concept de risque assumé dans la mesure où la définition de cette notion selon le dictionnaire Robert réfère à un danger éventuel plus ou moins prévisible. En l’occurrence, il s’agit d’une éventualité si peu présente dans le quotidien des travailleurs forestiers de la région concernée que l’employeur ne fournit aucun équipement de défense à l’encontre des animaux.

[41] Conséquemment, le tribunal conclut à la démonstration prépondérante d’une situation d’injustice.

[42] En second lieu, la soussignée considère que l’employeur s’est également acquitté de son fardeau de preuve relativement à la charge financière que lui incombe cette situation d’injustice.

[43] En effet, au-delà de la simple énonciation des coûts découlant de l’accident du travail de monsieur Groulx, il a été démontré que la Coopérative Forestière des Hautes-Laurentides se trouve dans une situation financière précaire exigeant de chacun de ses membres certains sacrifices afin de permettre la survie de l’entreprise. Dans ce contexte, l’importance des coûts en cause et la hausse potentielle du taux de cotisation affecte de manière évidente l’équilibre économique de la coopérative.

Si vous êtes curieux de connaître le nombre d’accidents impliquant un véhicule routier et un animal, je vous invite à consulter les statistiques publiées par la SAAQ (p. 38 et ss.). Un risque bien réel sur les routes du Québec!

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