Dans une décision rendue en décembre dernier dans Procureur général du Québec c. Roy, le juge Bisson, de la Cour supérieure, a fait droit à une demande d’injonction provisoire et a ordonné au défendeur de retirer de sa page Facebook une vidéo qu’il avait enregistrée alors qu’il assistait à une audience virtuelle de la Cour d’appel.

Le juge Bisson y rappelle que, bien que les débats qui se tiennent devant les tribunaux sont publics, il est tout de même interdit d’enregistrer une audience virtuelle de la Cour d’appel et de diffuser un tel enregistrement.

Le contexte

Le 30 novembre 2020, le défendeur a assisté à une audience virtuelle de la Cour d’appel du Québec qui avait lieu dans le cadre de son appel d’une condamnation criminelle pour avoir illégalement exercé la profession d’avocat. Pendant l’audience, le défendeur se filmait devant son ordinateur à l’aide de son téléphone cellulaire tout en diffusant la vidéo en direct sur Facebook. Une fois l’audience terminée, la vidéo a été publiée sur Facebook et a amassé 631 mentions « j’aime » ainsi que 552 commentaires et a donné lieu à 285 partages de contenu en un peu plus de 48 heures, jusqu’à ce qu’elle soit retirée du site par le défendeur.

Dans cette vidéo, on pouvait parfois voir le défendeur ou le lien du logiciel Teams avec les juges ou les avocats. Il était également possible d’entendre la trame sonore de la Cour ainsi que des avocats. Qui plus est, tout au long de la vidéo, on pouvait entendre le défendeur émettre des commentaires relatifs à divers reproches qu’il formulait à l’endroit du système de justice. À cet égard, il est pertinent de souligner que les autres participants à l’audience n’ont pas eu conscience de ce que le défendeur faisait et n’ont pas entendu ses commentaires. Le problème ici ne réside pas dans les commentaires du défendeur, qui ont été faits pour les auditeurs de la vidéo, mais bien dans le fait qu’il a enregistré et diffué une audience alors que cela est interdit.

La présente affaire se distingue de celle dans R. c. Marion, où le juge a condamné un prévenu à 21 jours d’emprisonnement pour avoir proféré des insultes à son endroit au cours d’une comparution par visioconférence. Cette décision a fait l’objet d’un billet de ma collègue Me Catherine Vaillancourt-Gauvreau publié le 25 novembre 2020. 

Nul n’est censé ignorer la loi

La Cour d’appel dispose de lignes directrices concernant l’utilisation des technologies en salle d’audience et ces règles s’appliquent aux audiences virtuelles qui ont lieu dans le contexte actuel de la pandémie de COVID-19. À cet égard, des guides d’audience ont été produits et précisent que les personnes qui participent aux audiences virtuelles de la Cour d’appel ne peuvent enregistrer ce qui s’y déroule. Cette interdiction vise tant les avocats que les parties non représentées ou les témoins. Il est également interdit de prendre des photos, de faire des vidéos et de rediffuser ces photos ou vidéos, en tout ou en partie.

Dans le présent cas, le défendeur prétend ne pas avoir reçu le guide d’audience. Or, cela ne change rien au fait qu’il a contrevenu à la règle de la Cour d’appel. Que l’on connaisse ou non cette règle, le droit prescrit que l’on ne peut enregistrer ni l’image ni le son d’une audience et qu’il est interdit de retransmettre ou de publier l’enregistrement d’une audience sur Facebook ou sur YouTube.

Pourquoi l’enregistrement des audiences est-il interdit?

Dans cette décision, le juge Bisson précise qu’il est dans l’intérêt public d’interdire la diffusion des débats judiciaires puisque «le simple fait de diffuser le contenu des audiences […] en soi cause un préjudice au Procureur général du Québec et cause un préjudice aussi à l’administration de la justice» (paragr. 24). En effet, les propos tenus par les différents intervenants du système judiciaire, les parties ou les témoins n’ont pas à être reproduits et diffusés publiquement. Tel qu’il est souligné par le juge Bisson, l’interdiction permet aux débats judiciaires «d’être sereins, d’être ordonnés et de faire en sorte que les gens qui y comparaissent n’aient pas à subir ou à savoir qu’ils vont être à la télévision le soir ou sur YouTube ou sur Facebook, ce qui changerait complètement les données des choses» (paragr. 26).

Conclusion

Malgré les mesures sanitaires mises en place en raison de la COVID-19, toute personne intéressée peut assister aux audiences de manière virtuelle, les liens pour ce faire étant disponibles sur les sites Internet des tribunaux. Ainsi, même s’il n’est pas possible d’assister en personne aux audiences, l’aspect public des débats judiciaires est tout de même respecté.  

Au dire du défendeur, l’enregistrement et la diffusion de l’audience de la Cour d’appel avaient pour but de promouvoir la publicité des débats. Cependant, il n’en demeure pas moins que la méthode utilisée pour atteindre cet objectif est contraire à la loi. C’est pourquoi le juge a ordonné au défendeur de retirer la vidéo de sa page Facebook et de ne pas la publier, la diffuser ou la partager, en particulier sur Facebook ou sur YouTube. Le défendeur s’est également vu ordonner de publier l’ordonnance d’injonction rendue dans cette affaire sur sa page Facebook.