L'affaire du chauffeur d’autobus ayant foncé avec son autobus sur une garderie à Laval, emboutissant sa façade et tuant ainsi 2 enfants et en blessant 6 autres, a eu un large retentissement dans la province et dans l'ensemble du pays. À la suite de cet événement tragique, des accusations criminelles ont été portées contre l'accusé: 2 chefs de meurtre au deuxième degré, un chef de voies de fait causant des lésions corporelles et un chef de voies de fait armées. Hier, le juge Éric Downs a rendu le jugement sur le verdict.
Position des parties et verdict
Preuve psychiatrique à l'appui, les parties demandaient qu’un verdict de non-responsabilité criminelle soit rendu dans cette affaire, et ce, compte tenu des troubles mentaux dont souffrait l’accusé au moment de la tragédie. Il arrive, comme dans le cas présent, que la preuve portant sur la question de la non-responsabilité criminelle au sens de l'article 16 du Code criminel (C.Cr.) soit non contestée, les parties s'entendant pour procéder devant un juge seul par le dépôt d’un exposé des faits conjoint et d’expertises. Citons, par exemple, le récent arrêt R. c. Dion-Roy, rendue en octobre 2023, dans lequel l'accusé — qui souffrait de schizophrénie — était inculpé d’un chef de meurtre au deuxième degré de son beau-père.
Le juge, qui a déterminé que les éléments matériels des infractions avaient bien été établis, et que le geste commis n'était pas accidentel, s'est rallié à la demande des parties. En effet, il s'est dit convaincu que l’accusé: 1) était atteint de troubles mentaux au moment des faits 2) qui le rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte et de savoir que celui-ci était mauvais. Les 2 volets du test permettant d'établir la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux étaient donc présents.
Rappelant que le verdict de non-responsabilité criminelle rendu en vertu de l'article 16 C.Cr. n'équivaut ni à la condamnation de l'accusé ni à un verdict d'acquittement, le juge a admis que sa décision n'offrait pas de réponse à la question douloureuse de savoir pourquoi l'accusé avait agi comme il l'avait fait le jour des événements.
Le profil particulier de l'accusé: un «réfugié orphelin polytraumatisé»
Ce verdict, tout comme la position des parties, s'appuie sur l'unanimité des opinions de 2 psychiatres légistes très expérimentés, l'un mandaté par la Cour et l'autre par la poursuite, selon lesquels l’accusé était, au moment du drame, aux prises avec un trouble mental, soit une psychose, qui le rendait non criminellement responsable.
La preuve révèle le passé très difficile de l'accusé, qui est né au Cambodge et dont l'enfance a été bouleversée par la prise de pouvoir des Khmers rouges en 1975 et les années qui ont suivi celle-ci. L'accusé a souffert des atrocités commises par ce régime: son père a été enlevé et tué par les Khmers rouges et sa mère est décédée peu de temps après. L'accusé s'est enfui avec son cousin (qui sera dans des combats avec des forces armées vietnamiennes) et sa femme vers la Thaïlande, un périple marqué par des passages à travers des champs de mines, des bombardements, etc. Il a vécu 3 ans dans des camps de réfugiés en Thaïlande, où il a été maltraité, avant d'arriver comme réfugié au Canada, alors qu'il avait environ 10 ans, et d'être placé en famille d'accueil.
Selon l’experte mandatée par la Cour, l'accusé a cherché à refouler ses nombreux traumatismes: «Il a tenté consciemment d'oublier tout son vécu et ses racines. […] La croyance sous-jacente semble être que les choses dont on ne parle pas n'existent pas.» (paragr. 131)
Plus loin, elle estime que:
«Ainsi, les polytraumatismes passés, trop longtemps refoulés du champ de la conscience, semblent avoir, telle une surcharge de tension émotionnelle, dépassé les capacités de régulation du patient, produisant dès lors une brèche dans un équilibre déjà précaire, fragilisé par de multiples stresseurs, ceci culminant dans une rupture de contact avec la réalité.» (paragr. 132)
En effet, les fragilités de sa structure interne, selon elle, ont été exacerbées par sa charge quotidienne en tant que parent, par le stress quotidien, mais aussi celui lié à son mariage à venir, la pression au travail, des préoccupations de nature financière, le tout dans un contexte de diminution du sommeil. Notamment, dans le cadre des préparatifs pour son mariage, afin de communiquer au notaire divers documents officiels en lien avec son identité et son statut, l'accusé a dû replonger dans son passé et ses traumatismes.
Il y avait donc un contexte de fragilisation de son état mental dans les semaines ayant précédé le drame, et cette période de fragilisation l'a ultimement mené à l'état de psychose dans lequel il se trouvait au moment des gestes commis. La veille des événements, il n'avait pas dormi et a eu un moment d'absence au volant de son autobus (effectuant le mauvais circuit pendant environ un quart d'heure).
Finalement, l’experte a retenu un diagnostic d'épisode psychotique non spécifié, diagnostic qui s'appuie notamment sur les comportements de l'accusé juste après le drame, alors qu'il se trouvait encore dans l'autobus (il tenait des propos incompréhensibles, s'est dénudé, criait, etc.) et dans les jours ayant suivi son arrestation (pensée et comportements désorganisés, délires mystiques, le fait qu'il a été vu parler seul, etc.).
C'est une conclusion similaire qui a été retenue par l’expert de la poursuite, qui a plutôt conclu que les symptômes psychotiques résultaient d'un trouble psychotique bref, lequel «est subit, intense et dure quelques jours» (paragr. 144).
La suite des procédures
À la suite de son verdict, le juge a déterminé que la détention de l'accusé dans un hôpital psychiatrique spécialisé sécuritaire (en l'occurrence l’Institut national de psychiatrie légal Philippe-Pinel) devait se poursuivre, et ce, en vertu de l'article 672.54 c) C.Cr. Les modalités de cette détention seront déterminées lors d'une prochaine audience (art. 672.45 C.Cr.). Au cours de celle-ci, comme le rappelle le juge, c’est la sécurité publique et la santé mentale de l’accusé, en lien avec un risque pour la sécurité publique, qui sont au cœur de l'analyse.
Lors de cette audience, le tribunal devra également examiner la requête de la poursuite concernant le statut à haut risque de l’accusé (selon les paramètres de l'article 672.64 (1) C.Cr.), la poursuite ayant annoncé son intention de demander que l'accusé se voit conférer ce statut. Il entendra aussi les victimes, qui souhaitent s'exprimer concernant les conséquences du drame.
Quelques précisions sur la «déclaration de la victime en cas de verdict de non-responsabilité criminelle»
La déclaration de la victime en cas de verdict de non-responsabilité criminelle, qui est prévue à l'article 672.5 (14) C.Cr., tout comme la déclaration de la victime dans le cadre de la détermination de la peine à infliger à un accusé (art. 722 (1) C.Cr.), décrit les dommages — matériels, corporels ou moraux — ou les pertes économiques qui lui ont été causés par la perpétration du crime ainsi que les répercussions que celui-ci a eues sur elle. La déclaration, dans les 2 cas, ne doit pas comporter de critiques envers l'accusé, de suggestions quant à la décision à rendre, etc. Toutefois, et bien que les principes entourant les déclarations de victimes déposées dans le cadre d’audiences sur la peine soient transposables à ceux liés aux audiences concernant une décision à rendre suivant un verdict de non-responsabilité criminelle, des nuances existent, comme le rappelle le juge.
En effet, la pertinence de la déclaration de la victime se trouvant à l'article 672.5 (14) C.Cr. est sans doute plus restreinte. Comme le prévoit l’article 672.541 C.Cr., une fois que cette déclaration est déposée, le tribunal ou la commission d’examen doit en tenir compte, dans la mesure où elle est pertinente aux critères contenus à l’article 672.54 C.Cr. — c'est-à-dire la sécurité du public (le facteur prépondérant) et l'état mental de l'accusé, sa réinsertion et ses autres besoins —, dans sa décision à rendre, soit:
- la libération inconditionnelle de l'accusé (lorsque celui-ci ne représente pas un risque important pour la sécurité du public),
- sa libération sous réserve de modalités, ou
- sa détention dans un hôpital sous réserve de modalités.
Cette déclaration ne revêt donc pas la même importance que celle qu'a la déclaration de la victime lors de l'audience de la peine, le tribunal pouvant alors «prendre en considération tout élément de preuve qui concerne la victime afin de déterminer la peine à infliger au délinquant ou de décider si celui-ci devrait être absous».
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