Les décisions des tribunaux administratifs du Québec représentent plus de 60 % du volume de traitement et de diffusion de SOQUIJ. Pourtant, malgré son influence dans le quotidien des Québécois et des Québécoises, la justice administrative reste peu connue. En 2023, SOQUIJ a rencontré les différents décideurs administratifs pour mieux connaître et faire connaître leur travail.

Lorsqu’une personne souhaite contester une décision prise à son sujet par un ministère, un organisme public, une commission ou une municipalité, elle doit se tourner vers le Tribunal administratif du Québec (TAQ).

Jean-Marc Dufour et Mario St-Pierre y sontjuges administratifs depuis de nombreuses années. SOQUIJ a eu l’occasion de s’entretenir avec eux afin de faire la lumière sur le rôle de leur tribunal.

Une justice indépendante au service de la population

Créé par l’Assemblée nationale en 1996, le TAQ est entré en fonction le 1er avril 1998. Sa mission reste inchangée depuis: offrir une avenue de justice administrative indépendante et de qualité aux citoyennes et aux citoyens qui s’estiment lésés par la décision d’un organisme public du Québec.

Selon sa nature, chaque recours déposé est examiné par la Section des affaires sociales, la Section des affaires économiques, la Section du territoire et de l’environnement ou la Section des affaires immobilières. La Section des affaires sociales, qui représente près de 80 % des dossiers du Tribunal, agit également à titre de Commission d’examen des troubles mentaux.

Les dossiers traités par les juges administratifs du Tribunal touchent une variété d’aspects et produisent des effets directs et concrets sur la vie des gens. Parmi la liste des recours possibles, on peut notamment penser à:

  • L’indemnisation (indemnité pour séquelles permanentes, indemnité de remplacement du revenu, etc.) par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) après un accident de la route;
  • La révocation d’un permis de conduire par la SAAQ;
  • L’admissibilité à l’aide sociale, à l’Allocation famille ou au supplément pour enfant handicapé;
  • L’obtention de prestations d’invalidité du Régime de rentes du Québec (RRQ);
  • L’indemnisation des victimes d’actes criminels;
  • La mise sous garde dans un établissement hospitalier;
  • La délivrance d’un permis d’agent par le Bureau de la sécurité privée (BSP);
  • Les conditions d’expropriation proposées par un organisme public;
  • L’évaluation foncière d’un immeuble effectuée par une municipalité;
  • L’acquisition ou la transformation d’une terre agricole.

À la suite d’une audience avec les 2 parties, c’est-à-dire le citoyen ou la citoyenne et l’organisme gouvernemental derrière la décision contestée, le TAQ tranche: la décision initiale rendue peut alors être modifiée, annulée ou maintenue. Chaque semaine, les juges administratifs des 4 sections se prononcent sur des centaines de dossiers, et la plupart de leurs décisions sont sans appel.

«Bien qu’il évolue au sein de l’État, le Tribunal fait preuve d’impartialité en tout temps : ses équipes travaillent indépendamment des organismes publics ayant rendu les décisions contestées. Son fonctionnement et ses principes directeurs assurent que chaque personne lui déposant un recours ait accès à une écoute attentive et à une justice neutre tout au long de la démarche.»
– Jean-Marc Dufour, juge administratif

Des juges administratifs qui ne sont pas forcément juristes

Dans le cadre d’une audience du Tribunal, 2 juges administratifs entendent habituellement les parties: un juriste (un avocat ou un notaire) et un expert du sujet du recours. La multidisciplinarité représente l’un des éléments distinctifs clés de cet organisme de justice administrative. Les juristes de formation y collaborent avec des collègues de dizaines de domaines spécialisés.

Dans la Section des affaires immobilières, des évaluatrices et des évaluateurs agréés mettent leur expertise à profit dans des dossiers d’évaluation foncière. Du côté des affaires sociales, on trouve des médecins et des psychiatres. Dans la Section du territoire et de l’environnement, les juges proviennent de champs tels que l’agronomie et l’urbanisme. Avec leurs bagages diversifiés, tous participent étroitement à la réflexion, aux délibérés et à la décision rendue par le TAQ.

Prenons le cas d’une usine contestant des sanctions pour contamination de l’environnement. Lors de l’audience, un juriste pourrait entendre la cause aux côtés d’un ingénieur. Cette collaboration leur permettrait d’effectuer une analyse plus complète du dossier, de poser les bonnes questions aux 2 parties et, ainsi, de rendre la meilleure décision en fin de processus.

La preuve et les faits au cœur de la démarche de contestation

Peu importe leur discipline d’origine, les juges administratifs ont un devoir d’assistance des parties, en particulier lorsqu’une personne choisit de se présenter seule au Tribunal. Tout en agissant avec réserve, ils veillent à introduire le processus d’audience et à guider la personne pour qu’elle fournisse des éléments de preuve pertinents en lien avec le dossier.

Il est commun qu’un citoyen ou une citoyenne se concentre sur les conséquences de la décision contestée plutôt que sur ses causes et son contexte. Toutefois, comme les juges administratifs examinent les recours selon les lois en vigueur et la jurisprudence applicable, certains critères clairs doivent être respectés pour mener à une nouvelle décision.

«Je pense que la technologie est venue réduire le fossé entre ceux qui sont représentés par avocat et ceux qui ne le sont pas. Ça donne de l'information et des moyens simples d'accéder au Tribunal. Alors, pour les non représentés maintenant, la technologie fait une différence.»
– Mario St-Pierre, juge administratif

Dans le cas où un chauffeur de taxi contesterait la révocation de son permis de conduire par la SAAQ, par exemple, il ne suffirait pas d'exposer les répercussions de la perte d’emploi sur sa carrière ou sa famille. Devant les juges administratifs, ce citoyen devrait être préparé à aborder les raisons de la révocation de son permis en s’appuyant sur des documents (factures, contrats, photos, etc.), des rapports d’expertise ou des témoignages. Il augmenterait ainsi ses chances d’obtenir la conclusion souhaitée.

Une chose est certaine, en plus de leurs répercussions financières, les décisions du TAQ ont des conséquences humaines majeures, d’où l’importance d’une préparation minutieuse avant une audience. Les différents outils numériques qu’offre désormais le Tribunal contribuent à augmenter l’accès à l’information juridique, et donc à une meilleure justice pour l’ensemble de la population.


Il est important de souligner que, au-delà de son rôle de décideur quant au sort d’une décision contestée, le TAQ offre aux parties de participer à une séance de conciliation dans la plupart des dossiers. Grâce à cela, la population et les ministères, organismes et municipalités peuvent discuter et négocier directement.

Ces échanges confidentiels sont tenus dans le cadre d’une séance animée par un juge administratif dans l’objectif de favoriser le règlement du litige et d’éviter la tenue d’une audience. Pour être valide, l’accord doit être signé par toutes les parties et la ou le juge administratif, de sorte qu'il a la même valeur qu’une décision du Tribunal.

Quelques dates clés

1978 : Entrée en vigueur du régime public d’assurance automobile du Québec. Auparavant entendus par la Commission des affaires sociales (intégrée au Tribunal depuis son entrée en fonction), les recours découlant de l’application de la Loi sur l’assurance automobile constituent une partie importante des activités de la Section des affaires sociales.

1980 : Entrée en vigueur de la Loi sur la fiscalité municipale. Autrefois traités par le Bureau de révision de l'évaluation foncière (intégrée au Tribunal depuis), les recours en contestation d’évaluations foncières municipales représentent un volume important des activités de la Section des affaires immobilières du Tribunal.

1988 : Adoption de la Loi sur la sécurité du revenu. Cette loi vise à fournir une aide financière de dernier recours aux personnes et familles ne disposant pas de ressources suffisantes. Les recours qui en découlent sont traités par le Tribunal depuis son entrée en fonction et représentent un volume important des activités de la Section des affaires sociales.

1992 : Création de la Commission d’examen des troubles mentaux. Par la suite intégrée à la Section des affaires sociales du Tribunal au moment de sa création, celle-ci est chargée de déterminer les mesures devant être prises à l’endroit de personnes ayant fait l’objet d’un verdict d’inaptitude à subir leur procès ou de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux afin de protéger la sécurité publique.

1996 : Adoption de la Loi sur la justice administrative et création du Tribunal administratif du Québec. Le Tribunalentre en fonction le 1er avril 1998.

2010 : Création du Bureau de la sécurité privée (BSP). La Section des affaires économiques du Tribunal est notamment responsable des recours liés à la délivrance de permis par le BSP. Ces permis permettent de contrôler l’exercice de certaines professions ayant un impact direct sur la sécurité des citoyennes, citoyens et entreprises.

2021 : Adoption de la Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement. Adoptée le 13 mai 2021, cette loi réforme entièrement le régime d’indemnisation des personnes victimes d'actes criminels. Ces dossiers sont entendus par la Section des affaires sociales.

2023 : Réforme du régime d’expropriation. Adoptée le 28 novembre 2023, la Loi concernant l’expropriation modifie le régime d’expropriation du Québec. La Section des affaires immobilières du Tribunal est responsable de fixer l’indemnité résultant de toute expropriation sur le territoire québécois. Ces dossiers représentent une part importante des affaires entendues par cette section.

Cette série de portraits des tribunaux administratifs du Québec est réalisée en collaboration avec le Regroupement des présidents des tribunaux administratifs du Québec et la Conférence des juges administratifs du Québec.