De nombreux professionnels offrent leurs services à une clientèle âgée. Voici quelques exemples tirés de la jurisprudence où certains d’entre eux ont eu à répondre de leurs actes devant les conseils de discipline de leurs différents ordres professionnels, et ce, pour avoir été accusés d’infractions de natures diverses, qu’elles soient économiques, à caractère sexuel ou encore en lien avec la qualité de leurs services à l’endroit de patients ou de clients.

Médecin : sollicitation de clientèle dans une résidence de personnes âgées

Un médecin, vêtu d’un sarrau blanc et portant un stéthoscope au cou, s’est rendu à l’intérieur d’une résidence privée pour personnes âgées de Laval, y effectuant du porte-à-porte et distribuant des cartes professionnelles, à la recherche de nouveaux clients. Il s’est fait reprocher d’avoir contrevenu à ses obligations déontologique et s’est vu imposer une amende de 7 500 $.

Dans son analyse, le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec a relevé que le seul chef de la plainte prenait appui sur l’article 74 du Code de déontologie des médecins, lequel stipule que: «Le médecin ne doit faire aucune sollicitation de clientèle.» Le Conseil a insisté sur le fait que :

[39]        L’intimé a plaidé coupable à un acte contraire à une disposition importante régissant la profession de médecin. Ce manquement mine la confiance du public à l’égard de cette profession.

Au moment de déterminer la sanction, le Conseil de discipline a tenu compte de facteurs atténuants, mais également d’un élément qu’il a qualifié d’aggravant, soit que l’intimé avait eu accès à la résidence sans respecter les politiques et procédures en vigueur et que la sollicitation qu’il avait faite ainsi que sa présence dans la résidence avaient suscité l’inquiétude des résidents.

Pharmacien : versement d’une somme de près de 40 000 $ aux gestionnaires d’une résidence pour personnes âgées

Pour sa part, un pharmacien, ayant reconnu sa culpabilité sous les 4 chefs de la plainte disciplinaire déposée contre lui, s’est également vu imposer une amende de 7 500 $ sous le chef lui reprochant d’avoir, à 222 reprises, versé illégalement un avantage relatif à l’exercice de la profession à la conjointe du propriétaire d’une résidence pour aînés de Saint-Joseph-de-Beauce ainsi qu’à une responsable de cette résidence. Le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec a retenu qu’il avait commis ces gestes «afin de s’assurer de leur fidélité et indirectement de celle des résidents, une clientèle dite vulnérable, pour en retirer un bénéfice au détriment de ses confrères pharmaciens» (paragr. 49), qu’il avait «privilégié ses intérêts personnels aux dépens de ses obligations professionnelles» (paragr. 50) et qu’il s’était placé en conflit d’intérêts et avait compromis «son indépendance et son désintéressement» (paragr. 50). À cet égard, il a conclu que les gestes reprochés au professionnel étaient «graves en ce qu’ils touch[aient] l’intégrité et la probité de la profession» (paragr. 51).

Audiologiste : évaluations audiologiques dans des résidences pour personnes âgées

Une audiologiste a fait l’objet d’une plainte disciplinaire comportant 6 chefs d’accusation, lui reprochant d’avoir omis de prendre les moyens adéquats pour s’assurer que le bruit ambiant ne compromettrait pas la validité des résultats lorsqu’elle a procédé, à l’extérieur d’une cabine insonorisée, à 16 évaluations audiologiques dans 3 résidences pour personnes âgées ainsi que d’avoir omis d’indiquer sur leurs formulaires d’évaluation que celles-ci n’avaient pas été réalisées dans des conditions conformes à celles prévues à la norme S3.1, établie par l’American National Standard (norme ANSI S3.1).

Le Conseil de discipline de l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec a déclaré la professionnelle coupable sous tous les chefs de la plainte. Dans sa décision sur culpabilité, il a mentionné que, selon l’expert de la syndic adjointe plaignante, il était déontologiquement permis à la professionnelle de procéder à des évaluations audiologiques dans les résidences pour personnes âgées, c’est-à-dire à l’extérieur d’une cabine insonorisée, mais que celle-ci aurait dû prendre les moyens pour s’assurer que le bruit ambiant ne compromettrait pas les résultats des tests effectués en se conformant à la norme ANSI S3.1. Le Conseil a souligné que, bien qu’il soit sensible à la bonne intention qui animait la professionnelle «de venir en aide aux personnes âgées en leur offrant des services professionnels à domicile, c’est-à-dire sans leur imposer un déplacement» (paragr. 98), cela ne la dégageait pas de «ses obligations déontologiques de fournir un service de qualité qui réponde à l’ensemble des exigences de sa profession» (paragr. 98).

Diététiste : transgression des limites de la relation professionnelle

Dans une autre affaire, il a notamment été reproché à une diététiste, qui occupait un emploi de nutritionniste dans un établissement de santé et de services sociaux de Montréal, d’avoir eu des échanges avec une cliente âgée de plus de 80 ans portant sur des questions spirituelles et d’avoir emmené celle-ci à une rencontre d’un mouvement auquel elle adhérait. Le Conseil de discipline de l’Ordre des diététistes du Québec a précisé ainsi le contexte professionnel:

[9]           Son travail consiste à intervenir auprès d’une clientèle vulnérable et âgée afin d’adapter l’alimentation de ces personnes en fonction de leurs besoins, dans l’objectif de maintenir ou de rétablir leur état de santé.

Après avoir rappelé que la professionnelle avait reconnu par son plaidoyer de culpabilité avoir contrevenu à l’article 7 du Code de déontologie des diététistes, qui prescrit que : «Le diététiste doit s’abstenir d’intervenir dans les affaires personnelles de son client sur des sujets qui ne relèvent pas de l’exercice de sa profession», le Conseil s’est prononcé sur la gravité du manquement déontologique en ces termes:

 [76]        La gravité objective de la conduite de l’intimée prend toute sa signification si on tient compte du fait qu’elle intervient auprès d’une personne âgée, curieuse de nature et qui lui fait pleinement confiance.

[77]        La preuve établit que l’intimée est largement sortie du cadre de la relation professionnelle qui l’unit à sa cliente, lorsqu’elle l’incite à participer à l’activité du Mouvement, se charge des déplacements et accepte l’invitation au restaurant par la suite.

[78]        Inutile de souligner que ces gestes de l’intimée ternissent l’image de la profession auprès du public.

Sous ce chef, la professionnelle s’est vu imposer une radiation temporaire de 2 mois. Soulignons qu’il s’agit ici de l’une des rares décisions rendues par le Conseil de discipline de l’Ordre des diététistes du Québec .

Travailleuse sociale : immixtion dans les affaires personnelles d’une cliente âgée

Une radiation de 2 mois a également été imposée à une travailleuse sociale sous le premier des 3 chefs de la plainte disciplinaire déposée contre elle. Le Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec a ainsi résumé ce qui lui était reprochée sous ce chef :

[2]             Quoique bien intentionnée, l’intimée s’est immiscée dans les affaires personnelles d’une cliente âgée, en perte d’autonomie, et qui éprouve de sérieux problèmes de santé mentale et physique.

[3]             Contrairement aux volontés de la cliente, l’intimée fait le tri des effets personnels de celle-ci, distribue certains de ses biens et met fin au bail de son logement.

Dans son analyse afin de déterminer la sanction à imposer, le Conseil a souligné :

[113]     Le fait que l’intimée distribue et jette des biens appartenant à sa cliente constitue une grave inconduite. Or, l’article 6 de la Charte prévoit que : « Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. ».

[114]     Elle s’est aussi donné le droit de conserver des livres, ainsi que des pompes à vélo, à ses fins personnelles, afin de compenser le temps personnel non rémunéré qu’elle a consacré au tri réalisé à l’appartement. Elle a ainsi agi d’une manière inacceptable, se plaçant en situation de conflit d’intérêts réel ou apparent. Plutôt que d’une question de compétence, le Conseil est d’avis qu’il s’agit d’une grave erreur de jugement.

[…]

[120]    Que l’intimée pose certains gestes à la connaissance ou avec l’accord de la curatrice déléguée, ne vient pas légitimer sa propre conduite. Le bureau du curateur est un organisme distinct ayant son propre rôle à accomplir. En tant que professionnelle devant assumer ses propres responsabilités, l’intimée ne peut s’appuyer sur le silence de la curatrice déléguée ou même, sur l’accord de cette dernière. Elle a elle-même outrepassé son rôle de travailleuse sociale, agissant de manière à mettre en péril sa relation de confiance avec sa cliente.

Infirmière auxiliaire : avoir dérobé une somme de 100 $ dans l’appartement d’une résidente

Une infirmière auxiliaire s’est quant à elle vu reprocher des gestes qu’elle a commis alors qu’elle n’était membre de son ordre que depuis environ 1 an. Le Conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec relate ainsi les faits de cette affaire, en ce qui a trait au premier des 2 chefs de la plainte disciplinaire déposée contre elle :

[20]        Au cours de l’été 2016, monsieur A.S., dont la mère de 89 ans est une résidente de la résidence pour personnes âgées, soupçonne que sa mère est victime de vol d’argent.

[21]        Il installe une caméra cachée dans la chambre de sa mère et met des billets préalablement marqués dans le portefeuille de cette dernière.

[22]        Le 4 août 2016, la caméra filme Mme Routhier qui entre dans la chambre de la résidente, alors que celle-ci est absente. Elle prend le sac à main de la résidente et retire des billets qu’elle place ensuite à l’intérieur de son soutien-gorge avant de quitter l’appartement.

[23]        Le fils de la résidente porte plainte auprès de la police. La police constate que Mme Routhier lui a soutiré 100 $.

À la suite de ces révélations, la professionnelle a été congédiée. Accusée d’introduction par effraction et de vol, elle s’est vu imposer une ordonnance de probation de 30 mois ainsi que 200 heures de travaux communautaires et a été condamnée à verser une somme de 200 $ en guise de dédommagement. Pour sa part, le Conseil de discipline, saisi de la plainte disciplinaire déposée contre elle, l’a radiée 4 mois pour avoir contrevenu à l’article 16 du Code de déontologie des infirmières et infirmiers auxiliaires, qui stipule que :  

  1. Le membre ne doit pas s’approprier des médicaments, des préparations narcotiques ou anesthésiques ou d’autres biens ou substances, notamment des stupéfiants, appartenant à son employeur ou à une personne avec laquelle il est en rapport dans l’exercice de sa profession.

Infirmier : avoir agressé sexuellement une ex-patiente âgée de plus de 80 ans

Dans une autre affaire, un infirmier a également fait l’objet d’accusations criminelles, cette fois pour avoir agressé sexuellement une ex-patiente et lui avoir causé des lésions corporelles. À la suite de sa condamnation – un juge de la Cour du Québec lui a imposé une période d’emprisonnement de 31 mois et 15 jours –, la syndic adjointe plaignante de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a déposé contre lui une plainte disciplinaire en vertu de l’article 149.1 du Code des professions, étant d’avis que cet acte criminel avait un lien avec l’exercice de la profession. Le Conseil de discipline a rapporté ainsi les faits de cette affaire :

[14]        Vers 21 h 30, alors qu’il est en état d’ébriété avancé, il se rend à la chambre de la cliente A et l’agresse sexuellement.

[15]        En fuyant l’intimé, la cliente A subit une fracture à la hanche. Elle est opérée puis hospitalisée pendant 21 jours. Sa convalescence est difficile.

Dans son analyse afin de déterminer s’il y avait effectivement un lien entre l’acte criminel et l’exercice de la profession d’infirmier, le Conseil a retenu que, lorsque l’infraction criminelle a été commise, le professionnel n’était plus au service de la résidence pour personnes autonomes et semi-autonomes où résidait sa victime, tout en soulignant que «[d]ix mois après avoir démissionné de son emploi à la Résidence, la confiance existe toujours entre la cliente A et l’intimé» (paragr. 29). Le Conseil a retenu que l’infraction criminelle commise par le professionnel allait à l’encontre «des qualités essentielles et valeurs fondamentales de la profession d’infirmier» (paragr. 40). Après avoir conclu que le lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession avait été établi, il a indiqué qu’il y avait lieu d’imposer une sanction disciplinaire. Afin de la déterminer, le Conseil a notamment tenu compte des éléments suivants :

[51]        Dans l’exercice de sa profession, l’intimé intervient auprès des personnes âgées, souvent prises avec des limitations physiques et intellectuelles ou même avec des pertes cognitives. Vulnérables pour plusieurs d’entre elles.

[52]        Il leur donne des soins, est attentif à leurs besoins et développe un lien de confiance avec les résidents.

[53]        Âgé de 71 ans, l’intimé inspire confiance pour la clientèle qu’il dessert. Il est une personne significative dans le milieu de vie des résidents.

[…]       

[72]        Quant aux facteurs subjectifs aggravants, le Conseil retient que l’intimé est «tombé en amour» avec la cliente A, qu’il a connue dans l’exercice de sa profession et dans le cadre de ses fonctions et qu’il n’a pas su garder la « bonne distance ». L’intimé désirait qu’elle déménage chez lui. Il n’a pas reconnu que la victime était vulnérable et dans l’impossibilité de manifester un consentement à ses avances compte tenu de sa maladie. Il n’a pas su reconnaître, lorsque la victime l’a mordu alors qu’il l’agressait, qu’il s’agissait de l’expression d’un non. Il a abusé de sa confiance.

Une radiation temporaire de 5 ans a été imposée au professionnel.

Conclusion

Ces exemples, mettant en cause un médecin, un pharmacien, une audiologiste, une diététiste, une travailleuse sociale, un infirmier et une infirmière auxiliaire, nous montrent que les infractions déontologiques à l’endroit de personnes âgées peuvent prendre diverses formes et que la vigilance est toujours de mise pour ceux qui les entourent et souhaitent les protéger. Enfin, il ressort de quelques-unes de ces situations que, même motivés par de bonnes intentions, certains actes sont néanmoins susceptibles de faire l’objet de sanctions disciplinaires. Par ailleurs, d’autres actes rappellent que, dans les cas où l’intention est de nature criminelle, les professionnels s’exposent à la fois à des sanctions pénales et disciplinaires de même qu'à des mesures que pourrait prendre leur employeur contre eux.