La pandémie de la COVID-19 a provoqué un déploiement à grande échelle du télétravail, une modalité de travail qui était autrefois considéré comme atypique ou exceptionnelle.

Certes, les avantages sont nombreux (adieu les embouteillages, bonjour la flexibilité!), mais cette façon de travailler (et la connexion constante aux appareils mobiles) peut également embrouiller la frontière entre la vie professionnelle des travailleurs et leur vie personnelle et ainsi augmenter le risque d’hyperconnectivité. En effet, il n’est pas rare de ressentir la pression de répondre aux courriels d’un client, d’un superviseur, d’un employeur ou d’un collègue en soirée, la fin de semaine ou pendant un congé, ou encore d’être tentés d’aller consulter une notification sur une application reliée au travail téléchargée sur notre cellulaire.

Simple réflexe ou exigence de l’employeur, cette pratique peut sans contredit avoir des conséquences sur la santé physique et mentale des travailleurs. Une enquête auprès des Canadiens a d’ailleurs démontré que 73 % de plus de 1 000 télétravailleurs sondés avaient déclaré ressentir des symptômes d’épuisement professionnel.

Une piste de solution? La reconnaissance d’un droit à la déconnexion pour les travailleurs.

Définition

Il existe différentes interprétations du «droit à la déconnexion», mais, en général, celui-ci vise essentiellement à encadrer l’utilisation des outils de communication en dehors des heures de travail pour permettre aux travailleurs de se déconnecter et pour leur assurer un temps de repos. Ce concept a émergé en France en 2017 dans le cadre de l’adoption d’une nouvelle législation en réponse aux préoccupations selon lesquelles les technologies mobiles compromettaient la conciliation travail-famille. Cette loi impose notamment à toutes les entreprises de 50 salariés ou plus de mettre en place des dispositifs visant à encadrer l’utilisation des outils numériques ainsi qu’à assurer un temps de repos et de congé aux salariés dans le respect de leur vie personnelle et familiale. Alors que certaines grandes entreprises, comme Volkswagen, ont décidé de prendre les devants et de garantir la déconnexion des employés à l’extérieur des heures normales de travail, plusieurs autres pays ont plus récemment intégré ce droit à leur régime de droit du travail, adoptant certaines lois ou pratiques en ce sens, notamment:

  • Espagne (juillet 2021): en adoptant une loi sur le travail à distance qui prévoit le droit à la déconnexion numérique;
  • Portugal (janvier 2022): en se dotant d’une loi stipulant qu’il est illégal pour un employeur de joindre ses employés en dehors des heures de travail, sous peine de recevoir une amende;
  • Belgique (février 2022): en ancrant le droit à la déconnexion dans le statut du personnel fédéral pour l’ensemble des membres du personnel. Ceux-ci ne peuvent plus être joints en dehors de leurs heures de travail.

Le Canada et ses provinces

Depuis 2020, le gouvernement du Canada mène des consultations afin de proposer des solutions qui donneraient aux travailleurs sous réglementation fédérale le droit de se déconnecter. Aucune loi ni aucune modification du Code canadien du travail n’a toutefois été adoptée à cet égard.

L’Ontario est la première province (et la seule pour l’instant) à avoir légiféré en matière de droit à la déconnexion. Celle-ci a effectivement adopté une loi qui oblige les employeurs à adopter des politiques qui tiennent compte du besoin de repos des travailleurs. Ainsi, toutes les entreprises comptant 25 employés ou plus sont tenues, depuis juin 2022, d’adopter une politique de «déconnexion du travail». Dans cette loi, l’expression «déconnexion du travail» est définie comme étant le fait de ne pas transmettre de communications (courriels, appels, messages) à l’extérieur des heures de travail, de manière à être déconnectés du travail.

Et le Québec ?

Bien que la province ne soit pas dotée d’un encadrement réglementaire précis, certaines dispositions de la Loi sur les normes du travail, du Code civil du Québec, de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Charte des droits et libertés de la personne comprennent certains principes relatifs au temps de travail, au droit à la vie privée ainsi qu’à la santé et à la sécurité au travail. Ces dispositions couvrent effectivement plusieurs enjeux liés au droit à la déconnexion, notamment les périodes de repos et le temps consacré aux obligations familiales.

Il demeure toutefois que ces dispositions ne protègent pas tous les travailleurs, notamment les cadres, ceux qui ont un horaire flexible ou ceux qui sont rémunérés sur une base annuelle forfaitaire, par exemple.

L’utilisation généralisée des moyens de communication virtuels, la pandémie, le contexte de pénurie de main-d’œuvre et l’essor du télétravail auront assurément créé un terreau fertile pour une reconnaissance éventuelle d’un droit à la déconnexion pour les salariés. Le parti politique Québec Solidaire a d’ailleurs tenté d’ouvrir le débat sur la question du droit à la déconnexion par l’entremise d’un projet de loi, en juin 2020, et est revenu à la charge en décembre 2021 en déposant un second projet à cet égard. Aucune loi n’a toutefois été adoptée.

L’absence de changement législatif n’a cependant pas empêché le parti de prendre les devants et d’intégrer dans sa convention collective la question du droit à la déconnexion, selon des dispositions semblables aux projets de loi présentés précédemment.

Conclusion

Alors que, après plusieurs mois de pandémie et de télétravail, une grande proportion de travailleurs se dit épuisée et avoir de la difficulté à s’arrêter à la fin d’une journée de travail, une réflexion semble s’imposer. L’absence d’un droit clair à la déconnexion dans la législation québécoise ne devrait toutefois pas empêcher les entreprises et employeurs à mettre en place des mécanismes pour tenter de limiter ou de mieux encadrer les risques d’hyperconnectivité et d’ainsi réduire ses répercussions sur la santé psychologique des travailleurs.

Le sujet vous interpelle? SOQUIJ vous invite à la conférence «Les enjeux de la déconnexion», qui aura lieu le 29 septembre 2022. Dans le cadre de cette conférence, la conférencière Me Marianne Plamondon (Langlois Avocats) abordera le cadre législatif et juridique en lien avec la déconnexion de même que les enjeux de ressources humaines qui y sont liés. Elle discutera également les nouvelles tendances à cet égard afin de trouver des solutions à ces réalités actuelles.

Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Me Émilie Larrivée.

Les enjeux de la déconnexion, webinaire le 29 septembre 2022. S'ouvrira dans une nouvelle fenêtre.