Voici un survol de quelques décisions rendues en 2022 par le Tribunal administratif du travail en matière de harcèlement psychologique.

La conduite vexatoire

L’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) définit le harcèlement psychologique comme: «[…] une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel.»

La notion de «conduite vexatoire» est très large et peut englober une multitude de comportements. En avril 2022, je vous présentais une décision dans laquelle le Tribunal administratif du travail avait conclu que l’utilisation régulière et systématique du système de caméras de surveillance comme outil de contrôle des employés d’un magasin d’articles sportifs constituait du harcèlement psychologique.

Dans Massé c. Caisse Desjardins Pierre-Le Gardeur, la plaignante avait déposé une première plainte pour harcèlement psychologique pendant qu’elle était en congé de maladie. Comme cette plainte était toujours pendante au moment de son retour au travail, l’employeur a estimé agir préventivement en réduisant les contacts entre la plaignante et les gestionnaires qu’elle avait nommés dans sa plainte. La décision de l’employeur a toutefois eu pour effet d’isoler la plaignante, qui a notamment été exclue de rencontres auxquelles elle aurait normalement assisté. Après une analyse globale des faits, le Tribunal a conclu que la plaignante avait fait l’objet d’une conduite vexatoire ayant entraîné pour elle un milieu de travail néfaste. Sa plainte pour harcèlement psychologique a été accueillie. [NDLR: Les plaintes déposées à l’encontre du congédiement de la plaignante ont toutefois été rejetées dans la même décision, laquelle fait en ce moment l’objet d’une requête en révision interne.]

Dans Garon c. Familiprix, la plaignante n’avait pas été réintégrée dans ses fonctions à son retour d’un congé de maladie et elle s’était vu affecter à des tâches de niveau inférieur. S’étant de nouveau absentée pour cause de maladie, elle a été informée que son poste de chef de la commercialisation et de l’expérience client avait été aboli et qu’elle serait rétrogradée à un poste de conseillère. À son retour au travail, la plaignante a été traitée comme une nouvelle employée, se voyant notamment imposer un plan d’intégration ainsi qu’une période de probation. Même si elle justifiait de plus de 10 ans de service chez l’employeur, elle a également été forcée à rencontrer plusieurs personnes qu’elle connaissait déjà afin de leur présenter son nouveau rôle. Le Tribunal a conclu que, globalement, la conduite de l’employeur était vexatoire et avait humilié la plaignante. La plainte a donc été accueillie.

L’obligation de l’employeur de prévenir et de faire cesser le harcèlement

Une fois que le Tribunal a conclu qu’un plaignant avait fait l’objet de harcèlement psychologique, il doit déterminer si l’employeur s’est conformé à l’article 81.19 L.N.T. en prenant «les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser». Si c’est le cas, la plainte doit être rejetée.

Dans M.C. c. Boutique Unisexe Joven inc., la plaignante travaillait comme vendeuse dans un magasin de vêtements et alléguait avoir fait l’objet d’avances et d’attouchements sexuels de la part d’une collègue ainsi que de diverses conduites vexatoires et répétées de la part de sa gérante. Le Tribunal a retenu la version des faits de la plaignante et a conclu que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de prévenir et de faire cesser le harcèlement dont celle-ci avait été victime. La prétention de l’employeur selon laquelle la plaignante avait tardé à l’aviser des comportements dont elle faisait l’objet n’a pas été retenue. Soulignant que la gérante était la seule représentante de l’employeur au magasin et qu’elle avait elle-même fait preuve d’une conduite vexatoire, le Tribunal a conclu que «[c’était] l’employeur, à travers sa représentante, qui ne [s’était pas conformé] aux dispositions de la LNT en matière de harcèlement psychologique» (paragr. 81). La plainte a donc été accueillie.

Le même jour, le Tribunal a également accueilli la plainte pour harcèlement psychologique déposée par l’assistante-gérante du magasin, rejetant encore une fois les arguments de l’employeur concernant le moment de la dénonciation.

Dans Diouf c. Aluminerie Alouette inc., le plaignant a acquis le téléphone cellulaire d’un collègue et y a découvert un groupe de messagerie dans lequel 4 de ses collègues avaient tenu des propos racistes, dénigrants et menaçants à son endroit pendant environ 4 ans. Grandement perturbé par cette découverte, le plaignant a dû s’absenter du travail pendant plusieurs mois. Bien qu’il ait conclu que le plaignant avait fait l’objet de harcèlement psychologique, le Tribunal a dû rejeter la plainte puisque l’employeur avait respecté ses obligations en vertu de la loi. En effet, le jour même où il a été informé des propos tenus à l’égard du plaignant, l’employeur a demandé à une firme externe d’effectuer une enquête approfondie. Même si, au bout du compte, la firme a conclu que la situation vécue par le plaignant ne constituait pas du harcèlement psychologique, l’employeur a tout de même agi. Chacun des 4 collègues du plaignant a été suspendu sans traitement pendant 1 quart de travail et ils ont tous reçu une formation sur le harcèlement psychologique. Dans sa décision, le Tribunal précise que les mesures prises par l’employeur afin de prévenir et de faire cesser le harcèlement semblent avoir été suffisantes puisque le plaignant n’a rapporté aucune conduite harcelante après son retour au travail.

Le harcèlement psychologique: pas seulement le fait des collègues ou des supérieurs

Les allégations de harcèlement psychologique sont souvent formulées à l’encontre de collègues ou de supérieurs. Or, la conduite harcelante qu’un employeur doit prévenir et faire cesser peut également être le fait d’un tiers, tel un client ou un fournisseur.

Dans Plouffe c. Armoires etc… inc., la plaignante alléguait avoir été victime de harcèlement psychologique de la part d’un fournisseur de son employeur. Dans le contexte de tensions liées à un projet auquel collaboraient les 2 entreprises, la plaignante s’était notamment mise à «recevoir des messages textes et des courriels intimidants et agressifs de la copropriétaire [du fournisseur], qui se livr[ait] à des attaques personnelles en règle» (paragr. 23). Ayant été informé de ce comportement harcelant, et en ayant même été témoin, l’employeur a désigné un autre salarié pour agir comme interlocuteur auprès du fournisseur, mais le comportement vexatoire de la copropriétaire n’a pas changé. Ayant conclu à une conduite vexatoire, le Tribunal a ensuite souligné que l’employeur «[était] ainsi demeuré passif, en se disant que la situation se réglerait d’elle-même avec la fin des contrats». Il a jugé que cela n’était pas suffisant et qu’il lui aurait fallu «faire plus pour protéger sa salariée et faire cesser le harcèlement dont elle était victime» (paragr. 54). Dans ces circonstances, la plainte a été accueillie.

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