Avec le temps qui passe, il n'est pas rare de constater que notre audition n'est plus ce qu'elle était. Augmentation du volume de nos appareils électroniques, interlocuteurs priés de répéter leurs propos, difficultés à suivre une conversation… tous ces indices peuvent dénoter une baisse de notre capacité auditive. Parfois, se pose également la question de la relation entre ces problèmes d'audition et notre environnement de travail.

La surdité d'origine professionnelle: le délai de réclamation

En vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le travailleur peut produire une réclamation à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) afin de faire reconnaître le caractère professionnel d'une surdité. Pour ce faire, il est important que le travailleur produise sa réclamation à l'intérieur d'un délai bien précis, soit dans les 6 mois suivant la date à laquelle il est porté à sa connaissance qu'il souffre d'une telle surdité. Or, il ressort de certaines décisions rendues par le Tribunal administratif du travail (TAT) que plusieurs travailleurs ne connaissent pas cette exigence. Ils doivent la plupart du temps se débrouiller seuls pour naviguer dans les méandres d'un système administratif dont ils peinent à comprendre les rouages. Pour illustrer la complexité de certains dossiers, j'ai choisi de vous relater l'histoire d'un travailleur qui a dû s'y prendre à 3 fois avant d'obtenir gain de cause. Il s'agit de l'affaire Barnes et Glencore Canada Corporation.

Les faits

Le travailleur est embauché chez l'employeur en 1966, à titre d'échantillonneur du minerai. En 1988 ou 1989, il commence à faire un lien entre son environnement de travail, lequel est très bruyant, et sa perte auditive. En 1989, il soumet une première réclamation à la CNESST. Cependant, les audiogrammes réalisés à cette période sont non concluants. La CNESST décide donc de fermer le dossier. En 2003, alors qu'il est retraité depuis peu, le travailleur présente une deuxième réclamation. Le même scénario se reproduit. Faute d'information médicale additionnelle, la CNESST ferme encore une fois le dossier. En 2022, le travailleur produit une troisième réclamation à la CNESST. Cette dernière rejette la réclamation pour 3 motifs distincts: 1) le travailleur aurait déjà reçu un «refus» lors d'une première réclamation; 2) il a cessé de travailler depuis plus de 20 ans et n'est plus exposé au bruit depuis ce temps; 3) l'information soumise ne permet pas de conclure qu'il a subi une lésion professionnelle. L'instance de révision de la CNESST confirme cette décision. Le travailleur conteste la décision devant le TAT.

Une réclamation tardive?

Dans un premier temps, le TAT se penche sur la question de la recevabilité de cette troisième réclamation. En effet, si le travailleur a produit 2 réclamations par le passé, sa connaissance d'un lien entre ses problèmes d'audition et son travail est établie depuis longtemps. Le TAT souligne également que le dossier pourrait faire appel à la notion de «chose jugée» car, si la CNESST a déjà décidé de la question d’une surdité professionnelle chez le travailleur, il serait très difficile pour lui de l’invoquer de nouveau en raison d’un refus déjà prononcé.

À propos de la première réclamation du travailleur, le TAT constate que ce dernier n'a jamais reçu de diagnostic de surdité valide de la part d'un professionnel de la santé. Malgré le lien que le travailleur faisait entre sa perte d'audition et son travail, aucun audiogramme de l'époque ne démontre un tel lien. Le TAT souligne également, et cet élément est crucial, que le travailleur n'a pas essuyé un refus de la CNESST pour cette première réclamation, mais qu'il y a plutôt eu fermeture administrative de son dossier en raison d'un manque de documents. Cette réclamation n'a donc jamais été traitée au fond. Le TAT en vient à la conclusion qu'elle ne peut faire obstacle à la production d'une nouvelle réclamation.

Quant à la deuxième réclamation, le TAT dresse le même constat. En 2003, le travailleur n'a toujours pas reçu de diagnostic visant une surdité d’ordre professionnel. La réclamation demeure donc incomplète et, faute de documents suffisants, la CNESST ferme de nouveau le dossier administrativement. Il n'y a donc toujours pas de décision de refus de la part de la CNESST. Comme le mentionne le TAT dans sa décision: «Il ne s'agit pas d’une fin de non-recevoir juridique, mais bien d’une fin de non-recevoir factuelle et/ou matérielle» (paragr. 47). Par ailleurs, le TAT ajoute ce qui suit:

«[49]        S’il devait produire une réclamation dans les six mois de sa connaissance de la genèse d’une lésion professionnelle, encore faut-il que cette connaissance soit complète et qu’elle possède tous les éléments, sinon tout le potentiel nécessaire à sa démonstration. Tant qu’il manque des éléments importants au tableau et que ces éléments ne peuvent véritablement se réaliser, il est difficile d’imputer la rigueur d’un délai comme celui de l’article 272 au travailleur.

[50]          Pour ces motifs, le Tribunal estime que les réclamations du travailleur pour des problèmes de surdité, tant en 1989, qu’en 2003, ne font pas obstacle à la production de la nouvelle réclamation produite en juin 2022, si cette dernière, bien sûr, respecte les exigences de l’article 272 de la Loi.» [Nos soulignements.]

Quant à cette nouvelle réclamation, la troisième, celle-ci sera la bonne. Le travailleur a alors en sa possession, et ce, pour la première fois, un diagnostic de surdité neurosensorielle bilatérale accompagné de 2 audiogrammes qui dénotent une baisse d’audition caractéristique d’une surdité causée par le bruit, surtout à l’oreille droite. Puisque les démarches du travailleur ont été effectuées à l'intérieur d'un délai de 6 mois, le TAT déclare sa réclamation, maintenant complète, recevable.

Enfin, dans le second volet de sa décision, le TAT reconnaîtra l'origine professionnelle de la surdité dont souffre le travailleur, comme quoi il faut parfois faire preuve de persévérance!