Le 4 août 2021, la Cour supérieure a condamné Passport Hélico à verser plus de 110 000 $ à des citoyens de Percé pour avoir entrepris des procédures abusives à leur endroit afin de les empêcher de s’exprimer sur un sujet d’intérêt public.
Le contexte
À l’été 2011, Passport Hélico s’est installée au bord de la route 132, à quelques kilomètres du centre-ville de Percé, afin d’offrir des tours d’hélicoptère au cours de la saison touristique, soit du mois de juin au mois de septembre.
Des citoyens de Percé, dont les résidences se situent à une distance allant de 70 mètres à 2 kilomètres de l’héliport, se sont regroupés et sont intervenus dans le but d’informer la communauté et les touristes des problèmes liés aux opérations commerciales des hélicoptères. Selon eux, ces activités entraînent des inconvénients majeurs en raison du bruit excessif et de sa fréquence incessante (on compte jusqu’à 60 mouvements d’appareil par jour) qui troublent leur paix et leur sérénité et les empêchent d’avoir la jouissance paisible de leur propriété. Ils ont ainsi posé des affiches, distribué des feuillets d’information et ont fait circuler une pétition afin de dénoncer ces nuisances. Ils souhaitent que Passport Hélico déménage ses activités à l’extérieur du patrimoine de la Ville de Percé.
Passport Hélico s’est adressée au tribunal afin d’obtenir une injonction permanente visant à interdire aux citoyens de mener cette campagne d’information qu’elle qualifie de diffamatoire et de défavorable à ses activités commerciales.
Propos rigoureusement exacts
Le juge de la Cour supérieure a conclu que les propos tenus par les citoyens sont rigoureusement exacts et qu’ils n’ont pas commis de faute en raison d’une conduite malveillante ou négligente. Les activités de Passport Hélico génèrent beaucoup de bruit puisque les hélicoptères se déplacent de façon répétitive, à basse altitude, à proximité des résidences. Ces activités peuvent présenter un danger, notamment lors du décollage ou de l’atterrissage des appareils. Il en a conclu que les citoyens n’avaient pas tenu des propos qu’ils savaient faux et qu’ils n’ont pas engagé leur responsabilité civile.
Le tribunal a refusé de prononcer une injonction qui priverait des citoyens de leur droit de s’exprimer librement sur une question d’intérêt qui les touche directement.
Exclusivité de la législation fédérale
Selon le juge de la Cour supérieure, la situation qui a lieu à Percé touche l’un des rares domaines de l’activité humaine pour lequel presque aucune réglementation municipale ou provinciale n’empêche les activités commerciales bruyantes en plein milieu bâti. Selon lui, n’eût été l’exclusivité de la législation fédérale en la matière, il est raisonnable de penser que les règles de gestion du territoire, qui permettent aux municipalités d’harmoniser les usages, n’auraient pas permis l’établissement d’un commerce de cette nature aussi près d’un endroit où des gens habitent déjà.
Ainsi, il souligne qu’il n’est pas surprenant que des individus, ou même une communauté, placés dans un quasi-vide juridique, réagissent et souhaitent obtenir un débat public.
Poursuite-bâillon
En vertu de l’article 51 du Code de procédure civile (C.P.C.), les tribunaux peuvent déclarer une demande en justice ou un autre acte de procédure abusif. Un tel abus peut résulter du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte d’un débat public. C’est ce que l’on appelle une procédure-bâillon.
Afin de définir la procédure-bâillon, la Cour d’appel a fait référence, à de nombreuses reprises, à la définition figurant dans le Rapport du comité au Ministre de la justice: Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique. Il s’agit :
- de poursuites judiciaires ;
- entreprises contre des organismes ou des individus ;
- engagés dans l’espace public dans le contexte de débats portant sur des enjeux collectifs ;
- visant à limiter l’étendue de la liberté d’expression de ces organismes ou de ces individus et à neutraliser leur action ;
- par leur recours aux tribunaux pour les intimider, les appauvrir ou les détourner de leur action.
Le juge de la Cour supérieure a conclu que la demande d’injonction constituait un abus de procédure, dans la mesure où Passport Hélico l’a entreprise dans le but de faire taire des citoyens qui ont voulu s’exprimer sur un sujet d’intérêt public. En d’autres mots, Passport Hélico a tenté de limiter la liberté d’expression de ces citoyens, laquelle est protégée par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Le juge a estimé également que le recours entrepris par Passport Hélico n’est pas raisonnable puisqu’il nie l’évidence, à savoir que l’opération d’hélicoptères sur une base commerciale à grande fréquence, près d’habitations, pose des problèmes de bruit, de sécurité et de cohabitation.
Dommages-intérêts
L’article 54 C.P.C. prévoit que le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une demande en justice, condamner une partie à payer des dommages-intérêts à titre de réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment afin de compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés et, si les circonstances le justifient, accorder des dommages punitifs.
Le tribunal a condamné Passport Hélico à verser la somme de 5 000 $ à chacun des citoyens pour le stress, les troubles, les inconvénients et la perte de jouissance de la vie provoqués par l’institution de procédures judiciaires abusives à leur égard. Passport Hélico a également été condamnée à payer aux citoyens les honoraires extrajudiciaires qu’ils ont dû engager afin de se défendre, lesquels s’élèvent à près de 55 000 $.
Quant aux dommages punitifs, le juge de la Cour supérieure fait référence au jugement rendu dans Thériault-Martel en ce qui concerne les conditions liées à leur attribution :
- [48] Tout d'abord, la poursuite-bâillon de l'intimé ayant été rejetée comme étant abusive, le Tribunal n'a pas à déterminer s'il s'agit d'une atteinte intentionnelle au sens de l'article 49 de la Charte québécoise.
- [49] Le pouvoir du Tribunal à attribuer des dommages punitifs est fondé sur l'article 54.4 C.p.c., lequel ne prévoit pas une détermination additionnelle quant à l'intention de l'auteur de l'action abusive de causer les conséquences de son acte fautif.
Le juge de la Cour supérieure conclut que les circonstances de la présente affaire justifient l’attribution d’une somme de 25 000 $ en dommages punitifs.
Débat constitutionnel
Le débat sur la situation qui se déroule à Percé n’est pas pour autant terminé. Les mêmes citoyens ont déjà entrepris un recours devant la Cour du Québec, Division des petites créances, afin de réclamer chacun à Passport Hélico la somme de 15 000 $ pour les dommages moraux et les inconvénients subis ainsi que pour la perte de jouissance de leur propriété et de sa valeur marchande.
Le 12 mars 2021, la juge a renvoyé cette demande à la Division régulière de la Cour du Québec en raison de la complexité de l’affaire et des questions de droit qui y sont traitées. En effet, le litige soulève une question constitutionnelle quant à l’application de l’article 976 du Code civil du Québec, qui porte sur les troubles de voisinage à une entité régie par une compétence fédérale, soit l’aéronautique. La juge a indiqué qu’il est clair que cette affaire était loin d’être simple. Les nombreux points invoqués nécessiteront une preuve exhaustive et complète.
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