Les «parents» qui se rendent devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) pour contester des décisions rendues par Retraite Québec (RQ) en matière d’Allocation famille (AF; anciennement Soutien aux enfants) soulèvent régulièrement certains problèmes. En effet, la rétroactivité et le recouvrement de ces prestations apportent leur lot d’incompréhension et de frustration. Pourquoi?

Mise au point

Il faut d’abord préciser que les personnes qui reçoivent des allocations familiales pour des enfants ne sont pas nécessairement les parents de ceux-ci. La ou les personne qui touchent les prestations sont des «particuliers admissibles» au sens de la Loi sur les impôts. Il peut s’agir de l’un des grands-parents, d’un beau-parent ou autre. Néanmoins, par souci d’alléger le texte, le mot «parent» est utilisé ici.

De plus, l’allocation est habituellement versée à un seul parent, mais elle peut être divisée moitié-moitié en cas de garde partagée.

Cas pouvant entraîner une rétroactivité

Il arrive que des parents déposent une demande de prestation familiale longtemps après le début de leur admissibilité à celle-ci. Les raisons invoquées pour expliquer cette omission d’agir sont souvent l’ignorance de la loi, le fait de s’être fié à son comptable, la croyance erronée que le dépôt des déclarations de revenus suffisait ou une autre croyance fausse voulant que le dépôt d’une demande au fédéral entraîne automatiquement le dépôt d’une demande à RQ.

C’est ainsi que des parents ne reçoivent rien, ou touchent seulement l’Allocation canadienne pour enfants (ACE), sans savoir qu’ils ne reçoivent pas les allocations familiales de RQ auxquelles ils ont droit. Cette situation peut malheureusement durer plusieurs années.

Différence dans la rétroactivité

Le premier problème surgit lorsque les parents ne recevaient rien et qu’ils déposent une demande auprès de RQ et de l’Agence du revenu du Canada. Ils ont droit à une rétroactivité des paiements bien supérieure pour l’ACE — jusqu’à 10 ans — que pour l’AF de RQ. Dans ce dernier cas, l’article 1029.8.61.24 de la Loi sur les impôts prévoit une rétroactivité de 11 mois, en plus du mois de la demande.

Toutefois, ce délai pour la prestation provinciale peut être prorogé, sur demande, pour une période n’excédant pas 24 mois. Selon l’article 1029.8.61.24.1 de la loi, une telle demande sera accueillie si la personne démontre 1) avoir été dans l’impossibilité en fait d’agir et 2) que la demande a été présentée dès que les circonstances l’ont permis. Il s’agit de 2 conditions cumulatives qui doivent être remplies afin de satisfaire aux exigences de cette disposition.

Vous l’aurez deviné, le grand écart entre les rétroactivités provinciale et fédérale entraîne des récriminations. Toutefois, les différences entre les lois provinciale et fédérale le veulent ainsi. Les tribunaux ne font qu’appliquer la loi.

Preuve requise pour obtenir la rétroactivité maximale

En outre, les 2 conditions cumulatives prévues à l’article 1029.8.61.24.1 sont difficiles à démontrer. Ignorer la loi ne suffit pas. Être très accaparé par la gestion des affaires quotidiennes non plus.

Des parents ont quand même réussi à repousser ce fardeau de preuve et ont obtenu la rétroactivité de 24 mois. Il était alors notamment question de violence conjugale, d’une situation de grande vulnérabilité financière, d’une erreur de l’avocat, d’importants problèmes de santé mentale, de conflit entre les parents et d’informations erronées fournies par des employés de RQ ou par une médiatrice lors de la séparation.

Le cas de la garde partagée non déclarée ou de la déclaration comportant des erreurs

Un autre problème majeur pour les parents a trait à la différence de traitement dans le cas d’une garde partagée non déclarée à RQ ou même d’une garde incorrectement déclarée, c’est-à-dire lorsque RQ n’a pas les bons renseignements au sujet de la garde de l’enfant. Dans le cas de la garde partagée, chaque parent ayant au moins 40 % du temps de garde a droit à la moitié de l’allocation. Il arrive que les parents ne connaissent pas cette règle.

Ainsi, lorsque RQ apprend qu’un parent a reçu sans droit toute l’allocation pendant des années — ce dernier n’était donc pas un particulier admissible — et que l’autre parent qui n’a rien reçu a droit à sa part, l’heure des comptes a sonné. L’article 1029.8.61.34 de la loi accorde à RQ un pouvoir de recouvrement allant jusqu’à 3 ans. Il s’agit d’un délai de prescription de la réclamation.

Le problème est que le parent qui a reçu toute l’allocation sans droit peut donc devoir rembourser jusqu’à 3 années de prestations, tandis que le parent qui n’a pas touché ce qui lui revenait recevra un maximum de 11 mois de rétroactivité, sauf en cas d’impossibilité d’agir, où il aura droit à 24 mois. RQ n’est pas tenue de remettre ces 3 années au parent n’ayant pas présenté de demande ou ayant présenté une demande tardive, c’est-à-dire au-delà de la période de 11 mois suivant le changement de garde.

Dans un tel cas, des parents qui n’ont reçu que la rétroactivité de 11 mois ont fait part de leur mécontentement devant ce qu’ils jugent être une iniquité. Le TAQ, dans E.R. c. Retraite Québec et J.L. c. Retraite Québec, a fait état de cette situation, mais a précisé qu’il doit appliquer la loi. C’est le législateur qui a la prérogative d’y apporter des modifications.

Conclusion

Pour reprendre les mots du regretté Jean Pineau, qui était professeur de droit à mon alma mater, l’Université de Montréal: «tout juge est un diseur de droit; ce n’est pas Zorro sur son cheval ni Saint Louis sous son chêne rendant la justice». On ne peut que s’incliner devant la sagesse de ces paroles, tout à fait applicables aux situations décrites dans ce billet… et dans d’autres domaines de droit.

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