Le Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais a récemment été condamné à verser des dommages moraux et punitifs en lien avec le délai d'entrée en fonction d'un infirmier technicien dans un poste respectant ses limitations fonctionnelles et l'abolition fictive et discriminatoire de son poste dans une clinique médicale.

Un délai d'entrée en poste discriminatoire

Le plaignant était infirmier technicien au département d'endoscopie de l'Hôpital de Gatineau. Il a dû s'absenter du travail en raison d'un diagnostic de tendinopathie. Le 11 juillet 2016, son médecin a déclaré qu'il était apte à retourner au travail et a informé l'employeur de ses limitations fonctionnelles. Le 20 décembre suivant, le médecin expert mandaté par l'employeur a transmis un rapport énonçant également des limitations fonctionnelles.

Malgré ces rapports, le plaignant a continué d'effectuer des tâches qui ne respectaient pas ses limitations et qui aggravaient ses douleurs, dont la mobilisation de patients. En octobre 2017, il a pris les choses en main. Grâce à son ancienneté, il a obtenu un poste d'infirmier dans une clinique médicale qui avait conclu une entente avec l'employeur pour obtenir du soutien au niveau du personnel.

Avant de transférer le plaignant, l'employeur a demandé une nouvelle expertise médicale ainsi que des évaluations ergonomiques de son poste à l'endoscopie et du poste à la clinique. Ce n'est qu'à l'hiver 2018 que l'employeur a informé le plaignant qu'il entrerait en poste à la clinique le 5 mars 2018, soit après ses vacances de 1 mois à l'étranger.

Le syndicat a déposé un grief alléguant que l'employeur avait agi de manière discriminatoire en retardant pendant plus de 4 mois le transfert du plaignant à la clinique. L'arbitre a donné raison au syndicat. Elle a conclu que l'employeur avait contrevenu à son devoir d'accommodement envers le plaignant en le gardant dans son poste à l'endoscopie, qui ne respectait pas ses limitations fonctionnelles, et en retardant son transfertà la clinique.

L'employeur a tenté de se défendre en faisant valoir que la convention collective lui accordait un délai de 6 mois pour l'entrée en poste du plaignant à la clinique. L'arbitre n'a pas retenu cet argument. Après avoir souligné que le devoir d'accommodement découlant de la Charte des droits et libertés de la personne est d'ordre public et a donc «préséance sur les dispositions de la convention collective» (paragr. 57), l'arbitre a précisé que la clause invoquée par l'employeur ne lui permettait pas de maintenir le plaignant dans un poste ne respectant pas ses limitations fonctionnelles.

Maintenu en poste… au détriment de sa santé

L'arbitre est allée plus loin en expliquant que, «à la lumière du manque de personnel observé à l'Endoscopie et du fait que la patronne [du plaignant] lui mentionnait souvent qu'elle ne pouvait se passer de ses services, il appert que l'[e]mployeur a cherché à maintenir [le plaignant] le plus longtemps possible à l'Endoscope afin de combler ses besoins opérationnels. Cela ne devait pas se faire au détriment de sa santé» (paragr. 63; nos soulignements).

L'arbitre a accordé 4 000 $ au plaignant afin de compenser le préjudice moral qu'il avait subi en raison du traitement discriminatoire de la part de l'employeur.

Le plaignant s'est également vu accorder 4 000 $ à titre de dommages exemplaires ou punitifs. En effet, l'arbitre a conclu que «l'[e]mployeur a[vait] agi en toute connaissance des conséquences extrêmement probables du maintien [du plaignant] dans des fonctions non conformes à ses limitations fonctionnelles, soit l'aggravation de ses douleurs, voire de sa condition, et les conséquences morales qui en découlent» (paragr. 68).

Le plaignant n'était cependant pas au bout de ses peines.

Une abolition de poste fictive

Le 5 février 2018, le plaignant est parti pour 1 mois de vacances en Afrique du Sud. Ce jour-là, l'employeur a informé le syndicat que le poste du plaignant à la clinique était aboli. Veillant aux intérêts du plaignant, le syndicat a déposé un grief afin de contester cette décision. 

L'employeur a affirmé au syndicat qu'il était lié par la décision de la médecin responsable de la clinique qui avait décidé de mettre fin à leur entente. Or, peu de temps après la supposée abolition de poste, la médecin a annoncé sur Facebook que la clinique était à la recherche d'une infirmière. Le 30 mars 2018, elle a annoncé l'embauche d'une infirmière sur cette même page Facebook.

L'arbitre n'a pas retenu l'argument de l'employeur selon lequel il n'était pas responsable de la décision d'abolir le poste du plaignant. D'une part, contrairement aux prétentions de l'employeur, la clinique n'a pas résilié leur entente en février 2018 puisqu'il a été démontré qu'aucun préavis de résiliation n'avait été transmis et que l'entente avait été renouvelée en juin 2018. D'autre part, en vertu de l'entente, la clinique agissait en tant que représentante de l'employeur en exerçant une autorité fonctionnelle sur les salariés qui lui étaient assignés. Pour l'arbitre, l'employeur était «garant des agissements de ses "représentants", y compris la Clinique Médigo, aux fins de l'application de la protection de ses employés contre la discrimination» (paragr. 87; nos soulignements) prévue à la convention collective.

Prenant appui sur le témoignage du plaignant et les publications Facebook de la médecin responsable de la clinique, l'arbitre a conclu que l'abolition de poste était fictive et que, à l'exception de l'état physique du plaignant, il n'y avait pas de preuve d'un autre motif permettant de justifier cette abolition. L'arbitre a précisé que le plaignant «a[vait] été perçu par [la médecin responsable] comme incapable d'exécuter normalement son travail à la Clinique Médigo, bien que le poste ne [mettait] pas en jeu ses limitations fonctionnelles, ce qui a mené à l'abolition fictive de son poste» (paragr. 100).

Dissimulation du véritable motif de l'abolition de poste

L'arbitre a tiré une inférence négative du fait que l'employeur n'ait pas demandé à la médecin responsable de la clinique de témoigner pour expliquer les raisons de sa décision. Vu l'absence de preuve que l'abolition du poste du plaignant reposait sur un motif autre que son handicap, l'arbitre a maintenu sa conclusion quant à la discrimination et a accueilli le grief.

Au chapitre des dommages, l'arbitre a considéré que, en «camouflant le réel motif de l'abolition de poste, [l'employeur] a activement contribué aux dommages moraux prévisibles causés [au plaignant]. Le fait qu'il lui [ait] rapidement trouvé un autre poste ne change rien à la gravité de l'acte commis» (paragr. 107). L'arbitre a donc accordé 3 000 $ au plaignant pour compenser le préjudice moral subi ainsi que 5 000 $ en dommages punitifs ou exemplaires.

La clinique médicale - et par conséquent l'employeur - récidive en 2021

En mai 2021, une autre infirmière technicienne présentant des limitations fonctionnelles a été informée de l'abolition du poste qu'elle avait obtenu à la clinique au moyen d'une entente d'accommodement. Lorsqu'elle lui a annoncé l'abolition de son poste, la supérieure de la plaignante lui a dit que la médecin responsable de la clinique «était mécontente du fait que le Bureau de santé [de l'employeur] [avait] réservé le poste pour un accommodement et demandait d'éviter que cela se reproduise à l'avenir» (paragr. 140; nos soulignements).

Comme dans le cas du plaignant, l'arbitre a tiré une inférence négative du fait que la médecin responsable ne soit pas venue expliquer sa décision. Elle a de nouveau rejeté l'argument de l'employeur selon lequel il n'avait rien à voir avec la décision d'abolir le poste de la plaignante. L'arbitre a conclu que cette décision avait «été motivée au moins en partie par [les] limitations fonctionnelles [de la plaignante], et donc par son handicap, affectant ainsi son droit à l'emploi en plein égalité» (paragr. 148; nos soulignements).

Comme pour le plaignant, le fait que la plaignante ait rapidement obtenu un autre poste chez l'employeur n'a rien changé au constat de l'arbitre.  

La plaignante a obtenu 3 000 $ pour compenser le préjudice moral subi en raison de l'abolition de son poste à la clinique. L'arbitre lui a également accordé 2 000 $ en dommages exemplaires ou punitifs étant donné que l'employeur «n'a[vait] fait la preuve d'aucune démarche ou action auprès de la Clinique Médigo pour éviter ou corriger la décision discriminatoire et les conséquences qui en [ont découlé]» (paragr. 153).

Conclusion

Les sommes accordées aux plaignants à titre de dommages moraux et de dommages punitifs ou exemplaires peuvent sembler peu élevées, mais il faut garder à l'esprit que leur lien d'emploi n'a pas été rompu. Peu importe la somme, le fait d'accorder des dommages punitifs ou exemplaires afin de punir une partie pour sa conduite n'est pas anodin et ne doit pas être pris à la légère.