Les décisions rendues par le Tribunal administratif du logement (TAL) ont des conséquences souvent très importantes dans la vie des parties, en particulier dans celle des locataires. Par exemple, pour la période 2019-2020, 66 % des demandes produites ou réactivées au TAL constituaient des demandes de locateurs visant à mettre fin au bail par résiliation ou par reprise du logement. D’ailleurs, chaque année, entre 25 000 et 30 000 locataires sont visés par des ordonnances d’expulsion fondées sur des arriérés de loyers de plus de 3 semaines. Dans le contexte actuel de pénurie de logements et d’explosion des loyers, cette situation engendre des difficultés sociales pour de nombreux locataires à Montréal, à Québec, à Laval, à Longueuil et dans plusieurs autres villes. De plus en plus de locataires consacrent une part colossale de leurs revenus aux dépenses locatives ou bien acceptent des logements insalubres ou de taille insuffisante, ce qui peut avoir une incidence sur le développement des enfants, par exemple. Cette insécurité locative est également source d’anxiété, de dépression et d’insécurité alimentaire.

C’est dans ce contexte que l’appel des décisions du TAL à la Cour du Québec revêt une importance capitale puisqu’il constitue souvent le dernier recours avant une expulsion.

S’adressant en particulier aux locataires, aux comités logement et à l’ensemble des personnes œuvrant pour la défense des locataires, ce texte présente succinctement certaines des considérations à garder en tête lors de la préparation de cette procédure.

1. Le mécanisme de permission d’appel

L’appel des décisions du TAL est prévu à l’article 91 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement. Les appels sont l’objet d’un «filtre».

Premièrement, certains types de décisions ne peuvent être portés en appel. C’est le cas, par exemple, des décisions concernant une demande dont la valeur est inférieure à 15 000 $ et de celles portant sur une demande en fixation de loyer.

Deuxièmement, les personnes qui contestent une décision du TAL doivent obtenir la permission d’un juge de la Cour du Québec pour interjeter appel. La permission est loin d’être accordée de façon automatique. De très nombreuses contestations de décisions du TAL sont en effet rejetées au stade de la permission. Celle-ci est accordée lorsque le juge de la Cour du Québec est convaincu que «la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec» (art. 91 de la loi). Cette expression quelque peu floue a été l’objet d’une jurisprudence considérable. Pour que l’appel soit autorisé, la démonstration doit être faite que la question en jeu est une «question sérieuse, nouvelle, controversée, d’intérêt général, ou qui met en cause les intérêts supérieurs de la justice» (Tamba c. Leigh, paragr. 11). Les paramètres régissant ces différents critères, qui justifient ou non que la permission d’appel soit accordée, ont été résumés dans une décision de la Cour du Québec de 2022:

[21]      Un seul critère peut parfois suffire au droit d’appel, alors que le cumul de plusieurs critères peut aussi s’avérer nécessaire selon les circonstances propres à chaque cas.

[22]      Il est par exemple reconnu que le critère de la question nouvelle n’est généralement pas suffisant en lui-même pour permettre un appel, non plus que la présence d’une erreur de droit en l’absence d’une question sérieuse ou d’intérêt général.

[23]      Par ailleurs, il est établi que le Tribunal siégeant en appel sur des questions mixtes de fait et de droit ne doit intervenir que s’il est démontré une erreur manifeste et dominante.

[…]

[25]      Ainsi, pour se qualifier d’erreur manifeste et dominante, une erreur sur une question mixte de fait et de droit doit être évidente et avoir un effet dominant sur la décision; il doit s’agir d’une erreur qui «tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil», une erreur qui ne fait pas que « tirer sur les feuilles et les branches en laissant l’arbre debout», mais qui fait «tomber l’arbre tout entier».

[26]      Notons aussi que l’appel d’une décision du TAL n’est pas l’occasion d’une seconde chance d’une partie qui espère un meilleur résultat.

[27]      Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas de décider du fond de l’appel au stade de la permission, le Tribunal doit néanmoins examiner la demande prima facie et éviter des appels futiles, inutiles ou sans chance raisonnable de succès.

Il importe donc de comprendre que la démonstration d’une erreur de droit ou de fait n’est en principe pas suffisante pour atteindre le seuil de la permission d’appel, qui est un seuil élevé. La question de droit seule, en l’absence de l’un de ces critères (question nouvelle, sérieuse, controversée, etc.) ne permet pas d’obtenir une permission. Par ailleurs, ces critères couvrent des situations très variées. Par exemple, la «question sérieuse» englobe les décisions non motivées, ou insuffisamment motivées, et les violations aux règles de l’équité procédurale par le juge du TAL, mais aussi les questions portant sur l’interprétation d’une disposition de la loi et celles qui ont une conséquence importante pour les justiciables. Quant à la «question qui met en cause les intérêts supérieurs de la justice», elle regroupe des situations encore une fois très diverses: les décisions présentant une faiblesse apparente ou encore une erreur manifeste, déterminante ou grossière dans l’analyse des faits, celles présentant une application déficiente des règles de preuve et celles où le juge administratif n’a pas respecté les règles de justice naturelle. Elle vise également les cas où le TAL refuse d’exercer sa compétence ou motive insuffisamment sa décision. Par ailleurs, ces critères sont en principe non cumulatifs mais, dans certains cas, les juges peuvent considérer que la présence d’un seul de ces critères est insuffisante pour obtenir une permission. C’est le cas de la question nouvelle, notamment en l’absence d’une controverse devant le TAL. La jurisprudence est très dense sur la question de la permission et des critères qui l’entourent.

La permission d’appel vise donc essentiellement à écarter les demandes qui invitent le juge à réévaluer la preuve ou l’analyse effectuée par le décideur administratif du TAL. L’appel ne constitue pas un nouvel essai, une deuxième chance pour une partie déçue de la décision du TAL.

Enfin, il faut garder à l’esprit que les critères de la permission d’appel (la première étape) ne sont pas ceux de l’appel, une fois la permission obtenue (la deuxième étape). La norme d’intervention en appel de décisions du TAL n’est pas différente de celle s’appliquant à l’intervention générale des tribunaux en appel: cela exige la démonstration d’une erreur de droit, ou encore d’une erreur de fait ou mixte de fait et de droit, qui est manifeste et déterminante.

2. Le délai d’appel

Cette question a fait couler beaucoup d’encre. Deux courants jurisprudentiels se sont en effet constitués autour de cette question (Elias Paillon, «L’appel des décisions du Tribunal administratif du logement: un délai à géométrie variable», (2022) 63 C. de D. 865, p. 120). Selon le premier courant, le délai d’appel débute à compter de la date de la décision, et non de sa connaissance par la partie appelante (voir notamment Langelier c. Falcon Telecom Corporation et Grenon c. Cour du Québec). Cette interprétation repose sur le texte des articles 92 et 93 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement et sur l’historique de la loi, qui a été modifiée en 1997 pour faire du délai d’appel un délai de rigueur. Ce courant jurisprudentiel a pu mener à des conséquences troublantes: dans une décision de la Cour du Québec de 2010, le juge a conclu que les locataires étaient hors délai. En effet, la décision du TAL avait été envoyée par courrier ordinaire à leur ancienne adresse, et les locataires ont pris connaissance de la décision plus de 30 jours après que celle-ci eut été rendue (au moment où ils ont reçu le bref de saisie-exécution visant à les expulser). Ainsi, les locataires n’ont jamais eu l’occasion de porter la décision en appel puisqu’ils l’ont reçue trop tard. Cette interprétation est donc source d’injustices puisqu’elle a pour effet de priver des parties, totalement ou partiellement, de leur délai de 30 jours pour examiner une décision du TAL et considérer la possibilité de la porter en appel. D’ailleurs, ce délai varie grandement d’un dossier à l’autre. En effet, les décisions du TAL étant envoyées par courrier ordinaire plutôt que par courrier recommandé, le délai d’appel varie en fonction du traitement administratif par le TAL, du lieu de résidence des parties, des délais postaux, d’éventuelles situations de grève des employés de la poste ou du TAL, etc. Pour certaines parties, il pourrait être de 10 jours seulement, voire être expiré pour d’autres. Par ailleurs, la Loi sur le Tribunal administratif du logement ne prévoit pas la possibilité d’être relevé de l’omission de respecter le délai en cas d’impossibilité d’agir. Ainsi, un délai d’appel expiré ne peut être ressuscité.

Le deuxième courant jurisprudentiel considère quant à lui que la demande pour permission d’appeler d’une décision du TAL doit être notifiée à la partie adverse et produite au greffe de la Cour du Québec dans les 30 jours à compter de la connaissance de la décision par l’appelant (voir Hardy c. Dufour et 9210-3001 Québec inc. c. Datus). Il s’appuie sur une interprétation téléologique du délai d’appel de la loi, en reconnaissant l’importance de celui-ci ainsi que la nécessité que les parties aient le même délai pour analyser la décision du TAL et prendre une décision éclairée quant à sa contestation. Ce courant souligne ainsi l’importance du principe de l’égalité devant la loi.

Au cours des années 2010, ce courant jurisprudentiel a eu tendance à éclipser le premier, jusqu’à ce que l’interprétation restrictive du délai d’appel revienne au-devant de la scène par l’intermédiaire de 2 décisions de la Cour du Québec: Jian c. Mooncrest Investment, en 2019, et Caraballo c. 9376-7200 Québec inc., en 2021. Ce revirement jurisprudentiel a eu de lourdes conséquences puisque des locataires se sont vus privés de leur permission d’appel au motif qu’ils avaient présenté leur demande hors délai.

Cependant, le débat a été tranché (pour l’instant) dans une décision récente de la Cour supérieure rendue le 8 mars 2023. Dans celle-ci, le juge Roberge a écarté les arguments contextuels et textuels du premier courant et a estimé qu’établir un délai amputé de plusieurs jours (voire expiré dans certains cas) constitue une interprétation absurde ou injuste. Or, pour accepter une nouvelle interprétation d’une disposition à la suite d’une modification législative, il faut que l’intention du législateur à cet effet ait été clairement manifestée, ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne les articles 91 et ss. de la Loi sur le Tribunal administratif du logement. Ainsi, le délai d’appel débute bien à compter de la connaissance de la décision du TAL.

Il semble donc que le débat sur le délai d’appel des décisions du TAL ait été tranché définitivement en faveur d’une acception plus large et libérale tenant compte de l’importance de ce délai. Toutefois, la prudence et la diligence demeurent de mise pour les parties souhaitant contester des décisions du TAL.

 

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