Parmi les modifications apportées au Code des professions (C.prof.) par la Loi modifiant diverses lois concernant principalement l’admission aux professions et la gouvernance du système professionnel, entrée en vigueur en 2017, l’une d’elles est venue limiter le nombre de mandats que peut solliciter le président d’un ordre professionnel par cet ajout au premier alinéa de l’article 63 C.prof.: «[…] Le président ne peut toutefois exercer plus de trois mandats à ce titre.»

La Cour supérieure s’est récemment penchée sur la portée du nouvel article 63 C.prof. alors qu’elle était saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire par lequel l’Ordre professionnel des ergothérapeutes du Québec avait attaqué la légalité d’une décision de l’Office des professions qui lui ordonnait de procéder à la tenue d’une nouvelle élection pour le poste de président de l’Ordre à la suite de la réélection par acclamation, pour un quatrième mandat, de celui qui en était le président depuis qu’il avait été élu à ce titre en décembre 2010.

Suffisance de la motivation de la décision

La Cour supérieure a d’abord estimé que la décision de l’Office des professions était suffisamment motivée quant à la nature de la décision et à sa mission: «Il doit voir à une saine application de l’ensemble des lois professionnelles, et ce, à un moment où le législateur vient d’adopter une importante réforme du système de gouvernance des ordres professionnels» (paragr. 22). Par ailleurs, elle a indiqué que, siégeant en révision judiciaire, elle se devait de déterminer si la décision de l’Office satisfaisait aux attributs de la raisonnabilité. 

Interprétation de l’article 63 C.prof.

Pour l’Ordre, la nouvelle loi ne peut s’appliquer qu’à des situations futures à compter de son entrée en vigueur, tandis que, pour l’Office des professions, «le législateur a prévu que presque toutes les dispositions sont d’application immédiate à compter de l’entrée en vigueur, de façon à ce que le public bénéficie du nouveau processus de gouvernance des ordres professionnels» (paragr. 32).

Dans son analyse, la Cour supérieure a indiqué que, pour elle, la réponse à la question en litige se trouvait dans l’arrêt Da Costa et dans le jugement rendu dans Applebaum. Selon elle, le premier alinéa de l’article 63 s’applique dès son entrée en vigueur à toute personne qui sollicite de nouveau le poste de président d’un ordre professionnel: «[…] l’exception à la présomption de non-rétrospectivité est encore plus évidente dans le présent dossier. Le législateur modifie le Code des professions afin de favoriser le renouvellement à la tête des ordres professionnels dans le cadre de la réforme de leur gouvernance» (paragr. 51).

La Cour supérieure a d’abord relevé que le Code des professions constituait une législation visant la protection du public. Puis, elle a précisé que l’article 63, qui concerne l’éligibilité d’un candidat à la présidence, ne créé pas une pénalité ou une nouvelle obligation et que, tout au plus, s’il fallait retenir qu’il y avait préjudice, celui-ci découlerait d’un statut ou d’un état, soit celui d’avoir déjà cumulé 3 mandats comme président, et qu’il ne s’agissait pas d’un événement comme peut l’être le fait d’avoir commis un acte répréhensible par le passé et de faire face, par la suite, à une inculpation criminelle ou pénale.

Elle a conclu que la décision de l’Office devait être qualifiée de raisonnable, non sans avoir réitéré que le législateur lui avait confié la responsabilité d’appliquer le Code des professions dans une perspective de protection du public et que le Tribunal n’avait pas à substituer son opinion à celle de l’Office, la déférence devant s’appliquer.

L’avis du secrétaire de l’Ordre

Quant à l’argument de l’Ordre relatif à la nécessité d’un avis préalable de la part de son secrétaire comme condition sine qua non pour que l’Office puisse décréter une élection à la présidence, la Cour supérieure a indiqué qu’elle ne pouvait le retenir puisque cela signifiait que, même si l’Office constatait qu’une élection avait été tenue en violation de la loi, «il serait paralysé et ne pourrait ordonner une nouvelle élection, et ce, parce que le secrétaire ne lui [aurait] pas, dans un premier temps, transmis un avis» (paragr. 73) et qu’une telle interprétation équivalait à «donner un droit de véto» au secrétaire empêchant l’Office des professions «d’exercer les pouvoirs qui lui sont conférés de par sa loi constitutive, soit de veiller à ce que les ordres professionnels se conforment au Code des professions» (paragr. 75). Elle a conclu que le législateur n’avait pas pu vouloir cette impasse.

Incohérence

Enfin, l’Ordre a reproché à l’Office d’avoir permis aux présidents de 2 autres ordres de se présenter et d’être réélus respectivement pour un quatrième et un huitième mandat. Sur ce point, la Cour supérieure a mentionné ne pas avoir entendu une preuve et des observations complètes quant à ces 2 situations, mais que, quoi qu’il en soit, elle était satisfaite des explications suivant lesquelles, dans un cas, une démission au cours de l’année suivante avait entraîné une nouvelle élection, et que, dans l’autre, le mandat s’était également terminé au cours de l’année suivante.

Conclusion

En cet automne électoral, les pancartes des candidats aux élections municipales succèdent à celles des candidats de la récente campagne fédérale comme autant de rappels du fait que les élections font partie intégrante de notre système démocratique. Cette décision nous démontre que, au-delà des 3 ordres de gouvernement, des scrutins se tiennent dans différents échelons et sont tout autant susceptibles de soulever des passions, des débats et des contestations judiciaires.

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