L’agent conversationnel ChatGPT, lancé par l’entreprise OpenAI à destination du public en novembre 2022, continue à faire les manchettes et à susciter la fascination et l’émerveillement, mais aussi la crainte. Celle de Google, par exemple, qui craint une marginalisation de son moteur de recherche par ce nouvel outil d’intelligence artificielle (IA). Et, plus largement, la crainte des écoles et des universités, dont certaines ont déjà interdit l’usage de ChatGPT par les étudiants, pour combattre le plagiat, et celle des comptables, pharmaciens, avocats, ingénieurs, etc., qui craignent de devenir inutiles devant ces outils algorithmiques surpuissants.

ChatGPT suscite aussi un certain nombre de craintes liées aux questions de la protection du droit d’auteur.

Tout d’abord, il faut préciser qu’un programme de langage comme celui de ChatGPT est un programme d’ordinateur et qu’il est de ce fait assimilé à une «œuvre littéraire» au sens de l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur. À ce titre, il est protégé par le droit d’auteur en vertu de l’article 5 (1) de la loi en plus de constituer une invention brevetable dans le cadre de la Loi sur les brevets.

Toutefois, la question du droit d’auteur se pose moins sur le plan de la technologie de ChatGPT que des œuvres dont il s’inspire ou qu’il reproduit pour élaborer des réponses très précises, elles-mêmes pouvant constituer des «œuvres». En effet, pour être en mesure de produire, sur commande, des textes de poésie, il a dû être entraîné à partir d’une multitude de données provenant de très nombreux poèmes et textes. La question de la titularité du droit d’auteur se pose aussi, bien entendu, à l’égard des œuvres qu’il produit. Commençons par cet aspect.

L’IA et le titulaire du droit d’auteur

Quelle est l’identité du titulaire du droit d’auteur protégeant l’œuvre élaborée par ChatGPT? Est-ce le propriétaire de cet outil, soit OpenAI? Les usagers qui fournissent une instruction au robot? Les personnes ayant entraîné ChatGPT? Les auteurs des textes et documents originaux utilisés comme données dans l’entraînement de l’IA? L’article 13 (1) de la Loi sur le droit d’auteur consacre le principe, souffrant de certaines exceptions, que «l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre». Ce principe du droit de la propriété intellectuelle se trouve dans la plupart des pays signataires de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Il faut donc rattacher, en principe, le droit à son auteur. Or, ce dernier, comme le rappelle une décision de la Cour fédérale de 2007, doit être un être humain ou un groupe d’êtres humains. Ainsi, même si cela peut paraître évident, une IA, aussi puissante et performante soit-elle (n’étant pas une personne morale ni encore moins une personne physique), n’est donc pas titulaire du droit d’auteur. Cela est renforcé par l’idée, rappelée par le professeur Georges Azzaria (Georges Azzaria, «Intelligence artificielle et droit d’auteur: l’hypothèse d’un domaine public par défaut», (2018) 30 C.P.I. 925-946), que le droit d’auteur protège seulement les œuvres originales. La notion d’«originalité» comprend le talent et le jugement, comme l’a rappelé la Cour suprême du Canada, soit des notions encore une fois liées à l’exercice de l’activité humaine (la faculté de discernement, l’aptitude à développer une opinion, etc.), ce qui exclut donc, normalement, la production automatique d’un robot comme ChatGPT (Georges Azzaria, ibid.). C’est ainsi qu’un tribunal américain a conclu que l’égoportrait pris par un singe ne pouvait être protégé par le droit d’auteur.

Ainsi, puisque l’IA n’est pas l’auteure des œuvres qu’elle produit mécaniquement, la détermination des premiers titulaires du droit d’auteur sur les œuvres qu’elle produit est incertaine en l’absence de réponse claire dans la loi et la jurisprudence. Une première approche suppose que le droit d’auteur doit se rattacher soit aux programmeurs, aux entraîneurs de l’algorithme, à ses utilisateurs, etc. La question devient donc celle de savoir qui, dans la chaîne de production d’un texte publié par ChatGPT, a fait preuve de talent et de discernement (Georges Azzaria, ibid.). La réponse déterminera l’identité de l’auteur ou des coauteurs titulaires des droits en l’absence d’un contrat prévoyant leur transfert à une autre personne.

Par exemple, un poète ou un vidéaste dont les œuvres ont été utilisées dans le cadre du processus de création de poèmes de ChatGPT et qui ont été reprises de manière substantielle dans la nouvelle création serait considéré comme coauteur de la nouvelle œuvre. Cette dernière serait alors, en effet, une «œuvre créée en collaboration», au sens de l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur, soit une «[o]euvre exécutée par la collaboration de deux ou plusieurs auteurs, et dans laquelle la part créée par l’un n’est pas distincte de celle créée par l’autre ou les autres.» Pour que la notion d’«œuvre créée en collaboration» trouve application, il n’est pas nécessaire que les contributions des 2 coauteurs soient forcément égales en termes de travail, comme le mentionne la Cour fédérale. Cette approche s’avère cependant très épineuse dans ses applications puisqu’il sera souvent difficile de déterminer de manière précise si une personne a fourni une contribution qui respecte le seuil du talent et du jugement nécessaires pour être considéré comme auteur ou coauteur. Prenons l’exemple d’une personne qui publie des vidéos dans lesquelles elle raconte des histoires policières fictives, et que l’IA s’en inspire en prenant des bouts d’intrigue, de nombreuses tournures de phrases, etc., pour produire une œuvre originale: à partir de quel niveau de recyclage» de l’œuvre source l’auteur de cette dernière pourra revendiquer la titularité des droits?

Malgré sa complexité d’application, certains pays ont adopté cette approche. C’est notamment le cas du Royaume-Uni, qui, dans son Copyright, Designs and Patents Act, à l’article 9 (3), précise que: «Dans le cas d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique générée par ordinateur, l’auteur est considéré comme la personne qui prend les dispositions nécessaires à la création de l’œuvre» [notre traduction]. Une telle disposition, encore une fois, n’écarte pas toute ambiguïté et n’empêchera pas les difficultés d’applications que nous avons relevées.

Une autre approche, évoquée encore une fois par le professeur Azzaria, considère que, lorsque c’est l’algorithme qui fait montre de la part la plus importante de «talent» et de «jugement» (si l’on peut appliquer ces concepts à l’apprentissage automatique et à l’apprentissage profond d’une machine d’IA), puisque l’IA n’est pas un humain, alors sa production artistique, culturelle, documentaire, etc., tombe dans le domaine public (voir aussi Gouvernement du Canada, Consultation sur un cadre moderne du droit d’auteur pour l’intelligence artificielle et l’Internet des objets, [en ligne])

Pour le dire autrement, toute œuvre produite automatiquement par des procédés d’IA, sans intervention humaine ou avec une intervention limitée de personnes qui n’apportent pas vraiment leur talent et leur jugement, tomberait dans le domaine public, et toute personne serait ensuite libre de l’utiliser et de l’exploiter à sa guise, sans obtenir ni permission ni licence du propriétaire de l’IA (Georges Azzaria, ibid.; Gouvernement du Canada, Consultation sur un cadre moderne du droit d’auteur pour l’intelligence artificielle et l’Internet des objets, [en ligne]).

L’IA et le respect des droits d’auteur existants

Au-delà de l’identité du titulaire des droits d’auteurs se pose aussi la question du respect, par le propriétaire, les concepteurs et les entraîneurs de ChatGPT (et même les utilisateurs), des droits d’auteur existants.

En effet, si le texte produit reprend des passages entiers de textes originaux, sans les reformuler ou réorganiser les idées, il y a alors possiblement violation des droits d’auteurs (art. 3 (1) de la loi; Canadian Broadcasting Corporation/Société Radio-Canada c. Parti Conservateur du Canada). Pour déterminer si une reproduction constitue une part substantielle de l’œuvre source, il faut analyser les 5 critères établis par la Cour suprême du Canada dans Cinar Corporation c. Robinson: la qualité et la quantité des parties plagiées, la gravité de l’atteinte, la question de savoir si le document source est protégé par le droit d’auteur, les fins auxquelles le document est plagié et la question de savoir si le défendeur utilise le document plagié d’une façon identique ou comparable à l’auteur originel. À l’inverse, si ChatGPT ne fait que reproduire des passages très courts, non substantiels, de telles œuvres, ou s’il ne fait que s’en inspirer, il pourrait écarter l’application de l’article 3 de la loi. Cette question ne se pose pas, bien entendu, si le titulaire des droits a consenti préalablement à l’utilisation de la totalité ou de la majeure partie de son œuvre (art. 27 (1) de la loi), ou s’il a accordé une licence pour la reproduction de celle-ci.

Également, à défaut de consentement, le propriétaire et les utilisateurs de ChatGPT pourraient se prévaloir de certaines des exceptions prévues dans la loi. L’article 29 de la loi indique, par exemple, que «[l]’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du droit d’auteur» (voir aussi Canadian Broadcasting Corporation/Société Radio-Canada). L’article 29.1, quant à lui, établit que «[l]’utilisation équitable d’une œuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins de critique ou de compte rendu ne constitue pas une violation du droit d’auteur». Pour appliquer cette deuxième disposition, il faut cependant mentionner la source copiée, et son auteur, ce que ne fait pas ChatGPT, sauf quand on lui donne des instructions extrêmement précises en ce sens. L’article 30.71 pourrait également être invoqué:

«30.71 Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait de reproduire une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur si les conditions suivantes sont réunies:

a) la reproduction est un élément essentiel d’un processus technologique;
b) elle a pour seul but de faciliter une utilisation qui ne constitue pas une violation du droit d’auteur;
c) elle n’existe que pour la durée du processus technologique.»

Il y a de plus un risque de dilution de la responsabilité, à mesure qu’un outil d’IA générant automatiquement des textes s’autonomise: en cas de reproduction illégale du contenu d’une vidéo sur YouTube, par exemple, qui est responsable? Est-ce le propriétaire de l’IA? Celui-ci pourrait alléguer, par exemple, que c’est plutôt l’usager qui a violé le droit d’auteur protégé puisqu’il a donné des instructions commandant à la machine de prélever en bloc le contenu de cette vidéo. Dans un tel cas, l’article 27 (2.3) pourrait toutefois, théoriquement, être invoqué pour écarter ce moyen de défense (Gouvernement du Canada, Consultation sur un cadre moderne du droit d’auteur pour l’intelligence artificielle et l’Internet des objets, [en ligne]). Le propriétaire peut aussi invoquer la responsabilité des personnes qui ont entrainé l’IA avec des œuvres protégées par le droit d’auteur sans que le propriétaire le sache. Comme il est difficile, nous l’avons vu plus haut, de rattacher la titularité des droits de l’œuvre produite par l’IA à un auteur, la même difficulté risque de se poser quand les auteurs invoqueront la violation de leur droits puisqu’il leur sera difficile de rattacher la responsabilité de cette violation à une personne précise.

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