Le 25 mai dernier, la Cour d’appel a confirmé une décision de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une action collective contre Air Canada au nom des personnes handicapées ou obèses qui ont dû payer des frais d’embarquement pour un accompagnateur ou un siège supplémentaire à bord d’un vol intérieur d’Air Canada.

La demande initiale

Le représentant de l’action collective a été autorisé à exercer le recours visant à réclamer des dommages compensatoires ainsi que des dommages moraux et punitifs afin de sanctionner des pratiques et des politiques tarifaires discriminatoires du transporteur. Compte tenu de sa politique tarifaire jugée discriminatoire et fautive à l’égard des membres de ces groupes, Air Canada a été condamnée à indemniser ceux-ci au regard des frais payés pour le siège additionnel, rendu indispensable en raison de leur déficience, ainsi que pour les coûts occasionnés par leur accompagnateur, devenu nécessaire du fait de cette déficience.              

La responsabilité d’Air Canada

Pour établir la responsabilité contractuelle d’Air Canada, la juge de première instance s’est basée sur une décision de l’Office des transports du Canada rendue le 10 janvier 2008, laquelle avait reconnu que le fait de devoir supporter ces frais constituait un obstacle abusif aux possibilités de déplacement des voyageurs atteints d’une déficience.

Air Canada reproche à la juge de ne pas avoir appliqué les bonnes règles de droit au moment de retenir sa responsabilité contractuelle. Selon elle, les arrêts  McKay-Panos c. Air Canada, et Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., ainsi que la décision Norman (Succession de), constituent du droit nouveau. Ces précédents auraient entraîné une «modification fondamentale du droit applicable» (paragr. 99) au sens de Canada (Procureur général) c. Hislop, de sorte que Norman (Succession de), qui a pris effet en janvier 2009, ne pourrait avoir de portée rétroactive. Subsidiairement, Air Canada s’interroge sur la signification donnée au mot «accompagnateur», en plus d’invoquer l’absence de lien de droit entre elle et l’accompagnateur qui a payé lui-même les frais d’embarquement. Elle conteste donc l’inclusion du groupe des accompagnateurs dans l’action collective.

La portée du recours

Pour sa part, le représentant de l’action collective conteste la décision de la juge de ne pas donner une portée pancanadienne à son recours et de réduire l’effet de l’action collective aux seules personnes ayant payé, au Québec, des frais additionnels pour leur embarquement dans un avion d’Air Canada. Il s’en prend aussi à la conclusion qui ordonne de procéder par recouvrement individuel.

La décision de la Cour d’appel

La responsabilité d’Air Canada

C’est à bon droit que la juge s’est appuyée sur les déterminations de l’Office dans la décision Norman (Succession de) pour conclure que la politique tarifaire d’Air Canada est discriminatoire et fautive. Le dédommagement dépend de la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien causal. Air Canada a bien tenté de rompre le lien de causalité en suggérant que le recours à certaines mesures d’accommodement avait évité à ses passagers ayant une déficience de subir un préjudice compensable. Or, l’Office a jugé ces accommodements insuffisants et la juge a estimé que cette conclusion, qui bénéficie de la présomption d’exactitude, n’avait pas été repoussée lors du procès. La responsabilité contractuelle d’Air Canada découle du fait d’avoir implanté une politique tarifaire discriminatoire, contrevenant ainsi au contenu implicite du contrat intervenu entre elle et les membres des groupes. L’argument d’Air Canada basé sur les modifications fondamentales du droit est également rejeté. Les précédents qu’elle invoque n’ont pas modifié de façon importante le régime de la responsabilité contractuelle au Québec, notamment en ce qui a trait à la détermination du préjudice. Une indemnisation représentant le remboursement des frais d’embarquement exigés pour le siège additionnel d’une personne ayant une déficience correspond à un préjudice facilement identifiable, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la décision Norman (Succession de) pour parvenir à cette solution, elle-même indépendante de la capacité de payer d’Air Canada. Cette dernière ne cite d’ailleurs aucun précédent appuyant la thèse selon laquelle un changement fondamental au droit civil priverait un créancier de dommages-intérêts en dépit de la preuve de la faute de son débiteur.

Le sort des accompagnateurs

La juge n’a pas non plus commis d’erreur en intégrant les accompagnateurs à l’action collective. Dans la mesure où il est établi qu’une personne ayant une déficience nécessite un accompagnateur pour se déplacer à bord d’un avion, le lien de causalité est démontré et il n’est pas nécessaire d’examiner les motifs secondaires du déplacement de cet accompagnateur. La détermination du payeur de ce second siège devient également sans pertinence.

La portée du recours

Enfin, le droit étranger n’ayant été ni prouvé ni allégué, la juge n’a pas erré en modifiant la définition des groupes pour les limiter aux personnes ayant une déficience qui ont payé des frais additionnels au Québec pour leur embarquement dans un avion d’Air Canada. Les incertitudes quant au droit applicable dans les autres provinces et territoires permettaient à la juge du fond de ne pas se sentir liée par les conclusions «provisoires» au stade de l’autorisation. En l’absence de données suffisamment précises pour établir le montant total des réclamations, et vu les nombreuses particularités relatives à chacun des membres, c’est aussi à bon droit que la juge a ordonné un processus de réclamations individuelles.

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