Dans un récent numéro, la revue Prévention au travail traitait de la surdité et du vieillissement. L’auteur y présentait plus particulièrement une revue de la littérature scientifique financée par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) et portant sur les liens entre la surdité professionnelle et la presbyacousie.

Dans le cadre de cette revue de la littérature scientifique, «[u]ne trentaine d’études publiées depuis 2000, réalisées auprès de sujets humains ou avec des modèles animaux, ont été analysées» (p. i).

La section «Introduction» du document nous indique que l’avis scientifique demandé par l’IRSST au professeur Tony Leroux, de l’Université de Montréal, devait notamment répondre à la question suivante :

Comment évolue la surdité après l’arrêt de l’exposition à un bruit excessif au travail ? En d’autres mots, est-ce qu’un travailleur qui cesse d’être exposé à un bruit excessif voit son audition continuer à décliner par la suite, et ce, indépendamment de l’effet du vieillissement ?

Il s’agit là d’une question importante en matière d’indemnisation de la surdité professionnelle.

Ainsi que le rapportait l’auteur de l’article paru dans Prévention au travail :

Cela devient très difficile, quand on arrive dans le domaine des indemnisations pour surdité professionnelle, de déterminer ce qui est dû à quoi. Mais les travaux de recherche sont en train de démontrer qu’on ne peut pas continuer à faire ça, parce que la perte qui continue à progresser n’est pas seulement due au vieillissement. Elle pourrait être un effet décalé de l’exposition au bruit.

Dans une affaire récemment entendue par le Tribunal administratif du Travail (TAT) (Chemins de fer nationaux du Canada et Roy), un travailleur a tenté de convaincre le Tribunal du fait que la surdité liée au bruit continue d’évoluer après la fin de l’exposition au bruit. L’opinion de l’audiologiste qu’il a fait entendre n’a cependant pas convaincu le Tribunal.

Les faits

Le travailleur a été au service de l’employeur de 1942 à 1985, période pendant laquelle il a été exposé à des bruits excessifs. Plusieurs années après sa retraite, soit en 2017, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a reconnu qu’il souffrait d’une surdité professionnelle.

La CNESST a déclaré que cette surdité entraînait une atteinte permanente de 64,8 %, ce que l’employeur a contesté devant le TAT. Afin de se prononcer sur la question en litige, le TAT devait déterminer quel était l’audiogramme à utiliser. En effet, le travailleur avait subi un premier audiogramme en 1985, un deuxième en 2013 puis un troisième en 2016. Le médecin régional de la CNESST, qui n’avait pas en main l’audiogramme de 1985, avait pour sa part eu recours aux résultats de celui de 2013.

Évaluation des dommages causés par le bruit : les parties ne s’entendent pas

Devant le TAT, l’employeur faisait valoir que l’audiogramme qu’il fallait prendre en considération afin d’évaluer les dommages que le bruit avait causés à l’audition du travailleur était celui qui était le plus contemporain de la cessation de l’exposition au bruit excessif, soit l’audiogramme de 1985. Ce faisant, comme le souligne le juge administratif, l’employeur s’appuyait sur une jurisprudence bien établie du Tribunal.

Suivant cette approche, «la surdité professionnelle se développe dans les 10 à 15 premières années d’exposition au bruit excessif et [elle] ne progresse plus lorsque l’exposition au bruit cesse. Il y a alors une stabilisation du niveau de surdité causée par le bruit. Ensuite, ce sont d’autres causes qui peuvent toucher l’audition, comme la presbyacousie dont [les] effets débutent vers l’âge de 40 ans pour s’accentuer ensuite.» (paragr. 16).

Pour sa part, le travailleur avait fait témoigner une audiologiste qui, s’appuyant sur sa pratique personnelle et sur le résultat de certaines études, soutenait que «l’exposition au bruit excessif avant le vieillissement exacerbe la presbyacousie, que les oreilles qui ont été exposées à des bruits excessifs vieillissent différemment de celles qui n’y ont pas été exposées ou que la surdité liée au bruit continue à progresser après la fin de l’exposition du travailleur au bruit» (paragr. 19). Selon cette spécialiste, il fallait donc retenir l’audiogramme le plus contemporain de la réclamation pour évaluer les dommages.

La décision

Le TAT a constaté que la littérature soumise par l’audiologiste faisait l’objet de controverses et s’écartait «des données médicales actuelles» (paragr. 20). À son avis, les études soumises étaient discutables. Il a conclu que la jurisprudence établie par le Tribunal et sur laquelle l’employeur s’appuyait «demeur[ait] fondée sur les données médicales actuelles les plus reconnues» (paragr. 24).

Le TAT a donc évalué l’atteinte permanente en se basant sur les résultats de l’audiogramme le plus contemporain de la fin de l’exposition au bruit excessif, soit celui de 1985. Étant donné que les résultats obtenus se situaient sous le seuil d’indemnisation minimal prévu au Règlement sur le barème des dommages corporels, le TAT n’a reconnu aucun pourcentage d’atteinte permanente au travailleur.

Conclusion

Globalement, la question de la surdité professionnelle demeure un sujet de préoccupations. Un rapport de 2014 de l’Institut national de santé publique du Québec souligne que : «Au Québec, parmi les lésions acceptées par la CSST, la surdité professionnelle est le problème de santé le plus fréquent après les troubles musculo-squelettiques» (p. 7).

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