L’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) définit le harcèlement psychologique comme «une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste».  

Il va sans dire que les exemples de comportements pouvant constituer du harcèlement psychologique sont nombreux et variés. Dans la décision Lazzer, rendue en février dernier, le Tribunal administratif du travail a conclu que la vidéosurveillance excessive et déraisonnable exercée par le propriétaire d’un magasin constituait une forme de harcèlement psychologique.  

Les faits 

Frère et sœur, les plaignants travaillaient dans un magasin d’articles de baseball. Lorsque aucun gérant n’était présent, ils étaient responsables du bon fonctionnement du commerce et pouvaient intervenir auprès des autres salariés en cas de problème. Ils étaient notamment appelés à faire respecter la politique de l’employeur interdisant l’usage des téléphones cellulaire pendant les heures de travail.  

Quelques années après leur embauche, l’employeur a fait installer un système de caméras de surveillance lui permettant de visionner les images du magasin en temps réel ainsi qu’en différé. D’après l’employeur, l’objectif était de prévenir le vol à l’étalage. Or, à la suite de la publication d’un avis négatif concernant le service à la clientèle offert au magasin, le propriétaire a commencé à regarder les images régulièrement afin de savoir ce qui s’y déroulait en l’absence des gérants.  

C’est cette utilisation des caméras de surveillance qui a mené aux plaintes étudiées par le Tribunal. Les plaignants «se sent[aient] sans cesse sur le qui-vive, stressés par le fait qu’ils [étaient] constamment épiés et parce qu’à tout moment, l’employeur [pouvait] ouvrir les caméras à distance ou encore faire des visionnements aléatoires des enregistrements, ce qui [générait] des interventions» (paragr. 53). À titre d’exemple, le propriétaire aurait téléphoné au magasin pour savoir où se trouvait un salarié qu’il ne voyait pas à la caméra ou parce qu’il se demandait pour quelle raison un autre salarié s’était «absenté si longtemps pour aller aux toilettes» (paragr. 55). 

De son côté, le plaignant a été congédié après que le propriétaire eut vu des clients se lancer une balle de baseball pendant qu’il était dans l’arrière-boutique. [NDLR: la plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante du plaignant a été accueillie.] 

L’analyse du Tribunal 

Sans remettre en question la légitimité du système de caméras de surveillance comme méthode pour dissuader le vol à l’étalage, le Tribunal précise que «cet objectif initial de prévenir le vol à l’étalage, auquel cas les caméras sont "en réserve", a cédé le pas à une utilisation régulière et systématique en tant qu’outil de gestion et de contrôle du travail de ses salariés, particulièrement lorsqu’ils sont seuls et sans la présence de gérants» (paragr. 87).  

Bien que l’employeur soit en droit de contrôler la prestation de travail de ses salariés, l’exercice de ce droit doit être raisonnable. Dans le présent cas, il a été démontré que le respect de la politique interdisant l’usage des téléphones cellulaires pendant les heures de travail représentait un réel problème. Or, ce problème «ne saurait permettre à l’Employeur de recourir à des moyens qui vont au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire pour y remédier et qui pourraient prêter flanc à des violations au droit au respect de la vie privée des salariés» (paragr. 94). 

Pour le Tribunal, «le moyen utilisé […] paraît disproportionné, sachant de surcroît que cette surveillance conduit souvent à des discussions et des interventions qui ratissent plus large que la seule question du respect de la politique relative aux téléphones cellulaires» (paragr. 95).  

Ayant déterminé que la surveillance effectuée par l’employeur était excessive et donc déraisonnable, le Tribunal a ensuite conclu que cela constituait une forme de harcèlement psychologique.  

Sachant qu’ils pouvaient être observés à tout moment, les plaignants craignaient de commettre une erreur pouvant mener à un appel du propriétaire. La surveillance excessive dont ils ont fait l’objet leur a causé du tourment et a porté atteinte à leur dignité et à leur intégrité, en plus de créer pour eux un milieu de travail néfaste. 

De plus, l’employeur savait que la vidéosurveillance posait problème aux plaignants ainsi qu’à leurs collègues puisqu’ils avaient abordé le sujet avec l’un des gérants. Malgré cela, il n’a pas changé ses façons de faire, contrevenant ainsi à son obligation de prévenir le harcèlement psychologique ou de faire cesser le harcèlement ayant été porté à son attention (art. 81.19 L.N.T.). 

Dans ces circonstances, le Tribunal a accueilli les plaintes pour harcèlement psychologique des plaignants et a réservé sa compétence quant aux mesures de réparation appropriées.   

Conclusion 

Avec la prévalence des caméras de surveillance dans les commerces de détail, la décision rendue par le Tribunal constitue un pensez-y-bien pour les employeurs qui pourraient être tentés de se détourner de l’objectif de prévention du vol à l’étalage pour plutôt se servir de leurs systèmes de surveillance comme outil afin de contrôler les faits et gestes de leurs salariés.