Si vous êtes abonné au service «Décision à la Une» de SOQUIJ, vous savez peut-être que le Tribunal administratif du travail (TAT) a récemment annulé le congédiement imposé par un concessionnaire d’automobiles à un conseiller aux ventes qui avait été déclaré coupable de 2 infractions d’agression sexuelle.
Les faits
En septembre 2022, le plaignant est sorti célébrer son enterrement de vie de garçon en portant un déguisement qui ne passait pas inaperçu. Alors qu’il prenait des photos avec des passants, le plaignant a commis des attouchements sexuels à l'endroit de 2 jeunes femmes. Lorsqu’un ami des victimes est intervenu, le cousin du plaignant l’a frappé à la tête avec une canne. Le plaignant et son cousin ont tous deux été arrêtés.
Remis en liberté après sa mise en accusation, le plaignant a été suspendu par son employeur. Il a repris le travail le 30 janvier 2023. Le 11 janvier 2024, le plaignant a été déclaré coupable d’agression sexuelle. Il a été congédié quelques jours plus tard.
Pour l’employeur, le plaignant représentait un risque pour sa clientèle féminine et la réputation de son entreprise avait été entachée par la médiatisation des événements, en septembre 2022, et lors de la déclaration de culpabilité, en janvier 2024.
Le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail afin de contester son congédiement.
L’analyse du TAT
L’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne stipule que:
Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.
Pour déterminer si l’employeur était fondé à congédier le plaignant, le TAT devait donc déterminer s’il y avait un lien objectif entre l’emploi de conseiller aux ventes et les infractions d’agressions sexuelles dont il avait été déclaré coupable.
Selon l’employeur, un tel lien existait étant donné le fait que le plaignant était appelé à faire des essais routiers seul avec des femmes, lesquelles sont vulnérables.
Cet argument n’a pas été retenu.
Le TAT a plutôt conclu que la «croyance de l’employeur qu’une agression puisse se produire à l'occasion d’un essai routier pour le seul motif que le salarié a été déclaré coupable de faits survenus dans un contexte privé, sans commune mesure avec celui qui prévaut au travail, relève d’hypothèses voire de stéréotypes non étayés par la preuve» (paragr. 39).
Le TAT a donc considéré qu’il ne pouvait «pas raisonnablement conclure que les condamnations ont une incidence tangible, concrète et réellesur la capacité du salarié d’exercer ses fonctions de conseiller aux ventes parce que la nature, la gravité et les circonstances dans lesquelles ces infractions ont été commises n’ont pas de lien avec son emploi» (paragr. 31).
Abordant ensuite l’argument relatif à la réputation de l’employeur, le TAT a précisé que «la médiatisation des condamnations pour des gestes posés dans le cadre de sa vie privée n’entraîne pas automatiquement une atteinte à la réputation de l’employeur permettant d’inférer l’existence d'un lien objectif. Celui-ci requiert la preuve d'éléments objectifs reliant l’infraction et le poste» (paragr. 58) .
Dans ce cas-ci, l’employeur n’a pas démontré que la médiatisation des événements et de la condamnation du plaignant avait eu un effet sur son entreprise. Mis à part la demande d’un client pour que le nom du conseiller figurant à son contrat soit changé, le plaignant a travaillé pendant presque 1 an jusqu’à sa condamnation, et ce, sans incident. À la suite de son congédiement, il a travaillé dans d’autres concessionnaires et une partie de sa clientèle l’a suivi.
Vu ces constats, le TAT a accueilli la plainte, a annulé le congédiement du plaignant et a ordonné sa réintégration chez l’employeur.
L’atteinte à la réputation de l’employeur à la suite de la diffusion d’un reportage télévisé
L’analyse du TAT relative à l’atteinte à la réputation de l’employeur nous a fait penser à celle d’une sentence arbitrale de griefs rendue en novembre 2024.
Dans cette affaire, le plaignant travaillait de nuit comme préposé aux bénéficiaires dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée. Il a été congédié après la diffusion d’un reportage de l’émission JE concernant des événements survenus près de 20 ans auparavant, lorsqu’il entraînait des équipes scolaires de basketball féminin.
Dans le reportage, une ancienne athlète dénonçait notamment les méthodes du plaignant et le fait qu’ils aient eu une relation intime après qu’elle fut devenue majeure.
Devant l’arbitre, l’employeur a allégué qu’il était fondé à congédier le plaignant en raison notamment de la répercussion des gestes reprochés sur la réputation de l’établissement.
Le syndicat s’est opposé au dépôt en preuve du reportage étant donné qu’il s’agissait de ouï-dire. L’employeur n’ayant pas fait témoigner les personnes interviewées dans le reportage, l’arbitre a conclu que les allégations faites dans celui-ci ne pouvaient être reçues en preuve.
La seule preuve au dossier était donc le témoignage du plaignant, qui a nié les allégations faites contre lui dans le reportage. Il a reconnu avoir eu une relation consensuelle avec l’athlète alors qu’elle était majeure et étudiait au collégial, mais a nié avoir abusé de son autorité pour obtenir des faveurs sexuelles de cette dernière.
En l’absence d’autre preuve, l’arbitre a conclu que l’employeur n’avait pas démontré que le plaignant avait commis les gestes invoqués au soutien du congédiement. L’arbitre a donc annulé le congédiement et ordonné la réintégration du plaignant
Malgré cette conclusion, l’arbitre a poursuivi son analyse. En tenant les fautes reprochées pour avérées, l’arbitre a conclu à l’absence de lien avec l’emploi occupé par le plaignant quelque 20 ans plus tard. Pour l’arbitre, rien ne démontrait que le plaignant représentait un risque pour la clientèle vulnérable de l’employeur.
Abordant la question de l’atteinte à la réputation de l’employeur, l’arbitre a conclu que ce dernier «a[vait] voulu protéger son image sur la base de craintes subjectives, sans connaître au moment du congédiement, ni démontrer à l’audience les impacts concrets et prévisibles des manquements reprochés [au plaignant] sur sa capacité à accomplir ses fonctions de préposé aux bénéficiaires, ni sur la capacité du CIUSSS à accomplir sa mission» (Syndicat du personnel paratechnique, des services auxiliaires et de métier du CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec – CSN, paragr. 108).
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