Toute association syndicale détient le pouvoir exclusif de représenter l’ensemble des salariés de l’unité de négociation pour laquelle elle est accréditée. En contrepartie, un syndicat doit respecter son devoir de juste représentation, qui lui interdit 4 types de conduite: la mauvaise foi, le comportement arbitraire, la discrimination et la négligence grave.
Celui-ci n’est cependant pas astreint à une norme de perfection. En effet, le syndicat doit étudier tous les dossiers d’une façon sérieuse, mais il dispose d’un pouvoir discrétionnaire et n’a pas l’obligation de déposer un grief ou de le porter en arbitrage. Pour être jugé fautif, son comportement doit représenter plus que de l’incompétence ou des erreurs excusables, de sorte que le fardeau de preuve qui incombe au salarié est assez lourd.
En effectuant quelques recherches sur la plateforme Recherche Juridique de SOQUIJ, on observe que plus de la majorité des plaintes déposées à l’encontre d’un syndicat sont rejetées. Une décision récente (fin 2023) a toutefois retenu mon attention puisqu'elle énonce que le devoir de juste représentation du syndicat doit s’adapter au contexte de l’entreprise et de ceux qui y travaillent.
Bruny c. Union des employés et employées de service, section locale 800
Dans ce dossier, la salariée, qui travaille au sein d’une entreprise embauchant notamment des personnes ayant des limitations fonctionnelles comme des handicaps ou des enjeux de santé mentale, a contacté le syndicat pour se plaindre d’intimidation et de harcèlement.
L’un de ses collègues aurait dit le mot «psychologue» pour ridiculiser l'une de ses interventions tandis qu’un autre aurait crié «Jean Coutu». Elle comprend de ce dernier commentaire qu’il sous-entend qu’elle n’avait pas pris ses médicaments. Elle dénonce également au syndicat le comportement d’un autre collègue qui aurait placé délibérément devant elle des boîtes à l’envers, ce qu’elle a de la difficulté à percevoir en raison d’un handicap visuel.
Un conseiller syndical a alors visité l’entreprise et rencontré quelques travailleurs afin de valider les faits rapportés par la salariée Il a conclu que, si des mots avaient été prononcés, ils ne visaient pas cette dernière. Un grief avait été déposé pour protéger les droits de la salariée, mais le syndicat a affirmé qu'il n'avait pas l’intention de le déférer à l’arbitrage.
Malgré ces démarches, le Tribunal a conclu à un traitement superficiel et expéditif. À son avis, le syndicat n’avait pas cherché véritablement à comprendre les faits à l’origine des doléances de la salariée. L’enquête réalisée n’avait donné lieu à aucune note ni à aucun rapport.
[25] […] tout laisse croire que le syndicat a, dès le départ et avant même de compléter une enquête digne de ce nom, conclu que madame Bruny n’avait pas de droits à faire valoir. Il s’agit d’un comportement arbitraire incompatible avec son devoir de juste représentation. Certains pourraient même y voir, bien qu’il ne soit pas nécessaire de le déterminer, une approche discriminatoire fondée sur la race et les handicaps de madame Bruny. [Nos soulignements.]
Le Tribunal a également mentionné que l’approche du syndicat s’écartait considérablement des besoins de la clientèle particulière qu’il représente, notamment de ceux de la salariée. Certains salariés ont besoin d’un encadrement plus soutenu et d’explications plus détaillées que d’autres.
Le Tribunal a ajouté qu’on ne pouvait reprocher à la salariée de ne pas s’être conformée à son obligation de collaboration puisque le syndicat ne l’avait pas informée de ses attentes après sa demande d’aide. En effet, pour que cette obligation soit engagée, il faut que le syndicat partage avec son membre suffisamment d’informations pour que celui-ci soit en mesure de comprendre ce qu’on attend de lui.
La plainte de la salariée contre le syndicat a donc été accueillie. Le Tribunal n’a cependant pas ordonné que le grief soit déféré à l’arbitrage. En effet, il a considéré qu’il était plus approprié d’imposer au syndicat de reprendre l’enquête bâclée en confiant le dossier de la salariée à un autre conseiller syndical.
On peut comprendre de cette décision que les syndicats sont tenus à des normes plus élevées en matière de représentation de membres présentant des besoins particuliers. Ils ne peuvent se contenter de traiter le dossier de manière «habituelle», mais doivent prendre davantage l’initiative, se montrer plus attentif et fournir de plus grands efforts à leur égard. Une approche à retenir !
Excellent article et bonne conclusion de la jurisprudence!
Très bonne article je voit que tu fait toujours du bon travail
La grande majorité des employés n’ont pas les moyens de poursuivre leurs syndicats. Si c’était le cas, vous auriez une autre pandemie sur les bras. Un employé syndiqué est completement à la mercie de son representant, qui n’est pas tenu d’etre competent ou formé adéquatement dans son travail. Les dedales de recours quasi administratifs qui servent simplement à decourager les victimes sont de la decoration de la part de l’Etat. Les employés syndiqués ne sont pas protegés à meme titre que les autres, ce sont des victimes de deuxiemes classe: en particulier pour les cas de discrimination que les syndicats evitent ou se défilent à cause du peu d’indemnisation alloués aux victimes par les Tribunaux des Droits de la Personnes (voir les commentaires mediatiques de PSAC qui mentionnait vouloir une augmentation des pénalitées…).