En 2019, l'une de mes collègues a fait état dans un billet de blogue de quelques décisions dans lesquelles des personnes morales avaient été victimes de propos diffamatoires ayant entaché leur réputation afin d'illustrer les conséquences financières pour les auteurs de ces propos.

De façon similaire, dans le présent billet, il sera question d'un récent jugement de la Cour supérieure illustrant les fâcheuses conséquences pour 2 personnes ayant publié des commentaires négatifs sur le profil Google d'une clinique d'acupuncture alors qu'ils n'avaient jamais été patients chez celle-ci. En effet, en raison de l'animosité qu'ils ressentaient envers la demanderesse, propriétaire de la clinique, ce n'était que dans l'intention de lui nuire qu'ils lui ont laissé des avis négatifs.

Les faits

Vers la fin de l'année 2014, la demanderesse a fait la connaissance de son mentor, qui l’a acceptée comme élève dès le début de l'année suivante afin de lui enseigner un type d'acupuncture appelé «Yi King». C’est à cette même époque qu’une liaison amoureuse a débuté entre eux.

Lorsque la famille du mentor a découvert son infidélité, la défenderesse, fille de ce dernier, aurait menacé la demanderesse afin qu'elle enlève de son site Internet l’expression «Yi King», à défaut de quoi elle dévoilerait à tout le monde qu’elle était la maîtresse de son père. Peu après, des avis négatifs ont commencé à apparaître sur le profil Google de la clinique d’acupuncture de la demanderesse, dont ceux des 2 défendeurs, qui ont des liens avec la famille du mentor. Pendant les semaines qui ont suivi, d’autres avis négatifs se sont ajoutés au profil de la clinique, alors que les avis antérieurs étaient tous positifs.

La défenderesse n’a publié aucun avis ou commentaire sur le profil de la clinique, mais la demanderesse a soutenu que c’est elle qui aurait orchestré l’ensemble de l’œuvre des faux avis et commentaires. Ainsi, c’est dans ce contexte que la demanderesse a introduit des procédures afin de faire supprimer ces avis négatifs sur le profil Google de sa clinique et d’obtenir des dommages compensatoires et punitifs.  

La décision

La nature diffamatoire des avis et commentaires négatifs

La Cour a jugé que les faux avis et commentaires laissés sur la page de la clinique étaient objectivement diffamatoires. En effet, la preuve présentée a permis d’établir leur caractère fautif.

Aucune des personnes ayant publié un avis ou commentaire négatif n’était une patiente de la demanderesse. Or, une personne raisonnable s’abstient généralement de publier un avis ou un commentaire défavorable à l’égard d’une entreprise ou d'un professionnel si elle ne possède aucun fondement factuel pour le faire.

Les défendeurs n’avaient aucun fondement factuel pour exprimer un mécontentement ou commenter négativement la qualité des services professionnels de la demanderesse. La seule raison possible est qu’ils étaient animés par une intention de nuire en raison d’une animosité envers elle. Cependant, que cette animosité soit justifiée ou non, en publiant de faux avis et commentaires concernant la clinique de la demanderesse, alors qu’ils n’étaient pas des patients de celle-ci, ils se sont écartés de la norme de conduite de la personne raisonnable et, par conséquent, ils ont commis une faute civile.

L’absence de preuve suffisante pour démontrer la faute de la défenderesse

Quant à la défenderesse, elle a nié toute implication dans les faux avis et commentaires négatifs et a soutenu qu’aucune preuve directe ne la liait à ceux-ci. Or, la demanderesse était d’avis qu’elle avait satisfait à son fardeau de preuve au moyen d’une présomption de faits, c’est-à-dire par une preuve indirecte.

Le juge a conclu que les faits ne permettaient pas de conclure, par une induction puissante, à l’existence de l’orchestration des faux avis et commentaires par la défenderesse. En fait, plusieurs faits prouvés ont permis d’inférer que c’était plutôt le frère de la défenderesse qui aurait orchestré les faux avis. La responsabilité de la demanderesse n’a donc pas été retenue, car la preuve n’a pas permis d’établir une présomption de faits contre celle-ci et ainsi de conclure à l’existence d’une faute commise par elle.

L’attribution de dommages compensatoires et punitifs

Puisque les défendeurs ont commis une faute en participant à la publication des faux avis et commentaires sur le profil Google de la clinique de la demanderesse, ils ont dû l’indemniser pour le préjudice causé par leur faute. À ce titre, la demanderesse a réclamé le remboursement de frais engagés pour recevoir divers soins ainsi que les honoraires extrajudiciaires déboursés afin d'obtenir la suppression des faux avis et commentaires.

Pour ce qui est des sommes réclamées pour les divers soins, le tribunal ne les lui a pas accordées, car la preuve présentée n’avait pas établi l’existence d’une véritable atteinte à l’intégrité psychologique causée par les faux avis et commentaires, mais aussi parce que la nécessité des divers soins pour traiter un tel préjudice psychologique n’avait pas été démontrée.

Quant aux honoraires extrajudiciaires, ils lui ont été accordés, de façon exceptionnelle. Ces honoraires ont été engagés par la demanderesse en lien avec les démarches entreprises par ses procureurs afin de faire supprimer les faux avis et commentaires sur la plateforme Google. La demanderesse devait agir rapidement pour éviter que ces faux avis ne nuisent à l’achalandage vers son site Web et, éventuellement, à ses revenus. Ainsi, les honoraires d’avocats engagés à ce titre par la demanderesse étaient nécessaires pour limiter les dommages causés par la publication des faux avis et commentaires et pour éviter que ceux-ci n'entraînent des conséquences plus graves et à long terme pour son entreprise. Le tribunal a déterminé qu’il s’agissait d’un dommage direct ayant un lien de causalité adéquat avec la publication fautive des faux avis et commentaires.

Finalement, une indemnité modérée a été accordée à la demanderesse pour le préjudice moral qu’elle a subi en raison de l’atteinte à sa dignité et à sa réputation, et ce, en tenant compte notamment de la portée et de la durée de la diffusion des avis et commentaires négatifs, de la gravité intrinsèque des gestes des défendeurs et des conséquences de ces publications.

De plus, puisque les défendeurs avaient une intention de nuire à la réputation et en raison du caractère illicite et intentionnel de cette atteinte au droit à la réputation, le tribunal a accordé à la demanderesse une indemnité à titre de dommages punitifs.

Ainsi, les défendeurs ont été condamnés à verser à la demanderesse une somme totale de 26 122 $, soit:

  • 17 176 $ à titre de dommages compensatoires (dont 5 000 $ pour le préjudice moral),
  • 6 446 $ pour les frais d'expert, et
  • 2 500 $ à titre de dommages punitifs.

En conclusion, il vaut mieux y réfléchir longuement avant de se cacher derrière un écran pour s'en prendre à la réputation de quelqu’un par simple malveillance, car un tel geste pourrait vous coûter très cher... en dommages-intérêts.