Le 20 avril dernier, le jugement fort attendu sur la validité de la Loi sur la laïcité de l’État a été rendu par le juge Marc-André Blanchard, de la Cour supérieure.

Nous avons fait un résumé très succinct de 3 éléments qui ressortent de ce long jugement que vous pouvez consulter en intégralité sur notre site.

Dispositions de dérogation

L’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que «[…] la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de [la charte]».

Le législateur québécois s’est prévalu de ce pouvoir précis à l’article 34 de la Loi sur la laïcité de l’État, mais il a également précisé, à son article 33, que la loi s’applique malgré les articles 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Ainsi, les arguments invoqués par les demandeurs quant à la violation des articles 2 a) (liberté de conscience et de religion), 2 b) (liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression), 2 d) (liberté d’association) et 15 (droit à l’égalité) de la charte canadienne et leurs pendants de la charte québécoise ont été rejetés par le juge en raison du fait qu’il devait respecter la règle du stare decisis (règle de l’autorité des jugements antérieurs) et appliquer Ford, faisant en sorte que les dispositions de dérogation sont juridiquement inattaquables.

Toutefois, le juge a pris soin d’indiquer que l’utilisation des dispositions de dérogation dans la Loi sur la laïcité de l’État paraissait excessive puisque trop large.

Il souligne que le texte législatif en cause est le premier qui déroge simultanément aux articles précités des 2 chartes et qu’il suspend ainsi presque l’ensemble des droits et libertés de la province de Québec. Le juge se dit «interpellé par l’amplitude de l’exercice et l’indifférence [que le législateur] affiche à l’égard de certains droits et libertés touchés» (paragr. 756). Il s’interroge sur la pertinence de suspendre l’ensemble des garanties juridiques consacrées par les articles des chartes sans lien avec les libertés de conscience, de religion et d’expression, la sauvegarde de la dignité et de la vie privée ou le droit à l’égalité:

[761]            Mais, ce qui apparaît le plus troublant réside dans la suspension de droits qui participent de façon fondamentale à la règle de droit, telle qu’on la conçoit de nos jours. Par exemple, comment expliquer la suspension du droit au secret professionnel prévu à l’article 9 de la Charte québécoise? De celui prévoyant une audition impartiale par un tribunal indépendant que prévoient à la fois l’article 23 de la Charte québécoise et l’article 7 de la Charte canadienne? De l’assistance à un avocat énoncé à l’article 34 de la Charte québécoise et 10b) de la Charte canadienne? Du recours à l’habeas corpus, prévu à l’article 10c) de la Charte canadienne et 32 de la Charte québécoise, alors que ce droit fait partie de notre système juridique depuis la Magna Carta de 1215?

Violation du droit de tout citoyen canadien à l’éligibilité aux élections provinciales

Selon le juge, une violation à l’article 3 de la charte canadienne s’opère par l’effet combiné du premier paragraphe de l’annexe III et du premier alinéa de l’article 8 de la Loi sur la laïcité de l’État.

L’article 3 de la charte canadienne prévoit notamment que tout citoyen canadien est éligible aux élections législatives provinciales. L’alinéa 1 de l’article 8 de la loi en cause prévoit qu’un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert et l’annexe III précise les personnes qui sont assimilées à un membre du personnel d’un organisme aux fins de l’application des mesures relatives aux services à visage découvert, le premier paragraphe mentionnant les députés de l’Assemblée nationale.

Le juge conclut que, par l’effet de ces articles, «[…] une personne qui se voile le visage ne peut envisager siéger à l’Assemblée nationale même après son éventuelle élection, ce qui manifestement fait en sorte que bien qu’elle puisse, à strictement parler, se présenter à un poste électif, elle ne pourra donner suite à un éventuel mandat reçu des électeurs.trices» (paragr. 910).

Le procureur général n’ayant offert aucune preuve pour justifier le bien-fondé de l’atteinte à l’article 3 de la charte canadienne, le juge a déclaré inopérant le premier paragraphe de l’annexe III de la Loi sur la laïcité de l’État. Ainsi, dorénavant, les députés ne sont pas visés par l’obligation d’exercer leur fonction à visage découvert se trouvant à l’article 8 de la Loi sur la laïcité de l’État.

Violation des droits des minorités linguistiques

La prétention de la English Montreal School Board (EMSB) selon laquelle l’article 23 de la charte canadienne, qui accorde des droits constitutionnels aux minorités linguistiques dans la gestion de leurs écoles, doit recevoir une interprétation généreuse afin de lui donner une portée effective a été retenue par le juge.

Dans son analyse sous l’angle de l’article 23 de la charte, il souligne que la Cour suprême, dans Mahe, affirme que l’enseignement doit convenir particulièrement à l’identité linguistique et culturelle de la minorité.

Il conclut que «[…] la langue et la culture constituent deux concepts différents, la seconde englobant assurément la première, alors que la langue participe à l’élaboration partielle de ce qui englobe les caractéristiques culturelles d’un groupe en particulier» (paragr. 976) et que «[d]ans le contexte actuel, il ne fait aucun doute que la religion participe à l’identité culturelle d’une communauté […]» (paragr. 978).

Selon le juge, «[…] il ne fait aucun doute que la diversité des appartenances culturelles et religieuses participe à l’élaboration de programmes didactiques qui visent à bonifier l’éducation interculturelle et que la participation réelle de personnes représentant ces différentes appartenances constitue un atout, non seulement pour l’élève, mais également pour le corps professoral» (paragr. 989).

Le juge affirme notamment ceci avant de conclure à l’invalidité de plusieurs dispositions de la loi parce qu’elles portent atteinte aux droits des minorités linguistiques protégés par l’article 23 de la charte canadienne:

[997]            Ainsi la preuve démontre clairement, d’une part, que les commissions scolaires anglophones désirent intégrer les minorités culturelles qui portent des signes religieux afin, d’autre part, faciliter cette même intégration et la réussite scolaire de ses élèves issues de groupes religieux minoritaires qui portent des signes religieux, en assurant une représentativité de ces minorités dans le corps enseignant et les dirigeants d’établissement scolaire.

[…]

[1001]          Ainsi, le Tribunal retient de la preuve que la présence de la diversité culturelle, et donc pour fins de précision la diversité religieuse entraîne une amélioration de la performance académique, des perceptions et de l’engagement scolaire des élèves issues de telles minorités tout comme de leur développement social et émotif. Il appert aussi que cette présence améliore la relation professeur-élève puisque ces mécanismes se trouvent partagés par tous les groupes minoritaires et qu’à cet égard la représentation visuelle de cette identité apparaît primordiale pour mettre en branle cette mécanique.

De nombreux articles de la loi sont invalidés dans cette portion de jugement, dont plus particulièrement les articles 6 (port d’un signe religieux dans l’exercice des fonctions) et 8 (exercice des fonctions à visage découvert).

Dès le lendemain de la publication du jugement, le gouvernement québécois a annoncé son intention de faire appel, de sorte que le débat n’est pas clos.

Print Friendly, PDF & Email