Ce n’est pas souvent qu’un employeur nous offre un matelas pour dormir au travail. Dans une affaire récente, ce n’était pas suffisant au goût du syndicat.
Rappelons d’abord les faits, qui ne sont pas très complexes.
Politique de retour au travail post-COVID-19
La plaignante était enceinte et craignait les conséquences d’une éventuelle infection à la COVID-19 pour le fœtus.
Elle a donc demandé à l’employeur d’être exemptée de la nouvelle politique de travail qui exigeait un minimum de 2 jours de présence au bureau par semaine.
Cela lui a été refusé, l’employeur estimant que son milieu de travail était conforme aux recommandations du programme de maternité du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux, en ce qu’elle disposait d’un bureau fermé et ne rencontrait pas de clients.
Demande d’accommodement
La plaignante est ensuite revenue à la charge en formulant une demande d’accommodement, cette fois fondée sur des maux propres à la grossesse, dont une grande fatigue et le besoin de faire des siestes durant la journée.
L’employeur a de nouveau refusé de lui permettre d’effectuer toute sa prestation de travail en télétravail, mais a évoqué certaines options qui auraient permis de satisfaire le besoin de dormir de la plaignante.
N’ayant reçu aucun retour à cet égard de la part du syndicat, l’employeur a procuré un matelas de sol à la plaignante afin qu’elle puisse s’étendre dans son bureau au besoin.
Le syndicat a déposé un grief le lendemain. Selon lui, l’employeur a contrevenu à la Charte des droits et libertés de la personne en refusant l’accommodement demandé, en plus d’avoir omis d’assurer à la plaignante un niveau élevé d’hygiène en la forçant à se coucher sur le sol.
Discrimination prima facie
D’abord, l’arbitre a estimé que, par ses effets, l’uniformité avec laquelle l’employeur appliquait sa politique créait une distinction.
Ensuite, il a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel il n’était pas question d’une «caractéristique protégée», en l’occurrence la grossesse, puisque la plaignante n’avait fourni aucun certificat médical établissant que sa fatigue était un problème de santé causé par sa grossesse. Pour l’arbitre, le lien entre la distinction et la caractéristique protégée n’était pas une question médicale ou scientifique, mais bien juridique. En d’autres termes, ce lien pouvait s’inférer de faits rapportés par des témoins ordinaires.
Enfin, selon l’arbitre, devoir dormir directement sur le plancher ou sur un tapis constituait un désavantage compromettant l’exercice du droit à des conditions de travail sans discrimination.
En somme, le syndicat a démontré, prima facie, l’existence de discrimination fondée sur la grossesse.
L’arbitre a par contre accepté comme valable la justification apportée par l’employeur.
Légitimité de la politique de l’employeur
L'arbitre s’est d’abord prononcé sur la légitimité de la politique visant l’introduction d’un mode hybride de travail, soulignant notamment le fait que les salariés n’avaient pas de droit acquis au télétravail et que le mode d’organisation du travail était une prérogative de l’employeur:
[71] La démarche visant à réintroduire le travail au bureau poursuit un objectif légitime et rationnellement lié au travail accompli, pour tous les emplois de l’organisme à mon avis. Ce n’est pas parce que l’employeur a pu opérer en télétravail sous la contrainte des décrets gouvernementaux qu’il est tenu de maintenir ce mode d’organisation du travail. La Commission souligne qu’elle n’est pas un organisme virtuel. Il s’agit d’un organisme public ayant pignon sur rue. Les personnes salariées n’ont pas un droit acquis au télétravail et il n’est pas enchâssé dans la convention collective. Le choix du lieu et du mode d’organisation du travail est une prérogative de l’employeur, dont il s’est prévalu en adoptant une politique.
Fardeau de la preuve et obligation de collaboration
L'arbitre s’est ensuite attardé à l’accommodement proposé par l’employeur, notant en début d’analyse que l’employeur n’avait pas à démontrer que permettre à la plaignante d’être à temps plein en télétravail lui causerait une contrainte excessive. Il pouvait, au contraire, «considérer d’autres accommodements pour assurer une prestation sur les lieux du travail, pour autant qu’ils soient raisonnables» (paragr. 84).
Puis il a poursuivi en soulignant l’absence de flexibilité de la plaignante et du syndicat, qui n’ont voulu explorer aucune autre avenue que le télétravail à temps plein. Il a même imputé à leur absence de collaboration l’échec du processus d’accommodement.
Absence d’atteinte à la dignité humaine
Quant à l’accommodement comme tel, l’arbitre a reconnu que, sans être idéal, il n’était ni dégradant ni contraire à la dignité humaine:
[89] Je conviens que ce n’est pas parfait, mais ce n’est pas dégradant ni contraire à la dignité humaine. Cette solution s’apparente à la civière placée dans un local de dimension réduite offerte à l’autre employé devant dormir pendant la journée. La plaignante ne dormait plus à même le sol, mais sur un matelas fourni par l’employeur et dans son bureau fermé, lui permettant de se reposer pendant ses pauses à l’abri des regards, préservant ainsi son intimité. Elle pouvait profiter de ce moment en toute tranquillité. […]
En d’autres termes, dans un contexte où l’employeur fournissait à la plaignante un matelas et un endroit tranquille, il s'était acquitté de ses obligations d’accommodement, que la solution retenue plaise ou non au syndicat et à la principale intéressée.
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