La Cour supérieure a récemment rendu une ordonnance enjoignant à l’Officier de la publicité des droits (OPD) de rendre indisponible à la consultation, y compris par voie électronique, le jugement accompagnant l’avis d’inscription d’une hypothèque légale.

Sans faire droit précisément aux demandes qui lui avaient été soumises par les parties demanderesses, dont les dossiers ont été réunis pour décision, le juge a néanmoins cherché à résoudre la difficulté à laquelle ces dernières faisaient face.

Quelles demandes ?

Dans le premier dossier, le demandeur souhaitait que l’OPD remplace le jugement publié sur son immeuble par une copie caviardée ou par des extraits de jugement. Par la suite, il est allé jusqu’à demander le retrait de l’inscription de l’hypothèque légale et qu’il soit déclaré par le tribunal qu’elle n’avait jamais existé. Une demande similaire a été présentée dans le second dossier, dans le contexte où un avis d’inscription d’hypothèque légale résultant du jugement avait été publié contre l’immeuble de la demanderesse.

Il est à noter que, dans les 2 dossiers :

  1. le jugement publié avait été rendu en matière familiale
  2. l’hypothèque légale avait été radiée

Le principe

Comme l’a rappelé le juge au tout début de son jugement, un créancier peut «publier un avis d’inscription d’une hypothèque légale contre l’immeuble de son débiteur à la suite du jugement d’un tribunal le condamnant à payer une somme d’argent au créancier.» De plus, il est prévu, à l’article 2730 du Code civil du Québec, que l’avis d’inscription au registre foncier doit être présenté avec une copie du jugement.

Le hic

Le juge a formulé ainsi la question en litige :

[3]             Si la créance résulte d’un jugement en matière familiale, ce jugement doit-il assurer l’anonymat des parties à l’instance ou d’un enfant dont l’intérêt est en jeu dans cette instance et faire en sorte que les passages qui permettent de les identifier en soient extraits ou caviardés, tel que le prévoit l’article 15 du Code de procédure civile ?

Respect de la vie privée

Le juge a ensuite indiqué que le législateur avait, à l’article 15 du nouveau Code de procédure civile, précisé la portée, quant aux jugements, du principe du respect de la vie privée dans les matières matrimoniales (paragr. 23).

15. En matière familiale ou de changement de la mention du sexe figurant à l’acte de naissance d’un enfant mineur, les audiences du tribunal de première instance se tiennent à huis clos; le tribunal peut cependant, dans l’intérêt de la justice, ordonner que l’audience soit publique. Les personnes présentes à l’audience non plus que toute autre personne ne peuvent, sans l’autorisation du tribunal, divulguer de l’information permettant d’identifier les personnes concernées, sous peine d’outrage au tribunal.

Les jugements en ces matières ne peuvent être publiés que s’ils assurent l’anonymat d’une partie à l’instance ou d’un enfant dont l’intérêt est en jeu dans une instance et que les passages qui permettent de les identifier en sont extraits ou caviardés.

[Le caractère gras a été ajouté par le juge.]

Il a souligné que «cette règle laisse peu de place à l’interprétation. Elle est d’ordre public et s’applique à tous. Elle ne s’applique pas seulement à celui qui requiert l’inscription aux registres, mais aussi à l’OPD qui doit s’assurer de son respect. À ce sujet, l’article 3020 C.c.Q. sur l’immunité de l’OPD n’est d’aucun secours» (paragr. 24).

Le juge s’est dit d’avis que «le jugement en matière familiale qu’on veut publier aux registres de la publicité est soumis à l’article 15» (paragr. 32). Enfin, il a tenu à rappeler les obligations des professionnels* en cause dans ce type de dossiers :

[33]        Ajoutons que la Chambre des notaires a décidé que les notaires qui avaient publié les avis d’inscription d’hypothèques légales en l’espèce avaient commis, bien involontairement, des actes dérogatoires.

De plus, il a relevé le fait que, à la Commission permanente des institutions, «la question de la publicité d’un jugement aux registres de la publicité n’a jamais été abordée lors de l’examen article par article du nouveau code de procédure civile» (paragr. 31) et il a mentionné que les Commentaires de la ministre de la Justice : le Code de procédure civile, chapitre C-25.01 (Québec, Ministère de la Justice, Commentaires de la ministre de la Justice : le Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, SOQUIJ/Wilson & Lafleur, 2015, 695 p.) n’en traitent pas et que «la doctrine ne s’est pas penchée sur le sujet non plus» (paragr. 31).

En outre, il a tenu à souligner que, à l’occasion de l’entrée en vigueur de l’article 15, le livre IX du Code civil du Québec (art. 2934 à 3075.1), De la publicité des droits, n’a pas été modifié, ni le Règlement sur la publicité foncière, et que «[c]ela est complètement passé sous le radar» (paragr. 37).

Ressources judiciaires

Le juge s’est ensuite penché sur les questions soulevées par les 2 modes prévus à l’article 15 pour assurer le respect de la vie privée des parties à un jugement en matière familiale, soit le jugement caviardé et l’extrait de jugement. Il a rappelé en ces termes qu’à l’heure actuelle les ressources judiciaires ne sont pas illimitées pour ce faire et qu’il y a lieu d’en tenir compte :  

[43]        Faudra-t-il que le greffier émette des copies caviardées de jugements certifiées conformes ? La loi ne prévoit rien à cet égard. En ces temps de ressources judiciaires limitées, il risque d’y avoir des délais administratifs qui retarderont la constitution d’hypothèques légales et qui feront perdre des droits. En outre, le caviardage d’un jugement est une opération d’analyse juridique. Il ne s’agit pas seulement de caviarder un nom, une adresse, une date de naissance, mais tout passage qui permet d’identifier une partie.

[…]

[49]        Pour respecter l’article 15 C.p.c. et l’article 2730 C.c.Q., il faudrait que l’extrait de jugement contienne aussi l’extrait pertinent de la convention sur mesures accessoires, ce qui nécessite quand même une analyse juridique du document et un bricolage à la pièce. À l’heure actuelle, les services judiciaires n’ont pas les ressources pour faire face à une telle demande. L’hypothèque légale est une mesure conservatoire qui vise la protection des droits. On ne peut pas attendre un mois pour obtenir le fameux document. Les biens se seront envolés bien avant. Il n’y aura plus rien à conserver et les droits seront perdus.

Par ailleurs, il a conclu que le tribunal ne pouvait accueillir la demande telle qu’elle était formulée puisque rien «dans le Code civil ne prévoit la suppression pure et simple (dans le sens de disparition, effacement) d’une inscription à l’index des immeubles» (paragr. 56) et rien «dans la loi ne permet non plus le retrait du jugement publié ou sa substitution pure et simple par un extrait de jugement ou un jugement caviardé comme le requièrent les demandeurs» (paragr. 57):

[58]        La stabilité des registres de la publicité est essentielle à la sécurité des titres et des droits. Il n’existe pas de cadre législatif permettant le retrait d’archives ou l’effacement pur et simple de mentions aux registres. Les registres de la publicité des droits sont authentiques et c’est le devoir de l’OPD d’en assurer la conservation.

Une solution «sur mesure» adaptée à la situation des parties et limitée à l’espèce

L’OPD a quant à lui proposé que le tribunal rende l’ordonnance mentionnée plus haut, lui enjoignant de rendre indisponibles les jugements publiés. Cette solution a été retenue par le juge, qui a toutefois mentionné qu’il fallait prévoir que toute personne ayant un intérêt légitime pourrait s’adresser au tribunal pour faire lever cette confidentialité, en tout ou en partie, de façon temporaire ou perpétuelle, le tribunal pouvant toujours, même dans ce cas, prévoir les conditions et rendre les ordonnances nécessaires pour assurer la protection de la vie privée des parties au jugement.

Enfin, le juge a indiqué qu’il ne s’agissait pas de la solution la plus pratique ni la plus économique :

[70]        En ces temps où la proportionnalité est devenue le nouveau credo, il y a nécessité d’une intervention législative.

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* À ce sujet je vous invite à consulter Un créancier pressé de voir une hypothèque légale publiée?, article publié sur le site de la Chambre des notaires du Québec.

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