J'ai aujourd'hui choisi de traiter d'une décision dont les faits sont plutôt percutants. La réclamation de la travailleuse a été refusée par la CNESST ainsi que par son instance de révision. La décision du Tribunal administratif du travail ne permet pas de comprendre les motifs au soutien de ce refus. Toutefois, ce dernier a souligné que la travailleuse avait vécu un véritable cauchemar et qu'il n'avait aucune difficulté à conclure que les événements, une fois accumulés, correspondaient à un événement imprévu et soudain, lesquels ont entraîné les lésions psychologiques diagnostiquées chez la travailleuse.

Les faits

La travailleuse occupait un poste d'infirmière auxiliaire dans un centre de soins prolongés. Le 29 mai 2019, alors qu'elle travaillait sur le quart du soir, elle s'est occupée d'une bénéficiaire difficile. Quand la travailleuse a avisé la bénéficiaire qu'il ne restait plus de ses biscuits préférés, celle-ci a lancé son jus par terre et lui a dit qu'elle allait le lui faire payer.

Au retour de sa pause, la travailleuse a appris que la bénéficiaire avait une bosse sur le front et qu'elle l'accusait de l'avoir blessée. Au petit matin, elle a aperçu la bénéficiaire, qui a réitéré à tous, en criant, que c'était elle qui lui avait infligé ses blessures et qu'elle allait le lui faire payer. Le même matin, la bénéficiaire a répété ses menaces et a tenté de foncer sur la travailleuse avec son fauteuil roulant.

Le lendemain, l'employeur a suspendu la travailleuse avec solde à des fins d'enquête. Cette dernière a été suspendue pendant plusieurs mois.

À l'été 2019, la travailleuse a été mise en arrestation pour voies de fait. Au poste de police, on a pris sa photo et ses empreintes digitales. On lui a longuement parlé au sujet de la violence faite aux personnes âgées.

En février 2020, des journalistes de l'émission JE se sont présentés au domicile de la travailleuse, caméra en main. L'émission a par la suite été diffusée à la télévision. Même si le visage de la travailleuse était flouté, l'apparence de l'entrée de la maison et un aperçu de sa rue permettait de facilement l'identifier. La travailleuse a reçu des menaces par l'entremise des réseaux sociaux.

En août 2020, la travailleuse a été réintégrée au travail dans un autre établissement de l'employeur. Des employés la reconnaissaient et la pointaient du doigt en disant «c'est elle». Elle s'est sentie isolée et ostracisée.

En décembre 2020, les accusations criminelles portées contre la travailleuse ont été abandonnées: la même bénéficiaire avait reproduit le même manège avec une autre employée.

En juillet 2021, un diagnostic de nature psychologique a été posé chez la travailleuse et un arrêt de travail a été prescrit.

La décision

Dans un premier temps, le Tribunal a rejeté l'argument de l'employeur selon lequel la réclamation avait été déposée hors délai, alléguant que l'élément déclencheur était précis et facile à fixer dans le temps. Le Tribunal a plutôt retenu que la travailleuse avait vécu une série d'événements étalés sur plus de 1 an et que c'était cette accumulation qui avait mené à la consultation médicale de juillet 2021, soit le moment où un arrêt de travail a été prescrit. 

Quant au fond, le Tribunal a qualifié les événements relatés par la travailleuse de plus objectivement traumatisant les uns que les autres. Il a précisé que le fait qu'ils se soient succédé n'a fait qu'aggraver leur caractère traumatisant. Pour le Tribunal, il ne faisait aucun doute que les événements s'écartaient du contexte normal du travail: «le fait de se faire accuser d'une infraction criminelle, accusation qui a causé tous les événements successifs vécus par la travailleuse, le tout partant d'un mensonge, ne fait pas partie de ce à quoi on peut s'attendre dans un milieu de travail» (paragr. 61). Finalement, la preuve démontrait clairement une relation entre la lésion psychologique et les événements.

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