Le 30 janvier 2023, le Canada a ratifié la Convention sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail de l’Organisation internationale du travail. Il est le 25e pays à le faire. Cette convention reconnaît «le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre» («Préambule», al. 6).

Au Québec, depuis le 6 octobre 2021, l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) impose aux employeurs assujettis à l’application de cette loi l’obligation de prendre des mesures afin d’assurer la protection d’un travailleur exposé à une situation de violence physique ou psychologique sur le lieu de travail. Les situations de violence visées incluent la violence conjugale et familiale ainsi que la violence à caractère sexuel:

L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique et psychique du travailleur. Il doit notamment:

[…]

16° prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel.

Aux fins du paragraphe 16° du premier alinéa, dans le cas d’une situation de violence conjugale ou familiale, l’employeur est tenu de prendre les mesures lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le travailleur est exposé à cette violence.

Il est par ailleurs important de noter que la Loi sur la santé et la sécurité du travail s’applique au travailleur qui exécute du télétravail et à son employeur, sous réserve de toute disposition inconciliable (art. 5.1 LSST).  

Dans une affaire récente, la Cour supérieure s’est notamment appuyée sur les nouvelles obligations de l’employeur en matière de violence physique ou psychologique énoncées plus haut pour se prononcer sur une demande d’injonction permanente, plus particulièrement dans une situation de violence familiale.

La Cour a formulé ainsi les questions auxquelles elle devait répondre:

[1] Un employeur qui constate qu’une de ses travailleuses fait l’objet de violence psychologique sur les lieux de travail, dans un contexte de violence familiale, doit-il intervenir? Ce devoir d’intervention inclut-il la demande d’une ordonnance de protection au profit de la travailleuse? […]

Elle a répondu «oui» à ces 2 questions.

Les faits

L’employeur exploite un cabinet d’avocats. Une employée à son service était victime du comportement agressif, harcelant et violent de son fils, et ce, même sur les lieux du travail. Ce comportement persistait depuis plusieurs années malgré l’aide apportée par l’employeur. Le fils de l’employée appelait celle-ci au travail plusieurs fois par jour pour la menacer, l’intimider et exiger de l’argent. Ce comportement a atteint un paroxysme lorsque le fils s’est rendu au bureau en novembre 2022. Il était en colère, hurlait des propos menaçants et exigeait de voir sa mère. Il l’a finalement jointe à son numéro de téléphone professionnel, lui criant qu’il détruirait sa vie et «l’achèverait».

Dès le lendemain de cet événement, l’employeur a déposé une demande d’injonction visant à empêcher le fils de se rendre sur les lieux du travail de sa mère et de communiquer avec elle ou tout autre employé du cabinet.

La Cour a fait droit à la demande de l’employeur.

La décision

Dans un premier temps, la Cour applique le second alinéa de l’article 509 du Code de procédure civile (C.P.C.), lequel prévoit qu’une injonction «peut enjoindre à une personne physique de ne pas faire ou de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé en vue de protéger une autre personne physique dont la vie, la santé ou la sécurité est menacée.»

Dans un deuxième temps, elle s’appuie sur les dispositions du paragraphe 16 de l’article 51 LSST relatives aux obligations de l’employeur en matière de violence physique ou psychologique. Elle précise que cet article confère à l’employeur «tant l’obligation d’intervenir pour protéger l’Employée de son fils sur les lieux du travail que l’intérêt d’agir pour demander une ordonnance de protection» (paragr. 14).

Après avoir souligné que le type d’ordonnance demandé ne peut être «émis à la légère», la Cour retient que, dans le dossier à l’étude, la preuve a clairement démontré l’existence d’un contexte de violence familiale se manifestant sur les lieux du travail. À son avis, les craintes de l’employeur étaient fondées sur des motifs raisonnables justifiant que l’ordonnance demandée soit rendue.

La Cour rend une ordonnance de protection et prononce une injonction permanente d’une durée de 3 ans, soit le maximum permis par l’article 509 C.P.C. Elle ordonne au fils de l’employée en question:

  1. de ne pas se présenter dans les lieux de l’immeuble abritant le bureau de l’employeur, y compris les stationnements extérieur et intérieur, ni dans un rayon de 200 mètres de celui-ci;
  2. de ne pas entrer en contact, directement ou indirectement, par quelque moyen de communication que ce soit, avec l’employée durant ses heures de travail;
  3. de ne pas entrer en contact, directement ou indirectement, par quelque moyen de communication que ce soit, avec les employés au service de l’employeur dans le but de communiquer avec l’employée.

Le milieu de travail: un acteur important

La façon de mettre en œuvre les obligations que la Loi sur la santé et la sécurité du travail impose dorénavant aux employeurs en matière de violence physique ou psychologique, et plus particulièrement dans les situations de violence conjugale ou de violence familiale, suscitent de nombreuses interrogations. Il demeure que les employeurs doivent trouver des solutions afin de satisfaire à ces obligations. Ces solutions passent, entre autres choses, par une sensibilisation des employés à la manifestation de telles situations dans le contexte du travail, lesquelles peuvent être perçues comme relevant essentiellement de la sphère privée.

Sur ce point, je terminerai avec cet extrait tiré du site internet du Centre canadien d’hygiène et de sécurité du travail (Violence et harcèlement en milieu de travail – Violence familiale / conjugale : Réponses SST (cchst.ca) :

Vous avez probablement déjà entendu des gens dire, par exemple: «la violence familiale est un problème personnel», «ce n’est pas de mes affaires» ou «ils doivent régler ça entre eux». Ces attitudes aggravent l’isolement des gens qui subissent de la violence familiale et créent une barrière entre la personne ciblée et ceux qui sont en mesure de lui fournir de l’appui et de l’aide grandement nécessaires. Le milieu de travail peut occuper un rôle important, car les victimes de toute sorte de violence peuvent y trouver des ressources pour obtenir l’aide nécessaire.

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