L'évolution des technologies numériques amène les tribunaux à se prononcer sur des infractions qui n'existaient pas il y a quelques années. Si ces technologies peuvent être utilisées à des fins légitimes et innovantes, elles peuvent aussi faciliter la commission d'infractions criminelles. L'intelligence artificielle, en particulier, soulève des enjeux inédits en permettant la création de contenus qui brouillent la frontière entre le réel et le virtuel. Cette récente décision de la Cour du Québec illustre bien cette problématique.

Les faits

À la suite d'une dénonciation par les parents d'un jeune homme de 25 ans, les policiers ont découvert dans le téléphone cellulaire de ce dernier des fichiers de pornographie juvénile. L'analyse du contenu du téléphone a révélé environ 235 fichiers qui constituaient de la pornographie juvénile, dont 135 en la possession du jeune homme et une centaine qui aurait été enregistrés à son insu.

Or, les fichiers, qui se trouvaient dans des galeries sécurisées, consistaient en des images de synthèse et des fichiers animés sous forme de gifs; il n'y avait aucune personne réelle représentée dans ces image et vidéos. Toutefois, les fichiers représentaient des enfants accomplissant divers actes sexuels.

Étant en mesure de reconnaître le caractère illégal et immoral des fichiers, l'accusé a rapidement reconnu sa responsabilité et sa culpabilité d'avoir eu en sa possession du matériel de pornographie juvénile.

Suivant son arrestation, il s'est isolé de son entourage, mais a graduellement repris contact avec celui-ci et, sur le plan thérapeutique, il a cherché à obtenir un suivi avec un sexologue.

La décision

Il est prévu à l'article 163.1 (4) b) du Code criminel que la peine pour l'infraction de possession de matériel de pornographie juvénile, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, est l'emprisonnement d'une durée minimale de 6 mois et d'un maximum de 2 ans moins 1 jour.

Habituellement, les peines infligées pour cette infraction vont de l'absolution conditionnelle à des peines de détention importantes.

Les circonstances atténuantes et aggravantes

Pour déterminer la peine appropriée dans cette affaire, le tribunal a retenu, à titre de circonstances atténuantes:

  • Le plaidoyer de culpabilité;
  • La collaboration à l'enquête policière;
  • Le risque de récidive faible;
  • L'absence d'antécédents judiciaires;
  • Le respect de conditions de remise en liberté restrictives; et
  • L'actif pour la société, l'accusé ayant le même emploi depuis plus de 4 ans.

Pour ce qui est des circonstances aggravantes, le tribunal a retenu:

  • L'établissement d'une galerie d'images protégées par un mot de passe différent du téléphone pour cacher la commission de l'infraction, démontrant donc un certain degré de préméditation; et
  • La gravité des actes sexuels représentés dans les fichiers.

En plus des circonstances atténuantes et aggravantes, le tribunal a retenu les éléments suivants comme ayant une pertinence dans l'évaluation de la peine à imposer:

  • La nature des fichiers, lesquels constituent des images de synthèse;
  • La découverte dans le téléphone cellulaire d'environ 1 500 images de profils de véritables jeunes filles provenant d'Instagram et d'autres médias sociaux;
  • Le désir de l'accusé de suivre une thérapie, bien que celle-ci n'ait pu réellement s'actualiser en raison des délais d'attente;
  • Le fait que, malgré sa nature solitaire, il ne présente aucun problème de santé mentale pouvant expliquer le passage à l'acte ou susceptible de rendre une peine de détention particulièrement difficile pour lui; et
  • Sa difficulté lors de son témoignage d'exprimer des remords sincères relativement aux victimes potentielles plutôt qu'en lien avec les conséquences sur sa propre personne. À ce sujet, il est noté dans le jugement que:

[11] Son introspection semble […] d'avantage être centrée sur les impacts dans sa vie, plutôt que sur les conséquences possibles sur les victimes potentielles. Évidemment, vu l'inexistence de victimes réelles dans la présente situation, ce manque de considération doit être mitigé.

[Nos soulignements.]

Par ailleurs, après avoir fait une revue de certaines décisions se prononçant sur la peine en matière de possession de pornographie juvénile afin d'établir des parallèles avec d'autres situations comparables au cas en l'espèce, le tribunal a constaté que certains éléments avaient un effet déterminant sur les peines imposées:

  • La nature (images réelles ou représentations graphiques) et le nombre de fichiers possédés;
  • La présence de troubles cognitifs chez l'accusé;
  • La preuve convaincante de réhabilitation et de conscientisation; et
  • La durée de la possession.

Pour le cas en l'espèce, le tribunal a mis en balance la nature des images de synthèse et leur nombre, dans la moyenne basse, d'un côté, et la nature dégradante des actes sexuels représentés, l'absence de troubles cognitifs et de preuve convaincante de réhabilitation et de conscientisation ainsi que la durée importante de la possession, de l'autre côté.

À l'égard de l'absence de réhabilitation, le tribunal a tenu à préciser que:

[43] […] bien que la présence de 1500 images de jeunes filles sur le téléphone de [l'accusé] ne constitue nullement une circonstance aggravante, elle établit néanmoins […] une preuve de l'intérêt sexuel de celui-ci envers les jeunes filles. Une démarche thérapeutique pour comprendre cette situation apparaît donc nécessaire.

[Nos soulignements.]

La peine appropriée

Le tribunal a jugé qu'un emprisonnement dans la collectivité ne mettait pas en danger la société, non seulement parce que l'accusé n'avait pas d'antécédents judiciaires et qu'il avait respecté les conditions restrictives de liberté, mais aussi parce que, même si sa famille n'a pas hésité à le dénoncer, elle continue à le soutenir, ce qui représente un filet de sécurité important. De plus, l'accusé a un mode de vie conforme aux normes sociales, est un actif pour la société et est prêt à s'investir dans une thérapie.

Par ailleurs, même si la possession de matériel de pornographie juvénile nécessite généralement de l'emprisonnement ferme puisque la dénonciation et la dissuasion méritent qu'on leur accorde une attention particulière, ces objectifs peuvent tout de même être atteints par l'imposition d'une peine d'emprisonnement dans la collectivité.

À ce sujet, le tribunal explique que:

[48] Si on excluait la possibilité pour [l'accusé] de purger sa peine dans la collectivité alors que d'autres délinquants avec des profils similaires ont pu profiter d'une telle mesure alors qu'ils étaient en possession d'images réelles d'enfants, cela viendrait nier le préjudice important que subissent ces innocentes victimes en ne mettant pas à l'avant-plan le tort qui leur ait causé.

[Nos soulignements.]

En conséquence, le tribunal conclut qu'une peine juste et appropriée pour l'accusé est un emprisonnement dans la collectivité d'une durée de 9 mois, suivie d'une ordonnance de probation d'une durée de 2 ans. Parmi les nombreuses conditions devant être respectées, l'accusé ne pourra pas:

  • Être en présence de mineurs sans la compagnie d'un adulte responsable de ces derniers et connaissant cette condition;
  • Se trouver dans un parc public ou une zone publique où l'on peut se baigner s'il y a des personnes âgées de moins de 16 ans ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'il y en ait, dans une garderie, une cour d'école, un terrain de jeu ou un centre communautaire;
  • Chercher, accepter ou garder un emploi ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d'autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de 16 ans;
  • Utiliser Internet ou tout autre réseau numérique, à moins de le faire en conformité avec les conditions imposées.

Réflexion

En conclusion, on comprend de ce jugement que l'inexistence de personne réelle figure parmi les éléments qui sont pris en compte dans la détermination de la peine pour l'infraction de possession de matériel de pornographie juvénile, mais elle ne constitue pas un élément déterminant. Comme quoi l'absence de victime réelle n'empêchera pas une personne en possession d'une collection d'images pornographiques juvéniles générées par l'intelligence artificielle d'être condamnée à la peine prévue pour cette infraction.

Ce jugement soulève tout de même plusieurs questions: la peine imposée est-elle trop sévère pour une infraction qui n'implique aucune victime réelle? Ou, au contraire, fallait-il une sanction exemplaire pour prévenir toute banalisation de tels contenus? L'absence de victime doit-elle influencer la culpabilité d'un accusé ou simplement la sévérité de la peine? Entre les objectifs de dissuasion et de dénonciation de l'infraction de possession de matériel de pornographie juvénile et la place de plus en plus importante dans notre quotidien du contenu généré par l'intelligence artificielle, où faut-il tracer la ligne?