Récemment, l’un de mes contacts Facebook a filmé une dame à son insu dans le métro à l’heure de pointe alors qu’elle se trouvait dans une situation embarrassante. Le fait que cette connaissance Facebook ait été d’opinion que la dame filmée n’aurait pas dû utiliser ses doigts pour se nettoyer le nez lui donnait-il le droit de la filmer sans son consentement et de diffuser cet enregistrement vidéo sur le média social?

Notion juridique du droit à l’image

Le droit à l’image est une composante du droit à la vie privée codifié aux articles 35 et 36 du Code civil du Québec, sous le titre deuxième, «De certains droits de la personnalité», ainsi qu’à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne :

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants:
1°  Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
2°  Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
3°  Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés;
4°  Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
5°  Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;
6°  Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

L’arrêt phare en la matière est Aubry c. Éditions Vice-Versa inc, rendu en 1998, où une photographie d’une adolescente prise dans un lieu public sans sa permission avait été publiée dans une revue artistique. La jeune femme avait reçu 2 000 $ à titre de dommages moraux.

On mentionne ceci dans le résumé :

[…] Dans la mesure où le droit à la vie privée cherche à protéger une sphère d’autonomie individuelle, il doit inclure la faculté d’une personne de contrôler l’usage qui est fait de son image. Il faut parler de violation du droit à l’image et, par conséquent, de faute dès que l’image est publiée sans consentement et qu’elle permet d’identifier la personne en cause.

La Cour suprême du Canada a jugé que le droit à la liberté d’expression du photographe et du magazine en cause ainsi que le droit du public à l’information ne pouvaient être retenus pour s’exonérer dans cette affaire :

[62] En l’espèce, la responsabilité des appelants est à priori engagée puisqu’il y a eu publication de la photographie alors que l’intimée était identifiable. Nous ne croyons pas que l’expression artistique de la photographie, dont on a allégué qu’elle servait à illustrer la vie urbaine contemporaine, puisse justifier l’atteinte au droit à la vie privée qu’elle comporte. L’intérêt dominant du public à prendre connaissance de cette photographie n’a pas été démontré. L’argument que le public a intérêt à prendre connaissance de toute œuvre artistique ne peut être retenu, notamment parce que le droit de l’artiste de faire connaître son œuvre, pas plus que les autres formes de liberté d’expression, n’est absolu.

Quelques exemples jurisprudentiels

Pia Grillo c. Google inc. 

La demanderesse a consulté le site Internet Google Maps pour vérifier de quelle façon sa résidence y était exposée. En cliquant sur l’onglet « Street View », elle a constaté qu’elle figurait sur l’image. Elle était alors à l’extérieur de sa maison, assise sur la première marche de l’escalier, pieds nus et portant un vêtement sans manche de type débardeur, et une partie de sa poitrine était exposée. Outre l’adresse de sa résidence, son véhicule se trouvait aussi sur la photographie, et ce, sans que la plaque d’immatriculation soit camouflée. Elle a reçu 2 250 $ à titre de dommages moraux. Elle avait rendu un témoignage au tribunal sur les moqueries et les commentaires désobligeants dont elle avait été victime par ses collègues de travail et sur le choc profond qu’elle avait ressenti en constatant que sa « vie privée » n’avait pas été respectée.

N.G. c. F.B. 

Dans cette affaire, l’ex-mari de la demanderesse a transmis par courriel à son nouveau conjoint des photographies que cette dernière avait prises d’elle-même nue. Le tribunal a conclu qu’il y avait eu atteinte fautive au droit à l’image de la demanderesse. Il a également conclu à une atteinte aux droits au respect de sa vie privée et à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. L’ex-mari a été condamné à verser 10 000 $ à la demanderesse à titre de dommages moraux et punitifs.

Pilon c. St-Pierre

Dans cette cause de 1999, un client d’un bar a obtenu 1 000 $ du propriétaire de celui-ci, qui avait affiché dans son établissement des photographies qui avaient été prises de lui après qu’il se fut endormi au bar et que ses amis l’eurent maquillé en bouffon. Cette décision reconnaît à la fois l’atteinte au droit à l’image ainsi que celle à l’honneur et à la réputation du défendeur.

Je ne vous ai parlé que du droit à l’image dans cette chronique en lien avec notre thème du mois, « Corps et image », mais il y a aussi des cas de diffamation sur les médias sociaux et d’atteinte à réputation de ses collègues et de son employeur sur les médias sociaux qui ont été abordés dans des billets antérieurs de mes collègues. D’autres cas de jurisprudence pourraient également s’ajouter et mériter qu’on s’y attarde vu l’utilisation malveillante des médias sociaux qui semble être en pleine explosion. Nous y reviendrons sans doute dans une prochaine chronique…

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