Au cours des dernières années, les autochtones ont reçu une attention médiatique, politique et juridique accrue tandis que l’ampleur des traumatismes subis était révélée, notamment au fil d’enquêtes, de commissions et de commissions d’enquête.

Il nous appartient désormais, en tant que société, d’offrir des réponses et des réparations à ces drames passés dont les conséquences sont toujours d’actualité. Des revendications diverses liées à la reconnaissance de leur culture (notamment des quotas de musiques en langues autochtones), de même que l’énonciation de principes pour mettre fin à la surreprésentation des autochtones dans le système de justice pénale, reconnaître leur droit d’accéder sans discrimination à tous les services sociaux et de santé et interpellant les ordres professionnels, tels ceux de Gladue, de Jordan et de Joyce, en plus de modifications législatives récentes visant notamment à répondre à la surreprésentation des enfants autochtones dans les services de protection de l’enfance, attestent les jalons posés en vue de cette évolution nécessaire.

En ce qui concerne ces modifications législatives, il faut noter celles apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse, sans oublier l’adoption historique de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Quelques illustrations jurisprudentielles relatives à l’application de ces lois seront également présentées.

Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis

En février 2022, la Cour d’appel, saisie d’un renvoi relatif à cette loi, s’est penchée sur sa constitutionnalité. Quant au contenu de la loi, elle a indiqué qu’elle procède à «l’établissement des normes destinées à régler la fourniture des services aux enfants et aux familles autochtone» (paragr. 205) et qu’elle «organise le régime en vertu duquel les peuples autochtones exerceront leur autonomie gouvernementale» (paragr. 205) en cette matière.

À la question qui lui était posée, la Cour d’appel a répondu que la loi était constitutionnelle, à l’exception des articles 21 et 22 (3). La question fera prochainement l’objet d’un arrêt de la Cour suprême du Canada. Les mémoires relatifs à l’appel peuvent être consultés sur le site de la Cour.  

Loi sur la protection de la jeunesse

Les dispositions particulières de la loi applicables aux enfants autochtones visant à tenir compte des facteurs historiques, sociaux et culturels qui leur sont propres sont désormais regroupées dans un nouveau chapitre, soit le chapitre V.1 (art. 131.1 à 131.26). Elles visent notamment à favoriser la continuité culturelle.

Préserver et favoriser l’identité et la continuité culturelle des enfants autochtones: illustrations jurisprudentielles

En matière de protection de la jeunesse, la préoccupation des tribunaux liée à la préservation de l’identité autochtone n’est pas qu’actuelle, comme l’illustre cet extrait d’une décision rendue en 2002:

«Les tribunaux ne doivent-ils pas aussi se mettre en garde de ne pas contribuer, de façon systémique, à la dislocation des communautés par le biais de placements d’enfants jusqu’à majorité, sans tenir compte des caractéristiques propres aux communautés autochtones?» (paragr. 39)

Vingt ans plus tard, dans une affaire où les mesures applicables concernant une jeune fille âgée de 17 ans 1/2 devaient être déterminées par le tribunal, celui-ci a souligné que: «L’historique, l’ensemble de la preuve de même que les obligations que la Loi sur la protection de la jeunesse impose notamment en ce qui a trait aux dispositions particulières aux autochtones militent en faveur d’une réintégration progressive dans son milieu familial suivant l’accomplissement de certaines conditions.» (paragr. 43).

Dans Protection de la jeunesse — 212924, il est question d’un enfant autochtone vivant avec sa famille en milieu urbain, dont les parents considèrent néanmoins comme fondamental pour lui le mode de vie traditionnel, notamment les séjours en forêt et l’apprentissage de leur langue, de sorte que l’enfant a d’abord appris à parler l’anglais et l’anishnabe. Le tribunal a notamment relevé que la négligence sur le plan de la santé découlait aussi de l’absence de stimulation dans le milieu parental ainsi que de suivi au niveau des soins en orthophonie et du sédentarisme dans le logement. Après avoir conclu que la sécurité et le développement de l’enfant X étaient compromis, il a ordonné le retour de l’enfant dans son milieu familial plutôt que de retenir la suggestion du directeur de la protection de la jeunesse selon laquelle l’enfant devait être maintenu en famille d’accueil pour une période supplémentaire de 9 mois. Il a tenu à préciser que «le principe de la continuité culturelle ainsi que la nécessité de prise en compte des caractéristiques des communautés autochtones tout comme le critère de l’intérêt de l’enfant en lien avec la priorisation du maintien dans sa famille et des rapports continus avec celle-ci font en sorte que la suggestion proposée par la DPJ est inadéquate.» (paragr. 122). En outre, le tribunal a mentionné qu’on ne pouvait pas accepter que les évaluations de l’enfant, lorsque celui-ci ne parle pas le français, soient effectuées uniquement dans cette langue à moins que l’on ne puisse démontrer que cela n’a pas d’incidence.

Dans une autre affaire (Protection de la jeunesse —223237), une juge devait déterminer quel était le milieu de vie approprié pour 2 enfants entre celui proposé par le père, d’origine autochtone, soit une famille d’accueil de la communauté, et le milieu de la mère. Après avoir indiqué que les articles 131.1 et 131.3 de la Loi sur la protection de la jeunesse étaient applicables, elle a conclu qu’il importait d’abord de favoriser le milieu de l’un ou l’autre des parents, confiant les enfants à la mère. Elle a par ailleurs mentionné que le père avait la responsabilité de favoriser la continuité culturelle et qu’il fallait «préserver la réalisation de telles sorties dans la forêt, notamment pour des activités de chasse ou de pêche» (paragr. 42).

Dans Protection de la jeunesse — 211762, après avoir rappelé que le concept de la «continuité culturelle» énoncé dans la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles de Premières Nations, des Inuits et des Métis «requiert que les enfants restent en contact avec leur riche héritage culturel et que soient préservés les liens avec leur famille et leur communauté.» (paragr. 42), le tribunal a accepté de confier jusqu’à sa majorité un enfant d’origine autochtone à un milieu d’accueil qui n’était pas autochtone, en précisant que «l’investissement et la préoccupation de la famille d’accueil de préserver la continuité culturelle répondaient en grande partie aux besoins de l’enfant.» (paragr. 47). À cet égard, il est à noter que la mère d’accueil suit des cours pour apprendre la langue innue. Enfin, le tribunal a recommandé à la directrice de la protection de la jeunesse d’établir un plan précis pour préserver l’identité culturelle autochtone de l’enfant.

Dans Protection de la jeunesse — 218711, le juge, qui devait réviser des jugements qui avaient ordonné l’hébergement de 2 enfants issus d’une communauté autochtone dans une famille d’accueil allochtone jusqu’à leur majorité, a indiqué que la notion de «permanence» demeurait «un élément à considérer et à analyser avec les principes nouveaux» (paragr. 73) particuliers aux enfants autochtones. Selon le juge, la solution proposée par la directrice de la protection sociale A consistant à envoyer les enfants pour au moins 1 année dans une famille d’accueil autochtone équivalait à «déraciner les enfants de leur milieu de vie pour les envoyer chez des inconnus» (paragr. 70).

Lésion de droits

Dans une autre affaire, le tribunal a conclu à une lésion des droits de l’enfant qui avait été placé dans une famille d’accueil allochtone. Il a précisé que les agissements de la Direction de la protection de la jeunesse permettaient de croire que c’est afin de pouvoir ultimement justifier le placement à long terme de l’enfant dans cette famille d’accueil «qu’elle ne voulait pas que l’enfant ait de contacts avec sa mère ni sa grand-mère, sa famille et sa communauté» (paragr. 72). Le tribunal a ajouté que la façon dont cette dernière avait agi démontrait «une intention ou un aveuglement volontaire» (paragr. 94), et ce, «sans se préoccuper des considérations légales importantes auxquelles elle est tenue de se conformer en ce qui concerne les enfants Autochtones» (paragr. 94). Le tribunal a en outre indiqué qu’une intervention de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse lui paraissait nécessaire. Parmi les mesures correctrices et réparatrices, il a notamment ordonné la poursuite des démarches quant à l’existence d’une famille d’accueil inuite pouvant accueillir l’enfant.

La Cour du Québec décline compétence

Enfin, dans Protection de la jeunesse -225102, devant la demande des intervenants et de la mère d’un enfant autochtone que le dossier de celui-ci soit transféré à la direction des services sociaux de sa communauté, la Cour a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour établir s’il y avait une situation de compromission et déterminer les mesures applicables à cet enfant.

Conclusion

Comme cela a été mentionné dans l’affaire Protection de la jeunesse — 212924, citée plus haut: «le passé des communautés autochtones, dont les impacts des pensionnats indiens, ainsi que leur langue et leur culture, entre autres, doivent être pris en compte dans les interventions et les décisions prises par les intervenants et les décideurs, dont la Cour, relativement à la protection des enfants autochtones» (paragr. 21).

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