Le 28 avril 2022, dans un jugement dont les détails ont été abordés dans un billet précédent, la Cour supérieure a condamné un père au paiement de dommages-intérêts dans un dossier où il était question d’aliénation parentale. Le 11 juin dernier, la Cour d’appel est venue préciser la nature et les limites du recours en responsabilité civile introduit dans de telles circonstances.
Retour sur les faits
Les parties ont fait vie commune et elles ont un fils qui est âgé de 22 ans. À compter de 2013, soit l'année avant que l'enfant ne commence son secondaire, la relation entre ce dernier et sa mère se dégrade et, en 2016, il y a une rupture définitive du lien entre eux. C’est dans ce contexte que la mère introduit une demande en réclamation de dommages-intérêts contre le père.
La juge de première instance conclut à la présence d’aliénation parentale, qu’elle qualifie de faute civile. Elle retient que le père a failli à son devoir d’exercer conjointement son autorité parentale avec la mère en l’ignorant systématiquement et en exerçant l’autorité parentale de manière unilatérale. Elle note toutefois que le comportement rigide et les mesures disciplinaires de la mère ont pu contribuer à la situation. Elle accorde 30 000 $ à la mère.
La position du père
Le père fait essentiellement valoir que le droit civil québécois ne reconnaît pas de recours en responsabilité civile pour des gestes accomplis dans le cadre de l’exercice de l’autorité parentale. Subsidiairement, il reproche à la juge d’avoir commis une erreur dans la détermination de la norme de contrôle applicable permettant d’établir la faute, puis dans son appréciation de la preuve.
La décision
L’existence en droit québécois d’un recours en responsabilité civile en matière d’exercice de l’autorité parentale
D’entrée de jeu, la position du père voulant que le principe établi en 1987 dans Frame c. Smith[HD1] s’applique en droit québécois est rejetée. Cet arrêt, qui établit l’absence de fondement juridique qui permettrait un recours en dommages-intérêts pour des fautes parentales, tire son fondement du droit de «torts» propre au système de la common law. Or, en droit civil, l’action en responsabilité pour l’indemnisation d’un préjudice causé à autrui par une faute existe, sauf si le législateur l’a écartée ou modulée en prévoyant une immunité relative ou absolue ou en créant un autre recours.
La Cour établit ensuite que le législateur québécois n’a pas écarté un tel recours. Ainsi, elle ne retient pas l’argument du père selon lequel le droit de la famille québécois a été conçu comme un droit complet en lui-même et contenant ses propres sanctions. S’il est vrai que le législateur a prévu certains recours visant à sanctionner la violation de règles propres au droit de la famille, l’inexistence de recours en matière d’exercice de l’autorité parentale amène à conclure que la réparation d’un préjudice de ce genre ne pourrait procéder que par l’application de l’article 1457 du Code civil du Québec (C.C.Q.).
Le père invoque aussi d’autres arguments pour s’opposer à la reconnaissance d’un recours en responsabilité civile dans le cadre de l’exercice de l’autorité parentale, dont le fait qu’un tel recours ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant. À cet égard, bien qu’il soit permis de penser que le droit ne doit pas tant chercher à compenser le préjudice subi en raison d’une dynamique familiale dégradée que de chercher à réparer, dans la mesure du possible, cette dynamique et de réussir à réinstaller, dans l’intérêt de l’enfant, une coparentalité efficiente, il reste qu’une intervention du législateur est nécessaire pour écarter juridiquement un tel recours dans l’économie du droit civil québécois.
Les conditions du recours: la norme de conduite applicable à la détermination de la faute
La Cour indique tout d’abord que, aux fins de déterminer le seuil constitutif de faute, il est plus facile de définir le standard de comportement par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est. Ainsi, elle écarte la seule violation de l'article 600 C.C.Q., c'est-à-dire l'exercice «unilatéral» de l'autorité parentale ou le refus de participer à une coparentalité efficiente. Elle met aussi de côté la norme qui exigerait du parent un devoir d'agir activement à l'amélioration de la relation entre l'enfant et l'autre parent.
Elle refuse ensuite de faire reposer la faute sur la notion d’«aliénation parentale», étant d’avis qu’il serait inopportun de remplacer la notion de «faute» ou de soumettre l’existence de celle-ci à un autre concept dont les contours ne sont pas plus précis, d’autant plus en l’absence au dossier d'une preuve scientifique, sociale et historique sur cette notion, les limites de celle-ci ou son bien-fondé. Il serait préférable de cerner ce que pourrait être la faute dans le contexte de l'exercice de l'autorité parentale.
Ainsi, le seuil de l’acte fautif dans une situation où un parent prétend que l’autre a causé la rupture de toute relation avec l’enfant serait très élevé. Cette faute caractérisée se manifesterait par des gestes et des propos généralement nombreux et systématiques, s'inscrivant dans la durée et desquels on pourrait constater l'existence d'une stratégie visant, sans motif justifié, à modifier la perception que l'enfant a de l'autre parent, entraînant ainsi, sur une base a priori permanente, une rupture de toute relation. La rupture découlerait entièrement du parent dit «aliénant».
Par ailleurs, la causalité entre les comportements du parent et la décision de l'enfant de rompre toute relation avec l'autre parent ferait partie intégrante de la faute. Enfin, le préjudice subi par l'autre parent et donnant droit à une indemnisation, généralement modique, ne pourrait porter atteinte à l'intérêt de l'enfant.
L’application de la norme de comportement au dossier
La Cour retient que la preuve n'établit pas une situation où les agissements du père sont à la source de la rupture de la relation, mais plutôt une dynamique familiale bien plus complexe. Il est ici question d’un «éloignement réaliste», c’est-à-dire d’une dégradation progressive des liens en réaction aux comportements ou aux méthodes plus rigides de la mère. Pour sa part, le père n'a pas envenimé la situation, ses gestes et ses propos ayant plutôt eu pour objectif de rétablir le lien rompu. Enfin, la Cour note que le père aurait été condamné au paiement d’une somme bien moindre que celle accordée par la juge si sa responsabilité civile avait été retenue.
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
Consultez un avocat ou un notaire pour obtenir des réponses appropriées à votre situation : visitez la Boussole juridique pour trouver des ressources gratuites ou à faible coût.