Quelques décisions récentes mettent en lumière le risque réel que courent les contribuables impliqués dans de longues procédures judiciaires contre les autorités fiscales de voir ces dernières invoquer l’abus de procédure au sens de l’article 51 du Code de procédure civile à un stade ou un autre du litige. Alors que ce moyen est également invoqué par les contribuables, une revue sommaire de la jurisprudence à ce sujet démontre que ces derniers n’ont pas souvent gain de cause en la matière.

Cas où l’abus de procédure a été invoqué par les autorités fiscales

Situations de désistement

En principe, rien n’empêche une partie qui estime avoir entrepris le mauvais recours de s’en désister et d’en entreprendre un nouveau. Cependant, l’ensemble du contexte doit être examiné.

Dans BT Céramiques inc. c. Agence du revenu du Canada, le procureur général du Canada, l’Agence du revenu du Canada (ARC) et l’Agence du revenu du Québec (ARQ) faisaient face à une poursuite judiciaire de 40 millions de dollars intentée par les demandeurs à la suite de leur acquittement lié à des accusation pénales et criminelles de nature fiscale portées contre eux. Il s’agissait d’une deuxième poursuite entre les mêmes parties et pour les mêmes motifs, les demandeurs s’étant désistés d’une première poursuite en 2016. Dans sa décision, la Cour supérieure estime que, en se désistant d’un premier recours pour en instituer un similaire près de 3 ans plus tard, et ce, dans le but de se soustraire aux délais qui leur avaient été imposés à titre de mesure de gestion dans la première instance, les demandeurs ont contrevenu au contrat judiciaire et aux exigences de la bonne foi dans la conduite du litige, ce qui constitue un abus de procédure.

Une situation similaire s’est présentée dans Deschênes c. Agence du revenu du Canada. En 2015, les demandeurs ont déposé une demande introductive d’instance visant à faire condamner l’ARC pour des dommages s’élevant à plus de 12 millions de dollars, invoquant le comportement fautif d’un agent de l’ARC au cours d’une vérification fiscale. Au terme de plusieurs procédures, les demandeurs se sont finalement désistés de leur demande en dommages-intérêts au deuxième jour d’audience du procès, qui était prévu de 25 jours. Ils ont été reconnus coupables d’abus de procédure en raison de leur comportement téméraire au cours des procédures judiciaires et condamnés à payer solidairement une somme de 5 000 $ au Receveur général du Canada, en plus des frais de justice.

Faits déjà prouvés devant d’autres instances

Les contribuables devraient y penser à 2 fois avant de faire valoir dans leurs contestations fiscales des faits contraires à ceux ayant déjà été prouvés devant d’autres instances, ou encore dans le cadre d’infractions pénales ou criminelles pour lesquelles ils ont été reconnus coupables.

Dans Fedele c. Agence du revenu du Québec, le demandeur avait déposé 2 demandes introductives d’instance afin de faire annuler des cotisations délivrées par l’ARQ. Le demandeur avait par ailleurs été reconnu coupable d’être au cœur d’un important stratagème de fraude et de factures de complaisance de plus de 15 millions de dollars. Or, celui-ci remettait en cause les faits ayant donné lieu à sa condamnation criminelle dans les allégations présentées au soutien de ses contestations. Ce faisant, la Cour du Québec a estimé que le fait de remettre en cause dans une instance une question qui avait déjà été tranchée devant une autre instance, de manière définitive et suivant un fardeau de preuve d’autant plus contraignant, constituait un abus de procédure. 

Dans Estrela c. Agence du revenu du Québec, la demande de contestation des cotisations fiscales déposée par le contribuable en décembre 2012 est restée inactive pendant près de 9 ans auprès de la Cour, avant d’être réactivée à l’initiative de l’ARQ. Cette dernière souligne également que les faits ayant donné lieu à des constats d’infractions en matière de fausses factures de complaisance pour lesquelles le contribuable a été reconnu coupable sont les mêmes que ceux soutenant les cotisations fiscales pour lesquelles il cherche à interjeter appel. La Cour conclut donc à l’abus de procédure et condamne le contribuable au paiement des frais de justice.

Enfin, dans Clément c. Agence du revenu du Québec, l’ARQ a adopté la même position dans le litige l’opposant au contribuable devant la Cour du Québec que celle de l’ARC avait défendue avec succès devant la Cour canadienne de l’impôt et qui avait été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Cependant, le contribuable a présenté une nouvelle théorie de la cause dans son litige avec l’ARQ, ce qui distinguait selon lui la question à trancher par la Cour du Québec. La Cour a rejeté cette nouvelle position et a jugé son approche incompatible avec l’intérêt de la justice puisqu'elle donnait lieu à de l’abus de droit procédural. Le droit d’un contribuable de contester des cotisations fiscales devant 2 instances différentes est certes reconnu, considérant que les lois appliquées sont propres à chaque juridiction, mais n’est pas absolu lorsque celles-ci sont quasi identiques et mettent en jeu les mêmes questions.

Cas où l’abus de procédure a été invoqué par les contribuables

Il n’est pas aisé pour les contribuables de satisfaire au fardeau de preuve requis afin de faire déclarer abusive une procédure entreprise par les autorités fiscales. Par exemple, la présomption de validité des cotisations fiscales complique la tâche du contribuable qui voudrait prouver une forme d’abus au cours du processus judiciaire qui commence avec la délivrance de cet avis. De plus, une décision judiciaire menant à la réduction ou à l’annulation des avis de cotisation ne signifie pas pour autant que les autorités fiscales ont commis un abus de procédure en poursuivant la contestation judiciaire.

Un exemple de victoire…

Dans Ressources Eastmain inc. c. Agence du revenu du Québec, le contribuable a fait valoir avec succès que le dépôt de moyens de non-recevabilité par l’ARQ le matin même du début de l’instruction, alors que l’appel des cotisations fiscales avait débuté près de 4 ans plus tôt, constituait une utilisation abusive de la procédure. L’ARQ a été condamnée à payer les honoraires professionnels engagés par le contribuable en lien avec la contestation de ces moyens.

…mais plusieurs revers

Les allégations d’abus de procédure par les contribuables à l’encontre de l’ARQ ont été rejetées dans chacune des décisions suivantes: