Évidemment, le Tribunal administratif du travail (TAT) ne s’est pas encore prononcé sur la survenance d’une lésion professionnelle en présence d’un diagnostic de maladie à coronavirus (COVID-19) ou de tout autre diagnostic en lien avec la pandémie qui sévit actuellement.
Il s’est toutefois prononcé à différentes reprises dans des circonstances où un travailleur alléguait que sa maladie était reliée à une exposition à un virus. Il y a peut-être un parallèle à faire avec l’exposition au coronavirus.
Maladie professionnelle
Pour nos vaillants travailleurs du domaine de la santé qui sont au front -- un grand merci! --, on peut penser qu’une maladie professionnelle pourrait leur être reconnue si un diagnostic de maladie à coronavirus (COVID-19) était posé à leur endroit. Par contre, plus le temps avance, plus il sera difficile de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils ont été infectés dans leur milieu de travail.
Infirmière auxiliaire
Dans une décision récente (Desgagné), le Tribunal a rappelé qu’il y avait lieu de parler de risques particuliers lorsque l’exercice d’un travail, en raison de sa nature ou de ses conditions habituelles, fait courir à celui qui en est responsable un risque particulier de présenter une maladie précise.
Dans cette affaire, le Tribunal a reconnu que l’influenza diagnostiquée chez une infirmière auxiliaire qui avait été en contact direct à 2 reprises avec un patient porteur de ce virus était reliée aux risques particulier de son travail, et ce, même si l’employeur n’avait diffusé aucun avis d’éclosion.
Agente administrative à l’unité des soins gériatriques de courte durée dans un CISSS
Dans cette affaire, le TAT a reconnu que l’influenza diagnostiquée chez la travailleuse était reliée aux risques particuliers de son travail. Voici quelques paragraphes de la décision qui ont retenu mon attention :
[13] En effet, selon la littérature médicale, la période d’incubation du virus [de l’influenza] est habituellement de 1 à 4 jours. C’est-à-dire que les premiers symptômes de la grippe apparaissent de 1 à 4 jours après la contamination. La période de contagiosité commence 24 heures avant le début des premiers symptômes et se poursuit jusqu’à sept jours après. Il s’agit d’un virus très contagieux qui se transmet très facilement. Il peut survivre jusqu’à deux jours sur des surfaces ou des objets contaminés.
[14] Dès lors, il peut être difficile de déterminer où et comment la travailleuse a contracté le virus. Ceci dit, le Tribunal n’a pas à déterminer exactement la source de l’infection virale ni à quel moment précis la travailleuse l’a contracté. La question est plutôt de savoir si l’infection virale de la travailleuse découle plus probablement de son milieu de travail que de tout autre milieu.
[15] Or, dans le présent dossier, le Tribunal estime que la travailleuse a probablement contracté le virus de l’influenza dans son milieu de travail en février 2017.
[16] Elle travaille en gériatrie à l’unité des soins de courte durée. Il s’agit d’un milieu de vie à risque où les personnes âgées résident dans l’attente d’une place en hébergement ou un retour à leur domicile. Les patients, leur famille et leurs visiteurs de même que le personnel déambulent librement dans l’unité. Le poste de travail de la travailleuse se trouve à l’entrée de l’unité. Elle est en contact avec les patients et le personnel qui entrent régulièrement dans le poste. Bien qu’il y ait une petite ouverture dans la vitre qui permet aux gens qui se présentent au poste de parler avec le personnel, les visiteurs se dirigent plutôt vers le côté du poste où l’ouverture est plus grande.
Préposée aux bénéficiaires
Dans cette affaire (Boudreault), la grippe influenza de type A diagnostiquée chez la travailleuse a été déclarée reliée aux risques particuliers de son travail. Le Tribunal a souligné :
[47] Il nous semble évident que les établissements de santé (hôpitaux, cliniques, dispensaires) sont des lieux qui, par définition, reçoivent une clientèle présentant différentes maladies ou lésions pour les fins de traitement. En d’autres mots, indépendamment de tous les moyens pris par ces institutions pour réduire au maximum les risques de transmission de bactéries ou virus, il n’en demeure que ces risques sont plus importants dans ces établissements de santé que dans la rue.
[48] Après une revue complète des différents facteurs, le tribunal conclut qu’il se dégage une probabilité dans le cas qui lui est actuellement soumis à l’effet que la travailleuse fut infectée par le virus de la grippe influenza de type A, sur les lieux de son travail et qu’en conséquence elle est victime d’une lésion professionnelle.
Accident du travail
Un travailleur qui prétend avoir subi un accident du travail doit démontrer qu’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause est survenu par le fait ou à l’occasion de son travail et qu’il entraîne pour lui une lésion professionnelle.
Le Tribunal a déjà reconnu que l’exposition à un virus constituait un événement imprévu et soudain. Est-ce qu’une exposition au coronavirus sera considérée comme un événement imprévu et soudain au sens strict du terme?
Aide de soutien à la désinfection dans une CPE
Dans cette décision (CPE La Trâlée inc.), le Tribunal a retenu que les faits étaient suffisamment graves, précis et concordants pour permettre de conclure que la travailleuse avait été en contact dans son milieu de travail avec le virus de la gastroentérite qui faisait rage chez les enfants de la garderie. Il a conclu que le fait que la travailleuse ait été en contact avec le virus et ait contracté une gastroentérite constituait un événement imprévu et soudain.
Ambulancier
Dans cette affaire (Guay), le Tribunal a conclu que le fait pour un ambulancier de transporter une patiente atteinte d'un zona et d'être mis en contact avec le liquide contagieux était assimilable à un événement imprévu et soudain.
Circonstances nouvelles, particulières, inhabituelles ou anormales
Par ailleurs, la jurisprudence a élargi la notion «d’événement imprévu et soudain» pour y inclure notamment les circonstances nouvelles, particulières, inhabituelles, anormales ou très différentes relatives à l’assignation ou aux conditions de travail usuelles.
C’est peut-être sous cet angle que les travailleurs pourront se voir faire reconnaître un accident du travail.
En effet, au-delà de la COVID-19, il ne faut pas négliger toute autre pathologie, telle une lésion musculo-squelettique ou une lésion psychologique, qui pourrait se manifester, notamment à la suite de modifications des conditions de travail, d’une surcharge de travail ou d’une posture de travail non ergonomique (par exemple dans un contexte de télétravail).
Dans une décision du 18 mars dernier (Robert), le TAT a reconnu que la déchirure de la coiffe des rotateurs associée à une tendinose de la longue portion du biceps diagnostiquée chez une travailleuse qui était en formation pour le poste de préposée à l’entretien ménager dans un CHSLD, constituait une lésion professionnelle. Le Tribunal a retenu que le fait que la travailleuse ait effectué des tâches nouvelles et inhabituelles, lesquelles avaient été exécutées dans des circonstances particulières, soit l’éclosion d’un virus qui commandait des mesures particulières, constituait un événement imprévu et soudain au sens élargi.
Sur ce, courage à tous, et surtout, RESTEZ CHEZ-VOUS!
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