Il va sans dire que la pandémie de COVID-19 a engendré de grands bouleversements dans le monde du travail au Québec. Du jour au lendemain, des employeurs ont dû implanter le télétravail ou mettre en place des mesures afin d’assurer la sécurité de leurs salariés et de leur clientèle. De leur côté, les salariés ont dû s’adapter à de nouvelles politiques et méthodes de travail, en plus de devoir affronter l’incertitude liée au virus lui-même.

En ce début d’année 2022, je vous propose un bref tour d’horizon de décisions en lien avec la COVID-19 ayant été rendues récemment par les différentes instances décisionnelles en droit du travail.

Tribunal administratif du travail: décisions en vertu de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.)

Dans Paradis, le Tribunal devait déterminer si le plaignant avait été congédié sans cause juste et suffisante du poste de représentant au développement des ventes qu’il occupait depuis 8 ans au sein d’une entreprise spécialisée dans la construction de bâtiments à grande portée (c’est-à-dire des arénas, des hangars d’avions et des stades de soccer intérieurs). De son côté, l’employeur soutenait que le plaignant avait été licencié pour des motifs économiques.

L’employeur a effectivement démontré que son entreprise avait subi une baisse importante de son volume d’affaires en raison de la pandémie de COVID-19. D’après le Tribunal, «[m]ême si toutes les données n’étaient pas disponibles au moment de la fin d’emploi [du plaignant], il était alors évident que l’année 2020 serait extrêmement difficile et que les ventes seraient considérablement réduites. À ce moment, soit en mai 2020, il était aussi impossible de prévoir, même approximativement, la durée de la crise ni son impact économique» (paragr. 59).

Dans ces circonstances, le Tribunal a conclu que le plaignant avait bel et bien été licencié et que la décision de l’employeur était raisonnable. La plainte en vertu de l’article 124 L.N.T. a donc été rejetée. 

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Dans Côté, un préposé aux bénéficiaires qui travaillait dans une résidence pour personnes vulnérables a été congédié pour avoir refusé de porter des équipements de protection individuelle. Une collègue lui avait d’ailleurs demandé à plusieurs reprises de respecter les consignes, sans succès. Comme il y avait une éclosion de COVID-19 dans l’établissement à ce moment, l’employeur a considéré qu’il s’agissait d’une faute assez grave pour justifier un congédiement immédiat. Le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’article 124 L.N.T. pour contester sa fin d’emploi.

Le Tribunal a conclu que le plaignant avait commis une faute: «[l]e comportement du Plaignant a causé du stress et entraîné des conséquences fâcheuses pour l’Employeur, qui a dû expliquer la situation auprès des intervenants du CIUSSS. [Le choix personnel du plaignant] a également eu pour effet de mettre potentiellement à risque la santé et la sécurité des employés et des résidents» (paragr. 30).

Cependant, le Tribunal était d’avis que la faute commise par le plaignant n’était pas suffisamment grave pour justifier de mettre de côté le principe de la progression des sanctions. Une suspension sans traitement de 15 jours a donc été substituée au congédiement. Bien que le congédiement du plaignant ait été annulé, le Tribunal n’a pas ordonné sa réintégration en raison de la taille de l’entreprise et la rupture du lien de confiance entre les parties.

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Dans L’Écuyer, un ingénieur minier a déposé une plainte en vertu de l’article 122 L.N.T. Il alléguait avoir été congédié illégalement après avoir demandé à continuer le télétravail malgré la réouverture prochaine de son milieu de travail. Atteint d’un déficit immunitaire le rendant plus vulnérable au virus de la COVID-19, il avait obtenu un certificat médical prescrivant son maintien en télétravail.

L’employeur a estimé que le plaignant n’avait pas exercé le droit prévu à l’article 79.1 L.N.T. puisqu’il ne s’était pas absenté du travail pour cause de maladie avant sa fin d’emploi. Le Tribunal n’a pas retenu cet argument. Ainsi, même si la prescription pour le maintien en télétravail ne constituait pas un arrêt de travail à proprement parler, elle pouvait «engendrer une absence pour maladie à défaut d’une réponse favorable de l’employeur» (paragr. 18). Le Tribunal a jugé que cela était suffisant pour permettre l’application de la présomption de pratique interdite. L’employeur devait donc démontrer qu’il avait mis fin à l’emploi du plaignant pour une autre case juste et suffisante.

Dans ce cas, l’employeur a démontré que le plaignant avait fait l’objet d’un licenciement à la suite d’une réorganisation administrative du département où il travaillait. Puisque la fin d’emploi du plaignant n’avait aucun lien avec sa demande de télétravail, le Tribunal a rejeté sa plainte.

Tribunal d’arbitrage

Dans l’affaire Association des travailleurs du préhospitalier (ATPH), le Tribunal a conclu que l’employeur n’avait pas à rémunérer une technicienne ambulancière pour la période pendant laquelle elle avait dû s’isoler en attendant le résultat d’un test de dépistage du virus de la COVID-19. En effet, comme la salariée n’était pas disponible pour effectuer son travail, l’employeur n’avait pas l’obligation corrélative de la rémunérer (art. 2085 du Code civil du Québec).

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Dans Union des employés et employées de service, section locale 800, le Tribunal a déterminé que des entreprises chargées de l’entretien d’édifices publics «[pouvaient] donc recueillir le renseignement relatif au statut vaccinal» (paragr. 84) de leurs salariés. Toutefois, l’arbitre précise que «[l]es personnes salariées concernées par la demande de preuve vaccinale doivent […] se limiter à celles qui sont affectées ou qui se font offrir d’être affectées à un édifice pour lequel un client formule cette exigence, ou à l’égard de salariés effectuant des remplacements dans l’un de ces édifices» (paragr. 87).

Commission de la fonction publique du Québec

Dans Anctil, la plaignante alléguait avoir échoué aux examens de qualification nécessaires pour obtenir une promotion en raison du stress causé par la COVID-19. Par son recours, elle demandait à pouvoir reprendre les examens ou que ses réponses soient de nouveau corrigées.

La plaignante n’a toutefois pas réussi «à convaincre la Commission que la pandémie de COVID-19 lui [avait] fait vivre un stress hors norme ni que cette réalité particulière lui [avait occasionné] une difficulté de concentration ou à prendre des décisions» (paragr. 35). Par ailleurs, l’employeur a démontré que la plaignante aurait pu obtenir un report de la séance d’examens si elle l’avait informé de son état de santé. Or, «ce n’est qu’après avoir reçu ses résultats et constaté son échec que [la plaignante a] fait part, en déposant son recours à la Commission, des conséquences du stress causé par la pandémie de COVID-19 et de leurs impacts sur sa réussite» (paragr. 30).

Dans ces circonstances, la Commission a rejeté le recours de la plaignante.

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Dans Gosselin, la plaignante affirmait avoir dû devancer la date de sa retraite en raison du harcèlement psychologique qu’elle subissait de la part de son supérieur immédiat. Elle lui reprochait notamment d’avoir mis son intégrité physique en danger en exigeant qu’elle retourne travailler au bureau alors que le niveau d’alerte en lien avec la COVID-19 pour la Ville de Québec était «orange».

Or, l’employeur a démontré que la plaignante refusait de se munir d’une connexion Internet fiable (elle exigeait que l’employeur en supporte les coûts) et qu’elle ne pouvait donc pas exercer son travail convenablement et en respectant les standards de sécurité informatique. En exigeant qu’elle retourne au bureau, le supérieur de la plaignante ne faisait qu’exercer son droit légitime de direction et appliquait une orientation gouvernementale voulant que les fonctionnaires retournent au bureau s’ils ne pouvaient accomplir leurs tâches en télétravail.

En l’absence d’une conduite vexatoire, la Commission a conclu que la plaignante n’avait pas subi de harcèlement psychologique et a rejeté sa plainte.

Cour du Québec, Division des petites créances

Dans Bertrand, le Tribunal a condamné la Ville de Baie-Saint-Paul à payer 15 000 $ à un urbaniste dont le contrat de travail à durée déterminée avait été résilié avant terme. La Ville invoquait le retour au travail inattendu des autres urbanistes ainsi que la pandémie de COVID-19 pour justifier la résiliation du contrat. Or, «la pandémie de Covid-19, malgré son caractère d’imprévisibilité, et encore moins le retour au travail des urbanistes, événement à tout le moins prévisible, ne peuvent être considérés comme des forces majeures dégageant la Ville de ses obligations envers [le demandeur]» (paragr. 22). Estimant que le contrat avait été résilié sans motif sérieux, le Tribunal a conclu que le demandeur était en droit d’obtenir sa rémunération pour la portion restante de son contrat.  

«Et c’est pas fini, c’est rien qu’un début» – Stéphane Venne

Nul besoin d’être devin pour prédire que plusieurs décisions seront rendues au cours des prochains mois et des prochaines années sur les différents enjeux en lien avec la COVID-19, notamment en ce qui concerne la question de la vaccination en milieu de travail. Soyez assurés que nous resterons à l’affût afin de vous informer des nouveautés sur le sujet.

Approfondissez vos connaissances en suivant la vidéoformation Pandémie mondiale de la COVID-19 : revue jurisprudentielle en droit du travail donnée par Mᵉ Émilie Larivée et Mᵉ Vanessa Batik, agentes de formation chez SOQUIJ.

Dans ce portrait plus complet des chamboulements occasionnés, les décisions abordées par les conférencières portent notamment sur les mesures pour limiter la propagation du virus, la modification de certaines conditions de travail, l’exercice des activités syndicales, l’application de la notion de force majeure et le télétravail.

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