Distanciation sociale oblige, la juge en chef du Québec et le ministère de la Justice ont récemment adopté l’Arrêté concernant la notification d’un document par un moyen technologique pendant la période de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 (arrêté 4267) afin de simplifier la notification de documents et d’actes de procédure pour la durée de la crise sanitaire.
L’arrêté 4267
Selon cet arrêté :
- jusqu’à l’expiration de l’état d’urgence sanitaire, la signification d’un acte de procédure par huissier peut également être effectuée par un moyen technologique selon les règles prévues à l’article 133 du Code de procédure civile (C.P.C.);
- la partie non représentée ne peut refuser de recevoir un document par un moyen technologique que pour un motif raisonnable; et
- si le destinataire ne dispose pas d'un moyen technologique lui permettant de recevoir notification d'un document, les autres modes de notification prévus au Code de procédure civile peuvent toujours être utilisés.
Autres modes de notification
Interprétant ces règles, la Cour supérieure a estimé dans une affaire récente que le recours aux autres modes de notification, en cas d’absence de moyen technologique, pouvait se faire sans obtenir au préalable l’autorisation du tribunal prévue à l’article 112 C.P.C.
Garde en établissement
Ce jugement met également en lumière des difficultés pouvant survenir durant l’état d’urgence sanitaire malgré l’arrêté 4267, en l’occurrence en matière de garde en établissement. L’Hôpital Charles-Lemoyne y recherchait une ordonnance de garde provisoire en établissement à l’égard d’un patient en psychose. La demande d’ordonnance avait été signifiée par télécopieur au poste de garde et le patient en avait accusé réception. Avisé la veille de l’audience, comme c’est la pratique, un procureur de l’aide juridique avait tenté de rencontrer ce dernier pour obtenir le mandat de le représenter mais n’avait pu obtenir de droit de visite pour des motifs d’ordre médical.
Impossibilité d’être entendu ou représenté par un avocat
Le jour de l’audience, le patient n’était donc pas représenté (le procureur en question a toutefois été autorisé à intervenir de manière amicale). De plus, il ne pouvait être présent, même par voie de visioconférence. En effet, puisque le patient présentait des symptômes de la COVID-19, on l’avait mis en isolement préventif total, confiné dans une chambre à l’hôpital dont il ne pouvait sortir et où personne n’avait le droit d’entrer.
Dans la mesure où il ne pouvait se prononcer sur le consentement du patient à la notification par un moyen technologique (malgré sa signature sur l’accusé de réception), le tribunal a conclu à l’absence de signification :
[84] Vu son absence à l’audience et le fait qu’il soit non représenté, le Tribunal refuse d’ordonner la notification par moyen technologique sans avoir pu entendre J.S. sur les circonstances entourant la notification, sur la réception des documents et la compréhension de leur teneur, ainsi que sur les motifs raisonnables que J.S. pourrait avoir pour refuser de recevoir les documents par un moyen technologique que constitue le télécopieur du poste de garde.
Dispense de notification
Dans un tel contexte, l’Hôpital a dû se rabattre sur une demande de dispense de signification aux termes de l’article 123 alinéa 2 C.P.C. Une telle mesure peut être accordée lorsque la notification serait nuisible à la santé ou à la sécurité de la personne visée ou à celles d’autrui ou encore s’il y avait urgence.
Le tribunal a estimé que ces critères étaient remplis:
[89] En l’espèce, vu l’importance de la crise sanitaire, étant donné le confinement total de J.S., qui est fortement soupçonné d’être porteur ou atteint du coronavirus, étant donné l’impossibilité d’entrer et de sortir de sa chambre sans l’obligation de mettre en œuvre des protocoles laborieux d’asepsie ou de décontamination pour l’unité complète et possiblement d’autres unités, vu aussi les risques de fugue, le Tribunal conclut que la notification serait clairement nuisible à la santé et sécurité d’autrui.
[…]
[91] Aussi, il y a urgence. Sans ordonnance de garde, à moins d’une autre mesure préventive autorisée par la loi, J.S. peut quitter l’hôpital dès qu’il le veut.
Pour les mêmes raisons, le tribunal a également décidé que l'ordonnance de garde pouvait être rendue sans la nécessité de procéder à l'interrogatoire habituel de la personne visée prévu par l'article 391 C.P.C.
Droits fondamentaux
Répondant aux arguments du procureur intervenant, le juge s’est enfin montré d’avis que, en l’absence de contestation constitutionnelle, le droit fondamental à la liberté de sa personne et celui d’être représenté par un avocat devait s’incliner devant des dispositions expresses comme les articles 391 et 123 C.P.C. lorsque leurs conditions d’ouverture étaient remplies.
Incidence sur le fond
En terminant, il est intéressant de noter que les risques découlant de la pandémie ne jouent pas seulement sur les aspects procéduraux d’une demande de garde en établissement, mais peuvent aussi influer sur le fond.
En effet, dans un autre cas récent, une ordonnance de garde provisoire (en vue d’une évaluation psychiatrique) a été en partie motivée par le risque de contagion. Cette fois, ce n’est pas que la personne visée était porteuse du virus ou en présentait les symptômes. Le tribunal s’est plutôt montré sensible au risque que sa conduite imprévisible et des épisodes d’errance ne l’exposent, de même que ses proches, à la maladie:
[23] Même si le défendeur rapporte aller mieux, ceci demeure très récent et la preuve prépondérante démontre qu’il existe un risque réel de danger, soit notamment un épisode d’errance du défendeur lors duquel celui-ci pourrait se placer en situation potentielle de contagion.
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