En décembre 2022, le quotidien La Presse a révélé que des employés du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine avaient consulté plus d’un millier de dossiers médicaux sans motif valable, parfois par simple curiosité.

Puis, au printemps 2023, La Presse a publié un article dans lequel Véronique Cloutier, une personnalité médiatique, dévoilait que plusieurs employés d’un centre hospitalier avaient consulté son dossier médical alors qu’elle n’y avait pas été traitée depuis près d’une décennie

En plus d’être contraire à de nombreuses dispositions législatives, la consultation illicite de dossiers médicaux contrevient aux règles de confidentialité prévues aux codes d’éthique des établissements de santé et de services sociaux. Comme nous le verrons, de tels comportements peuvent mener à de graves conséquences pour la personne fautive, sur les plans tant disciplinaire que professionnel.

Le cadre législatif

Tel que mentionné, la consultation de dossiers médicaux sans justification va à l’encontre de diverses dispositions législatives relatives à la protection de la vie privée et des renseignements personnels.

L’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne stipule que «[t]oute personne a droit au respect de sa vie privée».

Plusieurs articles du Code civil du Québec sont également applicables:

  • Article 3: «Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.»
  • Article 35: «Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

    Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.»
  • Article 2088: «Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et honnêteté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail. […]» 

L’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux prévoit quant à lui que «[l]e dossier d’un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès, si ce n’est avec le consentement de l’usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom».

Applicable aux établissements de santé ou de services sociaux, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels régit notamment la collecte, l’utilisation, la communication et la conservation de renseignements personnels (chapitre III, section II (art. 18 à 41.3)).

Cas d’application – arbitrage de griefs

En dépit des lois applicables et des codes et règlements en vigueur au sein des établissements du réseau de la santé et des services sociaux, les affaires mentionnées en introduction démontrent que certains employés consultent malgré tout des dossiers médicaux sans avoir un motif valable pour ce faire. Comme nous le verrons dans les décisions suivantes, il s’agit d’une faute grave pouvant justifier la peine capitale en matière de droit du travail, à savoir le congédiement.

Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie

Dans cette affaire, l’employeur a déclenché une enquête après qu’une patiente se fut plainte qu’une confidence faite à la psychologue qu’elle consultait dans un CLSC eut été dévoilée sans son consentement. L’enquête a permis de découvrir que 2 salariées avaient consulté le dossier informatisé de la patiente, dont la plaignante, qui travaillait comme infirmière clinicienne. Comme la plaignante niait les faits, l’employeur a effectué une journalisation des dossiers consultés avec son identifiant numérique. Il a été découvert que, sur une période de 1 année, la plaignante avait consulté les dossiers de 174 patients dont elle n’avait pas la charge, dont d’autres employés du CLSC et leurs proches ainsi que des membres de sa famille et son conjoint. Il a également été découvert que la plaignante avait consulté les dossiers de «certaines personnalités connues dans la région en raison de leur carrière dans l’industrie du spectacle ou même pour les activités criminelles dont elles sont publiquement soupçonnées dans les médias locaux» (paragr. 53).

La consultation des dossiers était une faute grave en soi, mais la plaignante a commis une faute encore plus grave en dévoilant à une personne tierce l’information obtenue lorsqu’elle avait consulté le dossier de la patiente de la psychologue.

L’arbitre a conclu que le congédiement était une mesure justifiée étant donné la gravité des fautes commises et les dénégations de la plaignante. Le syndicat affirmait que le congédiement était déraisonnable puisqu’une collègue de la plaignante n’avait reçu qu’une suspension de 6 mois pour une faute similaire. Or, cette salariée avait reconnu ses fautes, contrairement à la plaignante, qui avait maintenu ses dénégations. Dans ces circonstances, l’arbitre a conclu que l’employeur pouvait imposer une sanction différente à la plaignante malgré la similarité des fautes.

Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière

Dans cette affaire, l’arbitre a confirmé le congédiement d’une agente administrative qui avait consulté illicitement et à de nombreuses reprises les dossiers d’usagers du CLSC où elle travaillait. Les rapports de journalisation obtenus par l’employeur ont démontré que la plaignante avait accédé à son propre dossier ainsi qu’aux dossiers de proches, de certains de ses collègues et de leurs conjoints.

Il a également été démontré que la plaignante avait révélé à une collègue des informations confidentielles inscrites au dossier de la salariée qu’elle remplaçait durant un congé de maladie. Le même jour, la plaignante avait également consulté les renseignements personnels d’une personne qui voulait poser sa candidature à un poste.

Compte tenu de la gravité des fautes commises et de l’existence de nombreux facteurs aggravants, dont la dénégation des faits par la plaignante et son absence de remords, l’arbitre a conclu que son dossier disciplinaire vierge était insuffisant pour qu’il intervienne à l’égard du congédiement imposé par l’employeur.

Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec

La plaignante, une travailleuse sociale, a été congédiée pour avoir consulté les dossiers médicaux d’usagers dont elle n’était pas responsable, et ce, à des fins personnelles. Membre de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, elle a admis avoir consulté des dossiers d’usagers pour appuyer une plainte déontologique qu’elle avait déposée contre un collègue, tout en prétendant qu’elle avait obtenu l’autorisation de l’Ordre pour ce faire.

La plaignante a également admis qu’elle avait consulté un dossier afin de retrouver le propriétaire d’un portefeuille perdu, de même que le dossier d’une usagère mineure dans le but d’obtenir le numéro de téléphone de sa mère pour régler un différend de nature personnelle.

Dans sa décision, l’arbitre mentionne que l’événement concernant le portefeuille «serait banal s’il ne témoignait pas d’une insouciance générale envers les dossiers des usagers qui sont utilisés littéralement comme un annuaire téléphonique. Lorsque la Plaignante cherche une adresse ou un numéro de téléphone, son premier réflexe est de consulter le dossier d’usager plutôt que d’utiliser d’autres moyens» (paragr. 101). Il précise ensuite que le fait de consulter des dossiers pour des motifs personnels ajoute à la gravité de la faute.

Ainsi, malgré le dossier disciplinaire vierge de la plaignante, ses regrets et l’admission des fautes commises, l’arbitre a conclu que le congédiement était fondé dans les circonstances.

Centre intégré de santé et de services sociaux de Lanaudière

Dans cette affaire, une agente administrative au service des archives d’un centre hospitalier a été congédiée pour avoir illicitement consulté les dossiers médicaux de ses parents à plusieurs reprises entre 2014 et 2021.

Placée devant les rapports de journalisation de la plateforme d’accès aux dossiers, la plaignante a tenté de blâmer des collègues avant de prétendre faussement que les employés s’échangeaient leurs informations d’accès malgré les règles de l’employeur à cet égard.

Lors de l’audience, la plaignante a admis qu’elle connaissait les règles de l’employeur relativement à la confidentialité ainsi que le processus pour obtenir l’accès aux dossiers de ses parents de façon légitime. L’arbitre a donc conclu que la plaignante avait consciemment violé le respect à la vie privée auquel ses parents avaient droit. Leurs liens familiaux et le fait que la plaignante avait obtenu l’autorisation d’accéder aux dossiers de ses parents à certaines occasions par le passé ont été considérés comme un facteur aggravant.

Pour l’arbitre, la faute était d’autant plus grave que la plaignante a divulgué des informations personnelles contenues au dossier de sa mère à une technicienne en travail social, et ce, dans le but d’aller à l’encontre d’une demande d’évaluation formulée par son frère.

Dans cette affaire, le syndicat a également contesté la raisonnabilité du congédiement en invoquant le fait qu’une collègue de la plaignante avait été suspendue seulement 5 jours pour avoir consulté des dossiers sans motif légitime. Or, il appert que cette collègue avait avoué sa faute et collaboré à l’enquête, alors que la plaignante a nié les faits et a dirigé l’enquête de l’employeur vers ses collègues. Compte tenu des circonstances, l’arbitre a conclu que le congédiement de la plaignante était justifié.

Cas d’application – Conseils de discipline d’ordres professionnels

Ordre des infirmières et infirmiers du Québec

Dans l’affaire Bourassa, une infirmière s’est vu imposer des périodes de radiation de 6 et 3 semaines pour avoir consulté à plusieurs reprises son propre Dossier santé Québec (DSQ), celui d’une ancienne voisine ainsi que celui de gens de son entourage.

Dans l’affaire Bouchard, une infirmière a plaidé coupable sous le chef d’infraction d’avoir «consulté à de nombreuses reprises, des renseignements confidentiels contenus aux dossiers médicaux de clients, notamment des proches de personnalités publiques, des collègues de travail, leurs enfants et des membres de sa famille, et ce, sans autorisation ni justification professionnelle» (paragr. 1). Elle s’est vu imposer une période de radiation de 2 mois.

Ordre des technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en électrophysiologie médicale du Québec

Dans l’affaire Leblond, un technologue en imagerie médicale s’est vu imposer une amende de 2 500 $ après avoir plaidé coupable sous un chef d’infraction, soit d’avoir consulté le DSQ de l’une de ses connaissances, et ce, sans le consentement de celle-ci ni justification de nature professionnelle.

Ordre des pharmaciens du Québec

Dans l’affaire Gagnon, une pharmacienne a plaidé coupable sous 3 chefs d’infraction d’avoir accédé au DSQ de 3 femmes qui travaillaient avec son conjoint, et ce, à des fins personnelles. Elle s’est vu imposer une période de radiation de 2 mois sous chacun des chefs d’infraction.

Dans l’affaire Poirier, une pharmacienne s’est vu imposer une période de radiation de 2 mois pour avoir consulté les renseignements personnels contenus au DSQ de 3 «compagnons amicaux ou romantiques potentiels, sans autorisation ou nécessité pharmaceutique» (paragr. 69). 

***

Alors que nous finalisions le présent billet, La Presse a publié un article révélant qu’un pharmacien s’était récemment vu imposer une période de radiation de 2 mois pour avoir consulté le DSQ d’une ancienne conjointe et de 2 personnes connues de cette dernière, et ce, sans motif de nature professionnelle.

Le Journal de Montréal a également dévoilé récemment qu’en décembre 2023 le conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec avait imposé une période de radiation de 4 mois à une infirmière auxiliaire qui avait reconnu sa culpabilité sous un chef d’infraction d’avoir consulté de nombreux dossiers médicaux au CHU Sainte-Justine, et ce, sans motif professionnel. La décision du conseil de discipline précise que l’intimée a effectué environ 7 306 consultations illicites dans 863 dossiers entre octobre 2017 et mars 2020, y compris dans son propre dossier, ceux de collègues ainsi que celui d’une personnalité publique et de son enfant. Outre la sanction imposée par son ordre professionnel, l’intimée s’est vu imposer des conséquences par le CHU Sainte-Justine.

Il va sans dire que des révélations de ce genre sont inquiétantes. En tant que citoyens, nous sommes en droit de s’attendre au respect de notre vie privée et des renseignements personnels que nous fournissons afin d’obtenir des soins et des services.

Il nous faut espérer que les moyens nécessaires pour prévenir de tels comportements soient mis en œuvre et que les employeurs du réseau de la santé et des services sociaux, de même que les ordres professionnels dans ce domaine, continuent de sévir contre les personnes fautives. 

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